Bien commun et dignité

mercredi 29 octobre 2025, par Jacques Cheminade

Tous les mois, retrouvez l’éditorial de Jacques Cheminade pour notre revue Nouvelle Solidarité !

Une lame de fond parcourt le monde. C’est l’exigence de tous les peuples qui ont été colonisés, par les armes ou par l’argent, d’exercer leur droit à l’auto-détermination. Elle se manifeste sans uniformisation, sous divers régimes, au sein des BRICS, du Sud global et de la majorité mondiale, mais avec une volonté commune : le respect de leur souveraineté. En France, nous sombrons de nouveau dans le régime des partis. Face à la lame, tous restent sur les berges de l’histoire. Pire, le président de la République pratique le mépris de classe et c’est pourquoi 60 % des Français souhaitent sa démission, mais les autres ne représentent pas beaucoup mieux notre peuple. Car tous demeurent dans la gestion de clientèle. Le RN se fait passer pour l’ami des « victimes » de souche et pratique une logique de vengeance vis-à-vis de « l’autre », l’immigré. LFI multiplie les promesses de justice sociale mais sans les moyens de les tenir, en divisant pour régner, à sa façon. Au centre, siègent des riches et des diplômés, maîtres des codes culturels de classe, qui n’ont jamais compris les pauvres, les « sans dents » de François Hollande ou « les gens qui ne sont rien » d’Emmanuel Macron.

Alors, que faire ? Agir pour que tout être humain soit reconnu dans sa dignité. Le reconnaître exige une politique du bien commun, dans chaque pays du monde, quelle que soit sa taille, et de même pour chaque citoyenne et citoyen au sein de notre propre pays. Ce qui vaut pour le bien des nations vaut également au sein de chacune d’entre elles, et la nôtre devrait être exemplaire. La majorité des peuples du monde vit dans des conditions de détresse. Cela va de l’élimination physique et de la faim jusqu’à la souffrance au travail. Le bien commun consiste à offrir à tous un travail, non pour survivre mais pour exercer ses capacités créatrices, ce qui définit réellement un travail humain sans asservissement. Le livre que je viens d’écrire, Répondre au cri du peuple, s’efforce de fournir des repères pour y parvenir.

Sans angélisme, car gagner le droit de tous à participer aux décisions qui nous concernent tous est le défi qui n’a encore jamais été relevé. C’est un impératif. Chez nous, hier, les conditions de vie étaient pires qu’aujourd’hui, mais on vivait avec l’espérance qu’elles deviendraient meilleures, pour nous-mêmes et les enfants à venir. C’est cette espérance que l’engagement pour le bien commun nous permettra de retrouver. Dans le monde, avec une société polyphonique, dans laquelle chacun apporte sa plus belle voix pour créer dans le chœur des nations un ensemble meilleur. C’est ainsi que la liberté peut s’harmoniser à l’égalité et engendrer la fraternité.

Nous sommes tous sur le même bateau.

Encore une fois, sans angélisme. Car nous sommes à un moment de l’histoire où le système financier dominant risque d’engendrer un chaos économique et social, l’effondrement culturel un pessimisme destructeur et une guerre nucléaire dont De Gaulle, Kennedy, Khrouchtchev et Paul VI étaient conscients qu’elle pouvait anéantir notre espèce. Le réalisme consiste à y échapper. Par le haut : en multipliant les projets économiques incorporant, sous forme de technologies nouvelles, les découvertes de principes physiques nouveaux, afin d’accroître la capacité d’accueil chez nous et dans le monde. Cet accroissement de la productivité, avec la fusion thermonucléaire associée à l’intelligence artificielle, permettra d’échapper à un monde de ressources limitées. Le blocage à un stade de développement engendrerait fatalement la guerre de tous contre tous. Les seigneurs de la tech de Silicon Valley et leur prétention de monopoliser les données du monde, avec les capitaux fictifs des cryptomonnaies, sont la caricature criminelle de ce danger.

Il n’y a pas d’issue qui ramène au passé. Nous sommes tous sur le même bateau. Le défi est de l’empêcher de devenir un bateau ivre ou la Nef des fous. Pour cela, nous devons nous efforcer de saisir le gouvernail, nous engager pour éviter que le bateau se fracasse sur les récifs, comme Pantagruel dans le Quart Livre de Rabelais, sans geindre comme Panurge ou faire la guerre comme Picrochole.