Elections : le calvaire des mandataires financiers

lundi 19 août 2024, par Agnès Farkas

Les aventures rocambolesques d’un mandataire financier en quête d’un compte de campagne électorale

Le 9 juin 2024 soir, le président de la République a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, en application de l’article 12 de la Constitution.
(Journal Officiel du 10 juin 2024)

Par Agnès Farkas, militante S&P

Lors d’une campagne électorale, deux mondes coexistent : celui que vous livrent les médias, grâce auxquels vous assistez aux querelles entre les candidats des grands partis (enfin, ceux qui ont droit à l’audience), et l’autre, celui des « petits candidats » qui militent au quotidien pour se faire connaître auprès de la population et ceci, malgré le silence médiatique qui tente de les effacer du débat politique.

Plus encore que ce regrettable « oubli », la pression bureaucratique qui précède la campagne elle-même est faite pour décourager l’engagement citoyen, et il faut être réellement investi dans son combat politique pour affronter l’inertie confortée par notre élite.

Toute campagne électorale doit posséder un compte bancaire dédié et un candidat « hors système » fait immédiatement face à la réticence polie des banques à lui en ouvrir un. Dans cet article, j’apporte un éclairage sur les tribulations d’un mandataire financier représentant Jacques Cheminade lors des législatives anticipées de juin 2024.

Avant toute démarche auprès des banques, il faut se munir de bonnes chaussures de marche, d’un téléphone et s’armer d’une bonne dose de patience. Nous voilà équipés.

Branle-bas de combat

  • Décret n° 2024-527 du 9 juin 2024, art. 2. : « Les déclarations de candidatures seront reçues par le représentant de l’Etat à partir du mercredi 12 et jusqu’au dimanche 16 juin 2024 à 18 heures (heure légale locale). »
  • Art. 3 : « La campagne électorale sera ouverte le lundi 17 juin 2024 à zéro heure. »

Fichtre ! Pour tout dire, organiser une campagne électorale sur un an, ce n’est déjà pas si facile, surtout quand on n’a pas l’audience des grands partis, alors sur trois semaines…

Le 14 juin, la Préfecture confirmait ma désignation en tant que mandataire financier de Jacques Cheminade, candidat pour la 11e circonscription des Français de l’étranger. Ainsi investie, je laissai à mes camarades et à nos sympathisants la charge de mobiliser la population et les médias et me mis en quête d’une banque pour ouvrir un compte de campagne.

Le 15 juin, partie de bon matin à l’ouverture des agences bancaires, j’allai à la rencontre de leurs conseillers financiers. Munie au préalable d’un plan de la ville sur lequel j’avais pointé les adresses d’une dizaine de banques, je partis frapper à leur porte. Je ne peux nier que l’accueil fût des plus aimables, quelle que soit l’enseigne.

Tous prirent mon dossier, me promettant une réponse sous 15 jours. Or, nous étions le 15 juin et en ajoutant 15 jours, on arrive au 30… le jour des élections ! Ici, si vous suivez, les banques, elles, n’ont pas suivi.

Il me restait malgré tout une autre option : déposer un recours de droit au compte auprès de la Banque de France (BdF)… Mais là encore, contretemps : pour pouvoir le faire, nous devions attendre 15 jours la fameuse réponse, positive ou négative, des banques. Vous pouvez recalculer, si vous voulez.

Règlement de compte

Ici, il faut une explication : le remboursement des frais de campagne par l’Etat est engagé si le candidat a obtenu plus de 5 % des voix. Or, ce remboursement n’est possible qu’après le dépôt légal du compte de campagne et sur présentation des relevés bancaires de ce compte. Bien évidemment, si le candidat ne possède pas de compte bancaire, pas de remboursement ! Il existe une alternative : un parti politique peut prendre en charge les frais de campagne du candidat mais il ne peut demander de remboursement.

Un événement inattendu vint à mon secours. Face à l’afflux inhabituel d’appels à un recours venant de mandataires paniqués, la BdF prit une mesure exceptionnelle : « Sans aucune preuve d’un refus d’une banque, le mandataire peut déposer un recours. »

Ce que je fis immédiatement sur le conseil du médiateur de la BdF, et le 16 juin, j’obtins un rendez-vous rapide auprès de cette dernière. Je vous passe les formalités bureaucratiques. Un courrier désignant d’office une banque devait me parvenir dans les plus brefs délais. Du moins, je l’espérais…

Malheureusement, le personnel de la Banque de France se trouvant complètement débordé par le trop grand nombre de dossiers à traiter, la réponse tardait. Comme le temps de la bureaucratie n’est pas celui d’une campagne électorale, et faute de pouvoir recueillir des dons sur un compte (inexistant), le parti Solidarité & Progrès prit en charge les frais de campagne du candidat (propagande électorale et campagne sur le terrain des candidats et de leurs militants), comme il en a légalement le droit.

