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- Entre camarades de gauche, on est solidaire ! De gauche à droite : Michel Sapin, Villeroy de Galhau, Valls et Macron.
Le banquier François Villeroy de Galhau succèdera en novembre à Christian Noyer comme gouverneur de la Banque de France. Une nomination qui interpelle.
Brillant énarque passé par l’Inspection des finances et polytechnicien, VdG, comme le surnomment ses proches, est avant tout un grand catholique et un « homme de gauche ». Agé de 56 ans, parlant couramment l’allemand, ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn (DSK), la presse le présente comme « un vieux compagnon de route de la gauche ». Pourtant, après une vie « au service de l’Etat », VdG travaille depuis 2003 comme directeur général adjoint délégué du géant bancaire français BNP Paribas. Douze ans passés dans le privé qualifiés depuis peu de simple « parenthèse ».
Alors que Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, dont la candidature était soutenue par Karine Berger et Valérie Rabault, deux députées socialistes membres de la commission de Finances, offrait le CV idéal et était pressenti pour ce poste, c’est en finale la vieille dame de la rue d’Antin qui est passée en force en imposant son candidat VdG !
Certes, au moment où à Bruxelles, l’idée d’une séparation bancaire (sous forme de filialisation) risque de « ruiner » les grandes banques systémiques françaises, le lobby bancaire français est vent debout. Pour ce dernier, la chanson n’a pas changé : toute réforme bancaire de type Glass-Steagall n’est ni plus ni moins qu’un vilain « complot anglo-américain » visant à torpiller les concurrents européens, donc français.
Membre de « la secte » des inspecteurs des finances, VdG « cochait toutes les cases ». Pour son ami, le secrétaire général de la présidence Jean-Pierre Jouyet, pendant un temps président pour la France de la banque britannique Barclays et ex-ami de Sarkozy, c’était donc le candidat parfait pour succéder à Christian Noyer, dont le mandat s’achève fin octobre comme gouverneur de la Banque de France. Avis rapidement partagé par des députés avant tout soucieux d’éviter de se mettre à dos le lobby bancaire. « C’est un candidat de très grande qualité », ont déclaré en cœur Gilles Carrez, président de droite de ladite commission, et son vice-président de gauche, Dominique Lefebvre.
Comme une lettre à la poste. Proposée le 8 décembre par François Hollande, la candidature de VdG est avalisée le 29 septembre, avec 34 voix pour, 8 contre et 1 vote blanc (43 votants), par les membres de la commission des Finances et officialisée dès le lendemain en conseil des ministres.
Conflit d’intérêt... Quel intérêt ?
Cette nomination a tout de même suscité quelques interrogations, en particulier celle du « conflit d’intérêt manifeste » pouvant apparaître entre l’intérêt général et des intérêts privés avec qui le candidat continuera forcément à partager quelques affinités.
Car, comme le rapporte un article paru dans Marianne (18 septembre), VdG est
un habitué du lobbying au service de BNP Paribas. Lors de la réforme bancaire de 2013, il avait déjà fait la tournée des parlementaires pour leur expliquer en quoi la séparation des activités de dépôt et de marché était une très mauvaise idée.
Dans une séquence qui n’est pas sans rappeler les pires scènes de la Sainte Inquisition, VdG, par ailleurs membre du conseil de surveillance du groupe Bayard (propriétaire, entre autres, du quotidien La Croix), est
allé jusqu’à convoquer dans son bureau un célèbre économiste jésuite prônant un peu trop bruyamment la séparation, pour prêcher auprès de lui la bonne parole en lui conseillant de se concentrer sur l’exégèse biblique plutôt que sur des sujets aussi fastidieux et complexes que la technique bancaire ! Face au refus dudit jésuite, il se rendra même dans la communauté, où les deux hommes auront une vive altercation. ‘Votre appartenance religieuse est problématique’, lui lâche alors VdG qui va même jusqu’à questionner la santé mentale de son interlocuteur.
Il est permis de douter qu’un homme, qui ne voit aucun conflit d’intérêt entre les pratiques usuraires de BNP Paribas et la religion qu’il prétend pratiquer, ou entre les dépôts des clients et les risques insensés pris par les traders du back office, soit capable d’identifier, le cas échéant, le conflit d’intérêt entre les amis de sa banque « universelle » et l’intérêt général des Français. Rappelons que la nomination d’un banquier venu du privé à la tête de l’instance de régulation de tout le système financier français est en effet sans précédent depuis plus d’un demi-siècle.
Or, pour de nombreux économistes, en cas de nouvelle tempête financière, le fonds de résolution bancaire créé dans le cadre de l’Union bancaire serait nettement insuffisant pour éponger les pertes des établissements financiers européens (il atteindra 55 milliards d’euros à l’horizon 2013, alors que le bilan de la seule BNP Paribas est de plus de 2000 milliards d’euros !).
Dans ce cas, comme le souligne Marianne, « les problèmes de faillites bancaires pourraient bien revenir au niveau de chaque pays. Or, depuis la réforme bancaire de 2013, l’organisme chargé de traiter ce type de sujets est un collège de six personnes présidé par… le gouverneur de la Banque de France ».
« Comment réagirez-vous si se pose un jour [à Francfort] le problème de la résolution [intervention publique avant la faillite d’une banque] de BNP Paribas ou plus encore, d’un concurrent de BNP Paribas ? », l’a interpellé lors des auditions Karine Berger, députée socialiste des Hautes-Alpes. Et sans remettre en question sa compétence, elle a même osé cette pique : « De même qu’on ne nomme pas les toreros à la commission de protection des animaux, il eût mieux valu vous proposer un poste ailleurs… »
Même souci pour près de 150 économistes et universitaires qui, dans un appel publié le 15 septembre dans Le Monde, ont invité les parlementaires à ne pas approuver cette nomination. « Il serait illusoire d’affirmer, écrivaient-ils, qu’on peut servir l’industrie bancaire puis en assurer le contrôle avec impartialité et indépendance. »
Pour une des économistes à l’origine de cet appel :
On ne peut pas laisser la finance dicter ses choix politiques et placer à la tête d’une Banque centrale ou d’une autorité de supervision une personnalité issue du secteur bancaire, argue-t-elle. François Villeroy de Galhau a défendu les intérêts des banques et de BNP Paribas pendant douze ans. Comment pourrait-il changer subitement ses positions pour incarner l’intérêt général ?
Pour sa part, lors des auditions, François Villeroy de Galhau a eu à cœur de démontrer qu’il était un homme intègre. « J’ai mes limites comme chacun mais je suis un homme libre, a-t-il plaidé. Libre notamment de tout engagement vis-à-vis de BNP Paribas. » Mais ça, évidemment, vous n’êtes pas obligé de le croire.
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