Par Karel Vereycken
Quelques jours avant la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine en Alaska, le 15 août, la présidente et fondatrice de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, leur a adressé un message, également transmis au président chinois Xi Jinping.
Se parler est essentiel, écrivait-elle. S’il est fondamental de normaliser les relations entre grandes puissances nucléaires afin d’écarter tout affrontement suicidaire, pour garantir une paix solide et durable, il est encore plus important de jeter les bases d’une prospérité future et partagée.
Dans cette perspective, écrit Mme Zepp-LaRouche :
Dès la dislocation de l’URSS en 1991, dans le cadre de son projet de « Pont terrestre mondial », l’Institut Schiller avait souligné la pertinence de ce grand projet infrastructurel imaginé à la fin du XIXe siècle, qui permettrait de désenclaver de vastes territoires de la Sibérie et de l’Alaska jusqu’ici privé de développement.
Les chercheurs estiment qu’il y a 20 000 ans, alors que le niveau de la mer était d’une centaine de mètres plus bas, l’Eurasie et l’Amérique ne formait qu’un seul continent, relié par une bande de terre ferme appelée la Béringie, permettant notamment la transhumance.
Aujourd’hui, les deux continents sont séparés par le détroit de Béring (82,5 km), au milieu duquel, deux petites îles distantes de 3,8 km : côté russe, la grande Diomède, et côté américain, la petite Diomède. La profondeur du détroit ne dépassant pas les 55 mètres, comparable à la Manche, ce projet se résume, en gros, à deux fois le tunnel reliant la France au Royaume-Uni.
Plutôt un tunnel qu’un pont
Pendant longtemps, ingénieurs et architectes penchaient pour la construction d’un pont enjambant les deux continents. Mais vu la force prodigieuse que peuvent exercer les masses de glace dans cette région où la température moyenne est de – 20°, l’option d’un tunnel multimodal s’est imposée.
Selon un article du Beijing Times de mai 2014, des experts ferroviaires chinois ont proposé la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse d’environ 10 000 kilomètres, reliant le nord-est de la Chine aux États-Unis, notamment grâce à un tunnel sous le détroit de Béring. Comparée au transport maritime, une liaison ferroviaire directe diviserait par quatre le temps de transport des marchandises entre les deux pays. Ce projet s’appuie sur « la technologie utilisée dans le tunnel ferroviaire à grande vitesse reliant le Fujian à Taïwan, et la technologie nécessaire est déjà en place », affirment les chercheurs chinois.
Coûts et avantages
Le coût d’une liaison russo-américaine a été estimé à 65 milliards de dollars pour le tunnel et à 249 milliards si l’on y inclut l’ensemble des interconnexions permettant d’intégrer le tunnel aux infrastructures existantes de part et d’autre.
A ce jour, les études les plus abouties du projet, présentées sur le site Interbering, envisagent :
- une ligne principale à grande vitesse et à double voie, entièrement électrifiée, d’une longueur totale de 6000 km : 103 km de tunnel multimodal, y compris 8 km sur terre ferme de chaque côté, 2844 km de chemin de fer du côté américain pour rejoindre Fort Nelson au Canada et 3850 km de chemin de fer du côté russe pour relier Uelen à Egvekinot, Zyrianka, Ust-Nera et Yakoutsk ;
- une ligne de transmission électrique, pouvant monter jusqu’à 1500 kV en courant direct, avec une capacité de 12 à 15 000 MW ;
- des lignes de télécommunications par fibre optique ;
- des oléoducs et des gazoducs. La possibilité de poser des oléoducs et des gazoducs en même temps que la ligne de transport ferroviaire est étudiée avec beaucoup d’attention. La faisabilité d’une telle combinaison est déjà discutée. Si elle est retenue, un autre avantage économique de la mise en place de cette route multimodale pourra se réaliser : on aura en effet créé les préalables économiques pour l’exploitation de gisements prometteurs de pétrole et de gaz en mer d’Okhotsk, aussi bien que dans les eaux des océans du nord.
Bien que la différence d’écartement des voies (1524 mm en Russie et en Chine, 1435 aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique) soit un obstacle conséquent à surmonter, la liaison pourra capter jusqu’à 100 millions de tonnes de fret, soit 8 % du fret mondial annuel entre l’Europe, la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Canada et les États-Unis, ainsi que l’approvisionnement en minéraux et en électricité entre les États-Unis, le Canada, la Russie et la Chine.
Soulignons qu’il s’agit bien plus que d’une simple liaison ferroviaire, c’est un véritable « couloir de développement » permettant à tout un « continent oublié » d’accéder à une plateforme infrastructurelle supérieure et d’y susciter un boom économique sans précédent. Un jour peut-être, des trains à grande vitesse traversant le détroit de Béring nous permettront-ils de voyager de Paris à New York en passant par Moscou… ou de Pretoria en Afrique du Sud à Ushuaïa en Argentine..
Tout le monde en parle
- L’ancien gouverneur de l’Alaska, Walter Hickel (1919-2010), était un porte-parole international du tunnel du détroit de Béring destiné à relier l’Eurasie aux Amériques, le qualifiant de « mégaprojet mondial » prioritaire. En avril 2007, il s’était exprimé sur ce sujet lors d’une conférence organisée par le Conseil d’étude des forces productives de l’Académie des sciences de Russie (SOPS), où était également présentée une communication de Lyndon LaRouche, intitulée « Les changements de la carte politique mondiale : Mendeleïev aurait été d’accord ».
- En octobre de la même année, Victor Razbegin, vice-président du SOPS, a présenté le projet lors d’une conférence de l’Institut Schiller à Kiedrich, en Allemagne.