De plus, l’imprimeur ne pouvait attendre plus longtemps le feu vert pour produire et livrer la propagande électorale aux bureaux de vote… Un délai bien trop court de 24 heures après l’approbation de la Commission de propagande, le 17 juin, nous était imposé. Au vu de la situation, cette dernière fut d’ailleurs très coopérative. Vous êtes fort en calcul mental, sinon ne lâchez pas votre calculette !

Sans être médisante, ces élections ne pouvaient être conçues sans but éliminatoire. Comme il fallait s’y attendre, d’autres obstacles ont jonché notre parcours : contretemps supplémentaire, si la Banque de France a répondu favorablement à notre recours, son courrier ne nous est parvenu que le 15 juillet. Un retard dû sans doute aux aléas d’un service postal livré au privé ou à un personnel débordé à la BdF.

Franchissement d’étapes

Le 24 juillet, je me rends enfin à un rendez-vous avec le conseiller de la banque officiellement désignée par la Banque de France (BdF).

Eh oui ! 24 jours après le premier tour de l’élection. Nous montons ensemble un dossier qui sera envoyé à la centrale de l’agence pour l’ouverture du compte. L’attribution de mon numéro de compte ainsi que le chéquier et la carte bancaire me seront envoyés par courrier dans les 15 à 30 jours suivants. C’est encore une étape, mais ce n’est pas la fin de l’histoire.

Sitôt le compte ouvert, il faudra le fermer puisqu’il restera inactif, car nous n’avons plus le droit d’y déposer de l’argent, la date des élections étant dépassée. Bizarre ? Non, nous avons l’obligation légale d’ouvrir un compte électoral et de déposer nos comptes de campagne à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) avant le 11 octobre 2024.

Bien sûr, le compte ne sera pas exploité et il n’y aura rien à déposer à la CNCCFP. Ce qui ne veut pas dire que ces élections n’ont rien coûté puisque c’est le parti Solidarité & Progrès qui a pris en charge tous les frais de campagne. Ce « Quoi qu’il en coûte » est sûrement issu de décisions bureaucratiques au sein de gouvernements successifs. Il ne faudrait pas négliger le petit plus qui suit.

La directive européenne sur les Marchés d’instruments financiers

Après avoir monté mon dossier d’ouverture de compte, je demandai à mon conseiller bancaire : « Comment se fait-il que, quelle que soit l’agence bancaire, il y ait tant de réticence à ouvrir un compte électoral ? »

Tout de go, il me répondit que « les banques n’ouvrait un compte électoral qu’après avoir eu la réponse à un recours à la BdF ».

Bon. Je m’en doutais un peu, mais en poussant plus avant, il m’affirma que les comptes dédiés aux élections étaient « classés sensibles » par la direction des banques, suite à une directive européenne sur les Marchés d’instruments financiers (MIF) datée de 2007.

Si vous l’aviez oublié, c’était l’année de la crise des supprimes. Une crise officiellement due à

 l’afflux des défaillances des emprunteurs et des reventes de leurs maisons hypothéquées [qui] a accéléré la baisse des prix de l’immobilier. Les pertes se sont donc accumulées également du côté des prêteurs. Des établissements de crédit spécialisés se sont, les premiers, retrouvés en difficulté. »

La directive MIF, visant à améliorer le fonctionnement des marchés financiers, a été modifiée en 2023 car selon leur propre analyse, « le bilan de la directive MIF est mitigé [et] la confiance dans le fonctionnement des marchés financiers a reculé ».

De ce fait, toujours selon mon conseiller bancaire, l’étiquette « client sensible » est systématiquement accolée aux comptes de campagne politique qui n’entrent pas dans leur nouveau classement (entendez : ça ne rapporte rien). Ce qui expliquerait l’afflux exceptionnel d’appels à un recours à la BdF venant de mandataires des candidats, y compris de grands partis.

Ceci dit, si pour d’autres partis la situation est nouvelle, pour Solidarité & Progrès c’est malheureusement une constante. Les banques ont toujours rechigné à nous ouvrir un compte de campagne, même bien avant cette directive. Ainsi, l’étiquette « client sensible » nous est apposée depuis le début de nos campagnes contre l’oligarchie financière, il y a plus de 50 ans.

Voici qui conclut les aventures rocambolesques d’un mandataire financier en quête de compte de campagne électorale. Mais ce n’est toujours pas la fin de l’histoire. Nullement découragés, nous avons immédiatement repris nos actions militantes et nous vous invitons à rejoindre les équipes de Solidarité & Progrès et à les soutenir par vos dons.