Chronique stratégique du 17 janvier 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
Publiquement, rien ne semble avoir changé. Les Russes continuent à formuler leurs exigences, définies comme autant de lignes rouges à ne pas dépasser ; et les Etats-Unis répètent qu’ils refusent les conditions posées par la Russie. La secrétaire d’Etat adjointe Wendy Sherman, qui représentait les Etats-Unis dans les discussions de Genève avec la Russie, a déclaré que personne ne pouvait dénier à aucun pays son droit d’adhérer à l’OTAN s’il le souhaite.
Du côté occidental, les déclarations et attitudes publiques des uns et des autres ne manifestent aucune inclination à signer les traités proposés en décembre par la Russie, ni aucune propension à remettre en question « l’ordre international basé sur des règles » — un euphémisme qui désigne l’ordre unipolaire imposé par les Anglo-américains et leurs alliés, et qui ignore les intérêts de pays comme la Chine et la Russie.
Le seuil nucléaire abaissé
Le 13 janvier, suite aux pourparlers Russie-OTAN, le ministre russe adjoint des Affaires étrangères Alexandre Grushko a mis en garde sur le danger d’une situation qui pourrait très rapidement dégénérer, y compris en conflit nucléaire :
En menant leur politique militaire, les Etats-Unis et leurs alliés veulent assoir leur supériorité dans tous les domaines : sur terre, dans les airs et en mer, ainsi que dans les domaines spatial et cybernétique. Conceptuellement, opérationnellement et techniquement, le seuil d’utilisation des armes nucléaires est en train d’être abaissé. Nous constatons que les scénarios des divers exercices miliaires incorporent le facteur nucléaire, ce qui nous inquiète sérieusement.
La continuation de l’expansion de l’OTAN vers l’Est ne sera pas sans conséquences pour la sécurité européenne, a prévenu Grushko. « Nous avons souligné, franchement, directement, sans équivoque et sans utiliser de formules politiquement correctes, que toute nouvelle escalade de la situation peut avoir des conséquences très imprévisibles et désastreuses pour la sécurité européenne ».
De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a regretté le fait que les négociations ont été parasitées par des déclarations contre-productives : « Au cours des dernières 24 heures, nous avons constaté que les pourparlers en cours sur la sécurité sont entourés de déclarations vives et agressives de la part de responsables à Washington ».
Propagande
En effet, au cours de cette semaine de négociation, pas un jour n’a passé sans que les grands médias occidentaux – New York Times, Washington Post, CNN, le Guardian de Londres, etc – publient article après article sur les prétendus plans d’invasion de la Russie contre l’Ukraine.
Le 14 janvier, le ministère ukrainien de la Défense a affirmé détenir des informations sur un complot d’espions russes visant à lancer une opération de sabotage depuis le contesté de la Moldavie, au Sud de l’Ukraine, près de laquelle sont stationnées les troupes russes. Le même jour, Kiev a accusé Moscou d’être à l’origine des attaques cybernétiques qui ont touché les principaux sites web du gouvernement ukrainien – des accusation reprises en écho par la Maison-Blanche, dont la porte-parole Jen Paski, qui a affirmé que la Russie avait prépositionné des « agents » dans l’Est de l’Ukraine afin de déclencher une opération « sous faux drapeau » pour justifier une invasion du pays.
Ce à quoi Dmitri Peskov a répondu qu’aucune des accusations sur les soi-disant plans russes d’invasion de l’Ukraine n’a été étayée par aucun élément de preuve.
Suffisamment rare dans la presse française pour le souligner, le journal Le Figaro vient d’ailleurs de publier un article, intitulé « Dans les tranchées de l’est de l’Ukraine, cette offensive russe qu’on ne voit pas venir », qui relativise grandement la propagande actuelle de l’OTAN, et montre que certains milieux en France ne tiennent pas à cautionner une guerre nucléaire contre la Russie. Le quotidien cite plusieurs officiers de l’Armée ukrainienne présente sur le front est du pays, qui ne prennent pas au sérieux cette menace brandie par les Américains et les Européens. « Nul en Ukraine ne se risque à contredire frontalement les États-Unis : lorsqu’on est en froid avec le grand frère russe, il n’y a d’autre alternative que s’assurer le soutien américain. Mais de là à étayer l’alarmisme des Occidentaux, il y a un pas - qui paraît de plus en plus difficile à franchir à mesure qu’on s’approche de la ligne de front », peut-on lire.
Vers une détente ?
Il faut dire cependant que le simple fait que les réunions entre les Etats-Unis, l’OTAN et la Russie aient eu lieu est en soi positif. De plus, le dialogue doit se poursuivre. Le 14 janvier, le secrétaire d’Etat Antony Blinken a déclaré que l’OTAN et les Etats-Unis étaient prêts à se réunir de nouveau avec la Russie ; et Wendy Sherman a affirmé que l’OSCE pourrait constituer une plate-forme pour dé-escalader la situation en Ukraine, ce que les Russes ont proposé.
Pour l’ancien analyste de la CIA Ray McGovern, en dépit des diverses déclarations provocatrices, plusieurs signes indiquent que nous sommes sur la voie d’une détente. En effet, le président Joe Biden a accordé une concession majeure à Vladimir Poutine en acceptant le cadre de dialogue proposé par la Russie. Suite à sa discussion téléphonique du 30 décembre entre les deux présidents, le Kremlin a publié un communiqué affirmant que « Joseph Biden a souligné que Washington n’avait pas l’intention de déployer des armes de frappe offensive en Ukraine ». L’absence de cette affirmation dans le communiqué de la Maison-Blanche refléterait, selon McGovern, la volonté des Américains de ne pas donner de grain à moudre aux médias.
McGovern a également souligné le fait que le directeur général de l’OTAN Jens Stoltenberg lui-même – qui porte habituellement la ligne antirusse la plus dure – a affirmé que l’Alliance était prête à discuter non seulement de limitations, mais d’une interdiction des missiles à portée intermédiaire. Des déclarations qui n’ont pas été relevées par la presse occidentale, comme l’a fait remarqué l’ancien analyste de la CIA.
L’histoire est ainsi faite que ce moment d’extrême tension, où nous n’avons sans doute jamais été aussi près d’un conflit nucléaire, coïncide avec une occasion unique de poser les bases d’un nouveau paradigme gaulliste « de détente, d’entente et de coopération ». A condition de ne plus écouter le chant des sirènes des néocons qui, depuis Washington et Londres, tentent d’entraîner l’Occident dans une confrontation avec la Russie et la Chine…

