Conférence internationale de Berlin - 12 et 13 juillet, 2025

Jacques Hogard : l’OTAN ne se préoccupe pas de la France

vendredi 17 octobre 2025

Le colonel Jacques Hogard (r)
capture d’écran
Intervention du colonel Jacques Hogard (cr), lors de la

conférence internationale organisée le 12 et 13 juillet 2025 à Berlin par :

  • l’Institut Schiller,
  • l’Académie géopolitique de Paris et
  • l’Ostdeutsches Kuratorium von Verbänden (Conseil d’administration des Associations d’Allemagne de l’Est) de Berlin.

Intervention du colonel (cr) Jacques Hogard,
Ancien officier parachutiste de la Légion étrangère et des Forces spéciales

Bonjour à tous,

Je suis présent à cette conférence, en distanciel comme on dit aujourd’hui, à l’invitation de Jacques Cheminade et de l’Institut Schiller.

Je suis très heureux de voir que dans l’assemblée se trouve mon cher ami Wolfgang Effenberger, connu à Belgrade dans des circonstances un peu analogues, à la conférence du Forum pour un monde légal, en fait au début de l’année dernière, en 2024.

Ce que j’ai à dire est très simple. En tant qu’ancien officier de l’armée française (j’ai servi 25 ans dans l’armée française), j’ai beaucoup parcouru le continent africain, depuis ma tendre enfance d’ailleurs, y ayant séjourné avec mon père qui était lui-même officier de l’armée française, dans des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Mauritanie et Djibouti.

Et cela m’a beaucoup marqué, au point que j’ai moi-même fait une carrière d’officier pendant 26 ans à la Légion étrangère. Et ensuite, aux forces spéciales, où j’ai terminé ma carrière, en fait de manière prématurée, du fait de mon engagement dans cette opération de l’OTAN au Kosovo, en 1999, qui a été mon « chant du cygne », et qui a été pour moi l’occasion de faire un bilan et de quitter l’armée française.

J’ai quitté l’armée française, qui était ma famille, c’était le monde que j’aimais, j’y étais comme un poisson dans l’eau. Et j’ai décidé de partir parce que je venais de voir au Kosovo, et j’en avais pris conscience avant, au Rwanda en 1994, que le monde changeait : effondrement du mur de Berlin, disparition de l’URSS en 1991, la donne avait changé. Et j’avais découvert au Rwanda, en 1994, que notre « meilleur ennemi » finalement était les Etats-Unis d’Amérique. J’ai donc commencé à comprendre toute la réalité de l’impérialisme réel, de cette volonté farouche d’établir son hégémonie sur le monde, dans un monde strictement unipolaire où les Etats-Unis joueraient un peu le rôle de « gendarme du monde ».

Au Kosovo en 1999, cinq ans plus tard, en tant que chef sur le terrain comme je l’avais été au Rwanda, je découvre l’OTAN. Je l’avais déjà un peu découvert en septembre 1998 plus exactement, à partir du moment où l’on commençait à parler en Europe occidentale du Kosovo et du drame qui s’y jouait pour les populations albanaises victimes d’un génocide (puisqu’on parlait déjà de génocide), perpétré par les habitants, l’armée et les institutions serbes.

Alors je me suis un peu renseigné avant de partir et je me suis rendu sur place avec un état d’esprit particulier, qui était une espèce d’interrogation permanente sur la réalité de ce qui se cachait derrière le miroir, si je puis dire, et je l’ai découvert de plain-pied, en Macédoine d’abord puis au Kosovo, puisque j’assurais le commandement des forces spéciales françaises, sous commandement britannique, et je n’ai pas mis longtemps à comprendre la duplicité de nos alliés britanniques.

En réalité, ils jouaient leur carte, qui était en fait la carte des Américains, parce que les Britanniques sont à mon avis les meilleurs « proxies » possibles des Américains, ils sont le bras armé idéal au sein de l’OTAN pour les intérêts américains, et je découvre concrètement (mais j’avais été un peu alerté avant évidemment) que nos intérêts, ceux de la France, puisque j’étais dans l’armée française pour servir les intérêts français, n’étaient pas la préoccupation de l’OTAN.

Cela m’a évidemment fait constater sur le terrain que nous étions dans une position fausse puisque nous venions aider une rébellion albanaise, soutenue d’ailleurs par un certain nombre de puissances étrangères, européennes, l’Allemagne par exemple, mais aussi la France (je l’ai découvert beaucoup plus tard), et bien entendu par les Britanniques et l’Amérique. Cette rébellion, considérée jusqu’en 1997 comme un mouvement terroriste, inscrit sur la liste des terroristes par les Etats-Unis d’Amérique, est bizarrement passée tout d’un coup dans le camp de nos meilleurs alliés.

J’ai vu les actions, j’ai eu à me confronter finalement à mes chefs britanniques sur le terrain au Kosovo, au cours d’un certain nombre d’épisodes assez dramatiques, J’ai eu l’occasion de les décrire dans un petit livre que j’ai écrit au retour sous le titre L’Europe est morte à Pristina.

Et pourquoi ai-je dit l’Europe est morte à Pristina ? J’ai apporté un témoignage avec un titre fort, qui était en fait le négatif de ce que j’avais entendu dans la bouche de Monsieur Kouchner, qui avait été nommé par l’Union européenne, par la communauté internationale, comme « gouverneur du Kosovo » pour la phase de transition, après la rupture entre la province du Kosovo et la mère patrie serbe à partir de l’été 1999. Monsieur Kouchner s’était exclamé « L’Europe est née à Pristina ». Moi je pensais exactement le contraire et c’est pour ça que j’ai voulu écrire mon témoignage et lui donner ce titre.

Alors l’Europe, c’est l’Union européenne d’un côté, mais c’est aussi un continent. Un continent auquel appartiennent des pays comme la Russie ou la Serbie, qui n’en font pas partie stricto sensu mais qui, d’un point de vue continental, y sont partie prenante.

Alors, moi, la grande Europe dont je rêve, c’est celle du général De Gaulle, « de l’Atlantique à l’Oural » et cette Europe-là, elle aura du sens. Car ce serait une Europe équilibrée, entre deux pôles. A l’Ouest, le pôle serait la France et à l’Est, la Russie.

Je me fie aux paroles de Chateaubriand en son temps, que le général De Gaulle a plus ou moins reprises un peu plus tard : « Quand la Russie et la France sont alliées, sont proches, eh bien l’Europe s’en porte bien. Et quand elles sont divisées, l’Europe va mal. » Et on en voit parfaitement la réalisation aujourd’hui. Or, je pense que l’Europe a un rôle à jouer dans le monde, tant vis-à-vis de l’Asie que de l’Afrique, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le « Sud global ».

Et je pense à une France – ce n’est pas la France d’aujourd’hui, c’est une France un peu différente – une France fidèle à son identité, sans complexes et sans arrogance, mais une France fière d’elle-même, fière de ses racines chrétiennes partagées avec d’autres pays européens, et qu’ils assument, paisiblement, tranquillement, en apportant au monde la force de sa culture, la force de son humanisme, la force de sa générosité et de sa capacité d’engagement.

Voilà, c’est une France idéale qui n’existe pas encore précisément à l’heure actuelle, c’est évident. On se bat tous les jours pour que le visage de la France redevienne celui qu’il a été pendant des siècles. Voilà.

Je vous remercie.