Conférence de Munich sur la sécurité : muscles, arrogance et paranoïa

vendredi 23 février 2018

Face au formidable vecteur de développement et de coopération que représentent les Nouvelles Routes de la soie initiées par la Chine, avec chaque jour de nouveaux projets ou de nouvelles nations rejoignant l’initiative, les chiens de garde du vieux système impérial se sont réunis à Munich, en Bavière, pour la 54e édition de la conférence annuelle sur la sécurité internationale, le « Davos de la Défense ».

Cinquante ans en arrière

Ceux qui ont aimé le Docteur Folamour de Kubrick ou le film Treize jours sur la crise des missiles de Cuba adoreront ce nouvel épisode. Sauf bien entendu qu’il ne s’agit pas d’une fiction. Tous les ingrédients ont été jetés pêle-mêle dans la grande marmite des tensions internationales : rhétorique provocatrice, dramatisation surjouée, etc. ; le tout sur la base du narratif du siècle précédent des gentils Occidentaux démocrates contre les méchants États « voyous » ou « révisionnistes ». Les esprits avaient d’ailleurs été échauffés à l’avance (heureuse coïncidence !) par l’inculpation annoncée en fanfare par le procureur spécial Robert Mueller de treize citoyens russes, dans le cadre de l’enquête sur le « Russiagate ».

Wolfgang Ischinger, l’organisateur de la conférence et ancien ambassadeur allemand à Washington, a affirmé sur un ton grave que « le monde est très proche de l’abîme, d’un conflit entre États, et nous devons reculer face à cet abîme ». Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a rappelé dans un discours aux accents de guerre froide que Munich était plus proche de Pyongyang que Washington. Que les Allemands de l’Ouest se le disent !…

De son côté, H.R. McMaster, le conseiller américain à la sécurité nationale, a prévenu : « Nous sommes face à une série de menaces communes ; des régimes voyous mettent en péril la sécurité internationale au Moyen-Orient et en Asie du Nord-Est ». Puis, il a ajouté : « Nous savons que la Syrie et la Corée du Nord ne sont pas les seuls États voyous à développer, utiliser, propager des armes dangereuses ». Sans doute avait-il à l’esprit l’Arabie saoudite et ses hordes de barbares djihadistes, les États-Unis d’Obama, la Grande-Bretagne de Cameron, ou encore la France de Fabius et Le Drian… ?

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a déploré l’absence de stratégie de l’Occident pour « gérer » la Chine et la Russie, qui « essaient constamment de mettre à l’épreuve et de saper l’unité [de l’UE] ». Avec son initiative la Nouvelle Route de la soie, « la Chine développe un système concurrent complet ; un système différent du nôtre qui n’est pas basé sur la liberté, la démocratie et les droits de l’homme individuels. La Chine semble avoir une véritable idée stratégique globale et poursuit cette idée avec persévérance ».

Discorde chez les Occidentaux

La presque parfaite unité dans l’hystérie anti-russe et anti-chinoise n’a cependant pas suffi pour cacher les importantes dissensions entre Européens et Américains à propos de la contribution de l’Europe à la sécurité internationale. Les Otanistes ont tenu à rappeler à l’ordre les Européens – et en particulier les Français et les Allemands –, voyant d’un mauvais œil leur projet de Défense européenne. Le grand patron de l’OTAN Stoltenberg a consacré une bonne partie de son allocution à souligner le fait que « l’UE ne peut pas protéger l’Europe à elle toute seule ». Autant pour ceux qui nourrissaient encore l’illusion d’une Europe forte et indépendante…

En contrepoint à l’intervention de son collègue Sigmar Gabriel, le ministre allemand du Développement Gerd Müller a sévèrement critiqué la conférence de Munich pour n’avoir accordé aucune attention à l’Afrique, ce continent n’étant placé par les participants qu’en dixième position seulement sur l’échelle des risques mondiaux. Müller, qui n’est pas certain d’être reconduit dans le futur gouvernement, a regretté que l’UE se recroqueville dans sa forteresse face aux afflux de migrants, tout en n’allouant qu’un « misérable » budget de 6 milliards d’euros au développement de l’Afrique, alors que ce continent a désespérément besoin d’investissements dans les infrastructures à grande échelle, pour soutenir l’emploi et l’entrepreneuriat. Le ministre allemand défend d’ailleurs un projet visant à ramener 10 000 réfugiés irakiens dans leur pays afin de participer à la reconstruction.

Main tendue de la Chine

En réponse à la rhétorique grossière de Munich, la présidente chinoise de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale, Fu Ying, a publié une tribune dans l’édition spéciale du mensuel German Times, dans laquelle elle assure que si la Chine compte en effet « jouer un rôle dans les affaires mondiales et apporter une contribution encore plus grande à l’humanité », cela « ne signifie pas que le modèle et l’idéologie de la Chine doivent être exportés », contrairement au monde occidental qui, sous impulsion américaine, « a tenté d’occidentaliser le monde entier en exportant ses propres valeurs et modèles ». Tentatives qui « ont non seulement échoué à résoudre de vieux problèmes, mais en ont aussi créé de nouveaux », ajoute Mme Fu (source : french.china.org)

« La Chine veut promouvoir la création d’un nouveau type de relations internationales, avec une plus grande importance accordée à une paix durable, à une sécurité universelle et à une prospérité commune, appelant à la construction d’une communauté de destin partagé pour l’humanité », écrit-elle. « Ce ne sont pas seulement nos attentes pour l’avenir du monde, mais c’est aussi une nécessité pour notre développement domestique ».

Les commentaires de Fu Ying mettent en évidence la différence fondamentale entre le jeu à somme nulle des intérêts financiers transatlantiques et la philosophie gagnant-gagnant accompagnant les Nouvelles Routes de la soie.

À nous de nous battre pour que les gouvernements d’Europe et des États-Unis renvoie les dinosaures de Wall Street, de la City et de l’OTAN dans les musées du XXe siècle, et rejoignent ce nouveau paradigme. Nous n’allons tout de même pas mourir de soif auprès de la fontaine ?