Pavel Durov, fondateur et dirigeant de la plateforme de messagerie Telegram, a été arrêté au Bourget, le 24 août, par les autorités françaises, suite à un mandat de recherche émis par l’OFMIN, l’agence chargée de la lutte contre les violences faites aux mineurs.
Durov est entendu dans le cadre d’investigations lancées pour des infractions relevant de la « criminalité organisée », dont le refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi et association de malfaiteurs. L’information judiciaire porte au total sur douze infractions dont, selon Le Figaro,
la complicité d’administration d’une plateforme en ligne pour permettre une transaction illicite en bande organisée, de détention et de diffusion de l’image d’un mineur présentant un caractère pédo pornographique, d’infraction à la législation sur les stupéfiants, d’escroquerie en bande organisée ainsi que le blanchiment de crimes ou de délit en bande organisée et la fourniture de prestations de cryptologie visant à assurer des fonctions de confidentialité sans déclaration conforme.
Durov, en refusant de « modérer » les contenus de sa messagerie et de coopérer avec la police, est jugé complice de ces infractions.
Fabrice Epelboin, spécialiste reconnu des réseaux sociaux et professeur sur ces questions à Sciences Po Paris, a donné son avis sur cette affaire lors d’un entretien à France Info le 26 août.
Avec plus d’un milliard d’utilisateurs revendiqués, la messagerie Telegram peut abriter des forums, ou des des blogs, ce qui « est d’ailleurs son usage dominant dans des territoires comme la Russie », rappelle cet expert.
Mais elle est surtout recherchée pour sa messagerie « chiffrée » et donc protégée - comme WhatsApp ou Signal - « pour peu que vous ayez activé la fonction de chiffrement, alerte le spécialiste, et c’est là, tout le mystère de Telegram : c’est considéré, encore aujourd’hui, par beaucoup de monde comme étant quelque chose de très sécurisé et de très respectueux de votre vie privée, alors que c’est sans doute la pire application qui soit pour avoir des communications qui respectent votre vie privée ».
Si la plupart de ces contenus n’ont rien de répréhensible, on peut trouver, « à la marge, du trafic de drogue, de la prostitution de mineurs, de la vente d’armes, tout un tas de choses parfaitement illégales », reconnaît Fabrice Epelboin.
Et s’il n’y a aucune modération, c’est que l’application relève d’un modèle de gratuité, sans revenus, « donc il n’y a absolument aucun moyens à mettre en face en matière de modération », explique-t-il. Telegram assure pourtant se conformer aux lois de l’Union européenne. « C’est financièrement impossible. Il n’y a absolument pas de quoi payer des équipes de modérateurs. Et pire encore, il n’y a même pas de quoi avoir des interlocuteurs qui répondent aux injonctions de la justice », assure Fabrice Epelboin. « Même Facebook, qui fait des profits considérables », n’a pas non plus les moyens adéquats pour pourvoir à la modération de contenus bien trop nombreux chaque jour.
Il rappelle que « les Chinois, qui sont à peu près 800 millions sur les réseaux sociaux chinois, alignent plus de deux millions de modérateurs. Ça donne une idée de la masse salariale qu’il faudrait à Facebook pour répondre à des exigences telles que la Chine ! Mais aujourd’hui, l’Europe exige une réactivité sans faille ».
Epelboin concentre ses attaques sur la loi sur les services numériques (DSA) de l’UE, qui est actuellement au centre d’une offensive européenne légitime visant à réprimer la criminalité dans les réseaux sociaux. Il est à noter que jusqu’en juin dernier, l’UE tentait d’imposer une autre politique de ce type aux réseaux sociaux, appelée CSAR (règlement relatif aux abus sexuels sur les enfants) qui aurait obligé les services de messagerie à scanner tous les échanges se déroulant sur leurs plates-formes ! Cette politique a rencontré une forte opposition de plusieurs côtés, notamment de la part de Signal, l’autre réseau social crypté, qui a menacé de se retirer complètement de l’Europe si cette politique était adoptée. En clair, l’UE utilise ce qui est un vrai problème pour essayer de tuer tous les réseaux d’opposition à « l’ordre » occidental qui utilisent Telegram pour communiquer.
Ce serait également un énorme problème pour les Russes, qui tous, y compris l’armée, utilisent Telegram pour des communications ordinaires. Selon certains analystes, l’UE, c’est-à-dire l’oligarchie occidentale, tente de porter les choses au niveau d’une épreuve de force mondiale avec les réseaux sociaux. N’est-ce pas « un cran de plus dans le garrot qui se met en place ? » s’inquiète Marc Baudriller.
D’après le site européen Euractiv, « Le 12 août, Thierry Breton avait envoyé une lettre à Elon Musk pour l’exhorter à veiller à ce que X respecte les normes de l’UE, en particulier le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), et modère correctement les contenus de son réseau, après le débat qu’il avait organisé avec le candidat à la présidence des États-Unis, Donald Trump. ».
Selon Fabrice Epelboin, « vraisemblablement, on va s’orienter vers une fermeture de Telegram, plus exactement une censure de Telegram, ce qui créera un grave précédent, soit vers des accords qui permettront à la justice, aux services de renseignement et à la police d’espionner les utilisateurs de Telegram, ce qui provoquera naturellement sa chute au profit d’autres plateformes ».


