Chronique stratégique du 27 avril 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
« La crise climatique est une force profondément déstabilisante pour notre monde », a déclaré Loyd Austin, le chef du Pentagone, lors de la conférence. « À mesure que l’Arctique fond, la concurrence pour les ressources et l’influence dans la région augmente. Plus près de l’équateur, la hausse des températures et les phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses en Afrique et en Amérique centrale menacent des millions de personnes de sécheresse, de faim et de déplacement ». Une façon pour le moins osée de se dédouaner, de la part d’un pays dont la politique de guerres et de sanctions – en particulier en Syrie – a justement plongé des millions de personnes dans la pauvreté et la famine !
La « géopolitique du climat » est un pléonasme et l’intégration de la question climatique dans le secteur militaire n’est pas nouvelle. Depuis vingt ans, les différents rapports stratégiques du Pentagone en font une priorité stratégique, dans l’idée que le changement climatique va devenir un déclencheur potentiel de conflits entre Etats. Et, alors que ces rapports sont restés dans les réfrigérateurs pendant la présidence de Donald Trump, qui considérait pour ses propres raisons que le changement climatique est une fraude, la situation a radicalement changé en janvier dernier.
Quand le climat devient un enjeu de « sécurité nationale »
Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden a signé une série de décrets sur la lutte contre le changement climatique, faisant des « considérations climatiques un élément essentiel de la politique étrangère et de la sécurité nationale des États-Unis », dixit un communiqué de la Maison-Blanche ; il a réintégré les Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat et nommé John Kerry comme envoyé spécial présidentiel pour le climat.
Fin janvier, le Pentagone a annoncé officiellement que le changement climatique sera désormais considéré comme une question de « sécurité nationale », et qu’il sera intégré dans la planification des manœuvres militaires. Et le 3 mars, le Conseil national de sécurité a publié son rapport provisoire d’orientation stratégique, mettant sur le même plan le changement climatique et l’influence « maligne » de la Russie et la Chine, et affirmant l’intention de la nouvelle administration de créer une alliance des « démocraties » du monde. On attend le moment où les auteurs « d’écocide » — un crime que certains entendent inscrire dans les constitutions — seront abattus par drone…
Il s’agit ni plus ni moins que d’une réadaptation du raisonnement élaboré par les néoconservateurs après la chute de l’Union soviétique, qui visait à assurer l’hégémonie mondiale anglo-américaine au moyen d’un état de guerre perpétuel ; et tandis que « la protection des populations » a servi de prétexte depuis vingt ans pour lancer les guerres en Irak, en Afghanistan, en Syrie et en Libye, on envisage désormais de se servir de celui de « la protection de la planète »…
La véritable menace est la guerre nucléaire, pas le climat
Il n’a pas dû échapper à Moscou et Beijing que deux jours avant le sommet sur le climat, le Commandement stratégique américain (StratCom), en charge de l’arsenal nucléaire américain, a publié le tweet suivant : « Le spectre des conflits aujourd’hui n’est ni linéaire ni prévisible. Nous devons tenir compte de la possibilité qu’un conflit conduise à des conditions qui pourraient très rapidement pousser un adversaire à considérer l’utilisation du nucléaire comme sa moins mauvaise option ». Rappelons que le commandant du StratCom, l’amiral Charles Richard, a annoncé en février qu’il avait demandé au Pentagone de « faire passer la probabilité d’une guerre nucléaire de ‘presque impossible’ à ‘possibilité très réelle’ ». Alors que jusqu’ici il s’agissait d’une simple arme de dissuasion (dont on ne comptait pas se servir), c’est la banalisation de son emploi qui représente un danger extrême.
Preuve que le sujet est bien sur la table, le président de la Commission de Défense à la Chambre, Adam Smith et la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, ont réintroduit le 15 avril une proposition de loi interdisant les Etats-Unis d’effectuer en premier une frappe nucléaire. « Menacer avec une première frappe nucléaire n’offrira aucune sécurité aux Etats-Unis car cela augmentera le risque d’une erreur de calcul ou d’un accident » a précisé Warren. « Il n’y a pas de gagnants dans une guerre nucléaire, et les Etats-Unis ne devraient jamais s’y engager ».
Pour la présidente de l’Institut Schiller Helga Zepp-LaRouche, « la plus grande menace n’est pas le changement climatique, mais la guerre nucléaire et l’indifférence », écrit-elle dans le journal allemand Neue Solidaretät. L’intention du sommet sur le climat est selon elle non seulement de forcer les nations à réduire plus vite leuts émissions de gaz à effet de serre – y compris en bridant le développement des pays du Sud —, mais également de rétablir les Etats-Unis dans un rôle de leadership de « l’ordre mondial fondé sur des règles » — la formule fétiche des néoconservateurs anglo-américains désignant en réalité un ordre fondé sur la loi du plus fort.
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