Sommet Trump-Kim : l’impossible devient possible

vendredi 15 juin 2018

Mardi à Singapour, Donald Trump et Kim Jong-un ont signé tous deux la déclaration conjointe engageant leurs pays dans un processus de pacification passant par la « dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Au moment d’apposer sa signature, Trump a dit : « le passé ne doit pas définir le futur ».

Pour la première fois de l’histoire, un président américain rencontrait un dirigeant nord-coréen et lui serrait la main. La guerre de Corée, conflit hérité de la Guerre froide et « gelé » depuis 70 ans, peut enfin devenir une chose du passé. Comme l’a fait remarquer Jacques Cheminade sur son compte twitter, il s’agit d’une défaite cuisante du camp des néoconservateurs aux États-Unis, qui ont dominé la politique extérieure américaine depuis l’administration Bush Jr. L’ex-basketteur Dennis Rodman, l’ami de Trump et de Kim qui a joué un rôle important dans le dialogue entre les deux dirigeants, a d’ailleurs rappelé qu’Obama s’était opposé à l’ouverture d’un tel dialogue lorsqu’il était président.

Trump a annoncé qu’il ordonnera, comme promis dans sa campagne, le retrait des 32 000 soldats américains qui se trouvent actuellement en Corée du Sud. « Tout le monde peut faire la guerre, mais seuls les plus courageux savent faire la paix », a-t-il déclaré. Abondant dans ce sens, Kim Jong-un a expliqué que « le chemin pour en arriver là n’était pas facile. Le passé nous agrippait les chevilles, et les vieux préjugés et vieilles pratiques nous bouchaient la vue et les oreilles. Nous sommes ici après avoir surmonté tous ces problèmes ».

Pendant leur entrevue, qui a duré cinq heures, Trump a montré à Kim un film de quatre minutes réalisé par le Conseil de sécurité nationale présentant les deux alternatives qui s’offrent à la Corée du Nord et au monde – la vieille voie de la confrontation et des préparatifs de guerre, ou la nouvelle voie de développement et de coopération –, et rappelant que rares sont les dirigeants qui se montrent capables d’agir d’une façon telle que les querelles du passé ne définissent pas les conflits du futur.

Un véritable optimisme a immédiatement embrasé la péninsule, la région et une bonne partie du monde. Il est donc possible de surmonter des conflits qui semblaient devoir persister à jamais ! En Corée du Sud, des tonnerres d’applaudissement ont éclaté dans tout le pays. Les rues de Séoul et des autres villes sud-coréennes étaient pleines d’enthousiasme et d’exubérance. Le journal britannique The Independent rapporte que « les Sud-coréens étaient subjugués par le spectacle des deux leaders se saluant l’un l’autre, se serrant la main chaleureusement, et se parlant comme de vieux amis ».

Le président sud-coréen Moon Jae-in, dont on rapporte qu’il n’aurait pas dormi de la nuit dans l’attente anxieuse du résultat du sommet, est apparu tout souriant et applaudissant aux côtés des ministres de son gouvernement. Il a ensuite exprimé son espoir que « le succès de ce sommet apporte une dénucléarisation complète, la paix et qu’il ouvre une nouvelle ère » dans les relations entre les deux Corées et les États-Unis.

La plupart des dirigeants du monde ont positivement accueilli ce résultat, y voyant une percée fondamentale et un pas décisif vers la paix. C’est bien entendu le cas des Russes, des Chinois, des Indiens, des Philippins, des Israéliens, etc, et même de certains Européens, comme la dirigeante de la diplomatie européenne Federica Mogherini, qui a décrit le sommet comme « une étape cruciale et nécessaire » pour concrétiser les développements positifs réalisés dans les relations inter-coréennes.

Les médias occidentaux, une fois n’est pas coutume, n’ont pas partagé cet enthousiasme, englués dans le scepticisme cynico-dépressif qui les caractérise. L’agence de presse britannique Reuters, par exemple, a tenté de semer la zizanie en prétendant que le commandement militaire américain avait été pris de court par l’annonce de Trump sur l’arrêt des exercices militaires en Corée du Sud, avant d’être démenti par la Maison-Blanche. Le journal londonien The Economist a maugréé sur le fait que les deux dirigeants auraient signé « le plus fade des accords », et que la chose la plus substantielle de la rencontre « est sans doute la tarte au chocolat servie lors du déjeuner de travail ».

Aux États-Unis, si une bonne partie du leadership du Parti démocrate s’est montré incapable de sortir, même temporairement, de son mode anti-Trump, un groupe de quinze députés démocrates du Congrès a envoyé une lettre à la Maison-Blanche afin d’apporter au président tout leur soutien pour les « efforts de diplomatie directe entretenus avec la Corée du Nord ». Par ailleurs, les quatre cinquièmes de la population américaine sont derrière Donald Trump.

L’esprit de la Nouvelle Route de la soie, moteur du processus de paix

Le Global Times, journal institutionnel chinois, note dans son éditorial du 12 juin : « Une certaine force pousse ces choses apparemment impossibles à devenir possibles. Cette force est la nouvelle logique de la politique internationale au XXIe siècle ». Puis, revenant sur le débat sur Confucius et Mencius qui s’est tenu à l’occasion du sommet de l’Organisation de la coopération de Shanghai à Qingdao, le journal écrit : « Les États-Unis devraient emprunter un peu de sagesse à la philosophie orientale. Si cela peut favoriser des interactions avec la Corée du Nord et mettre fin à son attitude hostile à l’égard du pays, les choses ne pourront que s’améliorer ».

De son côté, le célèbre journaliste Pepe Escobar fait remarquer dans les colonnes du Asia Times que l’accord signé entre le président Trump et le président Kim Jong-un est plutôt plus cohérent avec la proposition de « double gel » mise de l’avant par la Chine et la Russie depuis plusieurs mois, qu’avec l’approche impliquant la dénucléarisation inconditionnelle de la Corée du Nord, qui a prévalu un temps au sein de l’administration américaine.

Escobar ajoute que ces développements sont liés à ce dont la Corée du Nord, la Corée du Sud et la Russie avaient discuté au sommet de Vladivostok en septembre dernier : « l’intégration économique entre la Russie et les deux Corées, qui comprend la connexion essentielle entre le futur chemin de fer Trans-coréen et le Transsibérien ». Il s’agit de l’intégration eurasienne, insiste le journaliste : accroissement des échanges commerciaux entre la Corée du Nord et la Chine du Nord-Est, concernant principalement les provinces de Liaoning, Jilin et Heilongjiang, et « connectivité physique totale des deux Corées avec le cœur de l’Eurasie. C’est un nouvel exemple où se rencontrent la Nouvelle Route de la Soie, ou l’initiative de la ceinture et de la route [« Belt and Road Initiative », ou BRI], et l’Union économique eurasienne (UEEA) ».