- « La véritable fin de la Guerre froide, la pierre tombale sur le conflit entre les deux blocs, la chute du mur économique et idéologique qui divise encore le monde globalisé, est un tunnel sous la mer de 100 km de longueur. Le grand rêve nourri par le scientifique russe Mendeleïev [auteur du célèbre tableau périodique des éléments], suggéré par le seizième président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, et repris au bout du compte par l’économiste américain Lyndon LaRouche en 1987, va devenir réalité. » Voilà ce qu’écrivait le 11 avril 2012 la section Histoire du quotidien italien La Repubblica sous le titre : « Le tunnel USA-Russie mettra fin à la Guerre froide », en commentant l’annonce par le directeur de la Société russe des chemins de fer Vladimir Iakounine qu’une décision pour construire le tunnel en question pourrait être prise dans les années à venir.
- Plus récemment, Gilbert Doctorow, analyste américain basé à Bruxelles, déclarait dans une interview du 8 août à RT, que les projets économiques communs devraient être un sujet clé entre Trump et Poutine le 15 août, soulignant notamment : « Kirill Dmitriev, directeur du Fonds d’investissement direct [russe], a été partie prenante de toutes les discussions. Et chacun sait qu’il soutient l’idée ancienne d’un pont-tunnel reliant la Russie et les États-Unis au-dessus du détroit de Béring. »
- Dans RIA Novosti du 11 août, Sergueï Gavrilov, membre de la Douma d’Etat russe et chef de son Comité sur la propriété, la terre et les relations de propriété, a identifié pour sa part les sujets de coopération en matière d’infrastructures qui devraient être discutés entre les présidents Trump et Poutine. « À cet égard, l’ordre du jour [du sommet du 15 août] pourrait également inclure des projets plus ambitieux, jusqu’alors restés à l’état de concept. Parmi eux figurent des idées de construction d’un réseau de transport traversant le détroit de Béring, élaborées sous diverses formes à l’époque soviétique, notamment un barrage, un pont ou un tunnel. » Il affirme, comme le rapporte RIA Novosti : « Une transition d’infrastructure phare entre la Russie et les États-Unis pourrait devenir un symbole d’une telle interaction, capable de devenir un élément d’un système plus large de coopération internationale dans les régions de l’Arctique et du Pacifique, en tenant compte des intérêts non seulement des deux pays, mais aussi de l’état de la région Asie-Pacifique. » Gavrilov, qui fait également partie du Conseil financier national de la Banque de Russie, suggère que les avoirs russes gelés aux États-Unis pourraient théoriquement être utilisés pour cofinancer des projets d’infrastructure, stimuler les liens économiques et attirer des capitaux privés.
- L’ancien lieutenant-gouverneur américain de l’Alaska, Mead Treadwell, a déclaré à TASS le 13 août : « Si ce sommet peut marquer le début d’une nouvelle ère de paix, ce sera un soupir de soulagement pour le monde et, peut-être, un renouveau d’engagement constructif entre les peuples de l’Arctique. » Bien qu’il n’ait pas cité nommément le corridor du tunnel du détroit de Béring dans cette interview, il en est un partisan de longue date.
- Pour sa part, dans un interview avec l’agence russe TASS, le professeur américain Peter Kuznick, directeur de l’Institut d’études nucléaires de l’Université américaine de Washington, DC, a appelé à une coopération entre la Russie, les États-Unis et peut-être d’autres pays, sur des projets de développement conjoints dans l’Arctique, « et peut-être un tunnel sous le détroit de Béring reliant la Russie et les États-Unis par des lignes à grande vitesse ». Ce type de collaboration, a-t-il précisé, pourrait « remettre le monde sur la voie de la paix ». « J’aimerais voir une réunion de suivi entre Trump, Poutine et Xi Jinping lors des commémorations de la Seconde Guerre mondiale [le 3 septembre] en Chine. Ce serait encore mieux si [le Premier ministre indien Narendra] Modi et [le président brésilien] Lula [da Silva] y participaient également » a-t-il conclu.
- Au Mexique, le 12 août, le message de Mme Zepp-LaRouche a été publié sur le site web Voces del Periodistas, relayé par des journalistes hispaniques, dont beaucoup issus de médias alternatifs. Il figure également à la fin d’une tribune d’Hugo Lopez Ochoa, publiée le 10 août dans le dossier Politico de Sonora sous le titre « Une nouvelle opportunité de paix émerge ; Zepp-LaRouche appelle à une réunion tripartite Trump, Poutine, Xi Jinping ».
- Au Brésil, l’influent site économique Monitor Mercantil a publié le 12 août un article de son rédacteur-en-chef, Marcos de Oliveira, reprenant la question posée par Zepp-LaRouche à propos du sommet du 15 août en Alaska : « Que peut-on faire pour parvenir à une paix durable, au-delà d’un simple accord mettant fin aux conflits ? » L’auteur aborde le concept de collaboration pour le tunnel du détroit de Béring, avec de larges citations de son texte.
- En Europe, Claudio Celani, co-rédacteur-en-chef du service d’Alerte EIR, basé en Allemagne, et le professeur Enzo Siviero, recteur d’eCampus (université en ligne) en Italie, surnommé le « bâtisseur de ponts », ont appelé le 9 août les présidents Poutine et Trump à s’inspirer de la décision italienne de construire le pont de Messine, qui reliera le continent à la Sicile, pour lancer la construction du tunnel sous le détroit de Béring : « Le pont de Messine rapprochera l’Europe de l’Afrique, et les deux continents feront enfin partie du pont terrestre mondial lorsque le prochain projet, la connexion entre la Sicile et la Tunisie, ou TUNeIT, sera construit. Avec ces grands projets d’infrastructure et le tunnel sous le détroit de Béring, l’humanité peut nourrir le rêve de relier tous les continents dans un avenir sans guerre, fondé sur la coopération. »






