Manifestations en Iran : comment Londres souffle sur les braises

mardi 14 janvier 2020

Chronique stratégique du 14 janvier 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Non, les nouvelles manifestations en Iran qui agitent la République islamique depuis deux jours ne sont pas totalement spontanées. Comme nous allons le voir, elles sont activement encouragées par les réseaux Anglo-américains. Dans ce contexte, notre appel à une rencontre au sommet entre les présidents Trump, Poutine et Xi Jinping, est plus urgente que jamais.

Cela circule partout dans les médias : les manifestations anti-gouvernement sont de nouveau apparues en Iran et en Irak ces derniers jours. Et, alors que les revendications des Irakiens contre l’austérité et contre la présence militaire étrangère ont largement été ignorées, les médias occidentaux font tourner en boucle la narrative du changement de régime en Iran.

Samedi soir à Téhéran donc, un petit millier de personnes – des jeunes pour la plupart – ont manifesté en scandant des chants et des slogans explicitement anti-gouvernement et anti-Khomenei. La colère s’est cristallisée autour de l’avion ukrainien abattu par erreur le 9 janvier en Iran, et dont les passagers étaient pour la majorité des Iraniens.

Et voici que le gouvernement a brièvement fait arrêter l’ambassadeur britannique Robert Macaire, pour « avoir suscité des actes suspects » en lien avec les manifestations en Iran. Celui-ci a prétendu qu’il ne faisait qu’aider à mettre en place une « veille », et qu’il est parti dès que les manifestations ont commencé : chapeau l’artiste ! De son côté, le ministre britannique des Affaires étrangères Dominic Raab a affirmé que « l’Iran est en voie de devenir un État paria ».

Le Guardian, dans un article publié le 13 janvier, confirme le rôle joué par l’ambassadeur, écrivant que Macaire a aidé à « déclencher une veille, qui s’est transformée en manifestation en Iran, à la suite de quoi l’ambassadeur est parti ». Le quotidien ajoute que l’ambassadeur a été arrêté après avoir quitté les lieux, puis relâché après de multiples communications de protestation de l’ambassade britannique.

Manifestation iranienne, cerveau britannique et muscle américain !

S’alignant sur les faucons de son administration, Trump a écrit sur Twitter :

Le conseiller à la sécurité nationale a laissé entendre aujourd’hui que les sanctions et les protestations ont ’étouffé’ l’Iran et le forceront à négocier. En réalité, peu m’importe qu’ils négocient. Ce sera à eux de décider, mais pas d’armes nucléaires et ne tuez pas vos manifestants.

Dans un entretien sur Fox News, l’avocat de Trump Rudy Giuliani – qui le défend par ailleurs contre le coup d’État de l’impeachment – a plus explicitement défendu le changement de régime en Iran. Admettant être lui-même en contact avec des réseaux mobilisés sur place, Giuliani a recommandé que les États-Unis soutiennent ouvertement les protestataires iraniens. « Une déclaration forte devrait être émise par le président, transmise ensuite au Département d’État, pour les soutenir ». Voilà donc Giuliani défendant hardiment la politique de changement de régime si chère aux réseaux impérialistes anglo-américains – ceux-là mêmes qui essayent de virer Trump de la Maison-Blanche, le considérant comme une entrave à leurs plans de guerre froide réchauffée !

De son côté, le sénateur républicain Rand Paul est intervenu le 12 janvier sur CBS pour souligner de nouveau le problème des « conseillers » de Donald Trump, et le fait que la plupart d’entre eux pensent, contrairement au président, que la guerre d’Irak en 2003 n’était pas une erreur.

Ils aimaient la position de Dick Cheney [le vice-président de l’administration Bush, jr] et ils n’admettent toujours pas que ce fut une erreur. C’est pourquoi [Trump] continue de mettre en place une politique qui n’est pas la sienne. Je pense que ses instincts sont bons. Il l’a dit et redit depuis 20 ou 30 ans. Il n’a cessé de dire que les guerres ont ruiné nos finances et qu’il n’y est pas favorable. Mais ils l’ont convaincu que si l’on partait [d’Irak], nous passerions pour des faibles.

Rappelons que la politique de changement de régime est l’un des outils préférés de la géopolitique britannique. Elle avait été explicitement énoncée par Tony Blair en 1999 lors d’un discours prononcé au Chicago World Affairs Council, dans le but de substituer « la responsabilité de protéger les peuples » au principe de non-ingérence et de respect de la souveraineté défendu par la Charte des Nations unies.

Rappelons également que si le coup d’État de 1953 contre le Premier ministre Mohammed Mossadegh (Opération AJAX) a bien été réalisé par la CIA sous la houlette de Allen Dulles – après que Mossadegh a annoncé son intention de nationaliser la compagnie pétrolière anglo-iranienne (qui deviendra ensuite la société British Petroleum) –, les véritables « donneurs d’ordre » de l’opération étaient, of course, les Britanniques.

Induit en erreur par ses services, comme Trump, le Président Eisenhower, avait estimé que l’opération AJAX était une victoire majeure contre... les Soviétiques. « Le muscle américain et le cerveau britannique », selon l’expression de John Maynard Keynes lui-même...

L’organisation d’une rencontre au sommet entre les présidents russe, américain et chinois, à laquelle nous appelons de nos vœux, est le seul moyen de tracer la voie par laquelle nous pourrons libérer les États-Unis, et l’ensemble des pays occidentaux, de la mentalité de jeu à somme nulle de la géopolitique britannique, et créer une plate-forme de dialogue et de coopération entre les nations du monde.

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