Par Guillaume Dubost, président d’Agora Erasmus, Bruxelles
Alors que les chômeurs sont poussés de force vers la charité sociale, que des agriculteurs se suicident chaque jour et que, faute d’entretien, la pluie menace les tableaux de la Renaissance flamande dans les musées royaux de Belgique, la résistance citoyenne et associative contre les politiques d’austérité européenne s’est défendue devant la Cour constitutionnelle de Belgique.
C’est dans une salle d’audience pleine que le mercredi 24 février, les douze juges de la Cour ont entendu les différents argumentaires pour ou contre l’annulation de la loi du 18 juillet 2013, portant assentiment au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Une cinquantaine de citoyens engagés étaient venus soutenir les représentants des plaignants à l’origine des recours déposés en 2014 devant la Cour constitutionnelle, par la Ligue des droits de l’homme, la CNE, la CGSP de Bruxelles et des citoyens issus de mouvements sociaux et de partis politiques, comme Constituante et VEGA.
Les avocats des gouvernements fédéral et flamand se sont limités à rappeler les conclusions de leurs mémoires, c’est-à-dire que la loi d’assentiment du TSCG n’est en rien incompatible avec la Constitution belge. Par contre les plaidoyers passionnés des requérants, soit sur le fond juridique du dossier, soit sur le caractère inhumain de ce traité avec ses conséquences économiques, sociales et politiques, furent tous chaleureusement applaudis, le président de la Cour devant réclamer le silence.
Le TSCG, vous vous en souvenez ?
En 2011, alors même que le Six-pack, qui durcit le pouvoir de contrôle de la Commission européenne sur des règles budgétaires toujours plus austères, n’était pas encore adopté par le Parlement européen, Merkel et Sarkozy proposaient une « règle d’or sur l’équilibre budgétaire ». Après le refus du Royaume-Uni et de la République tchèque, les 25 autres membres de l’Union européenne signent le 2 mars 2012 le TSCG. La Belgique fut la dernière à ratifier le traité en mars 2014, nécessitant le vote de neuf assemblées dans l’ensemble du pays.
Ce traité tend de la manière la plus intrusive et la plus contraignante à figer au plus haut niveau des droits nationaux, des règles budgétaires chiffrées précisément et les pouvoirs spéciaux de la Commission européenne. Il sert alors de levier pour détruire les droits sociaux, économiques et politiques des peuples à disposer d’eux-mêmes, réduisant les élus à de simples comptables incapables d’offrir un avenir.
La « règle d’or » fixe dans la Constitution belge la limite du déficit structurel à 0,5 % du PIB, si notre dette est supérieure à 60 % du PIB. Le mécanisme européen automatique permet à la CE de contraindre dans chaque Etat la trajectoire budgétaire, en Belgique au travers du Conseil supérieur des finances. Et en cas de procédure pour déficit excessif, elle pourra aussi imposer des réformes structurelles sur les salaires, l’indexation ou les pensions.
Le recours contre le TSCG est-il recevable ?
Avant d’examiner le fond du recours en annulation du TSCG, la Cour constitutionnelle va devoir décider de sa recevabilité, c’est-à-dire si les personnes physiques et morales qui l’ont introduit peuvent justifier d’un intérêt à l’annulation du traité.
Et comme le rappelle Alexis Deswaef, président de la LDH, si une association de défense des droits économiques, sociaux et culturels, si des organisations syndicales chargées de défendre les droits des travailleurs, si des électeurs et des travailleurs qui subiront directement et indirectement les effets du TSCG ne sont pas reconnus comme ayant un intérêt dans l’affaire, alors qui peut bien y prétendre ? Car le TSCG cause un recul des droits de l’homme, affaiblit les pouvoirs de négociation des syndicats sur les salaires et la sécurité sociale, dans un environnement déflationniste et de chômage élevé. Les citoyens sont affectés, en leur qualité de travailleur, mais aussi comme électeur, car leurs représentants élus n’ont plus aucune marge de manœuvre pour les politiques budgétaires.
Freddy Visconti, électromécanicien retraité à l’origine d’un des recours, a vivement rappelé aux juges qu’au-delà de l’aspect juridique du traité, ils ne devaient pas en oublier les conséquences inhumaines. D’une voix forte, il a parlé pour ceux qui, comme lui, ont travaillé plus de 40 ans et doivent maintenant compter chaque sou dépensé, et ceux qui, comme son fils bientôt enseignant, ont peur de ce monde du travail toujours plus oppressant.
Le TSCG viole la Constitution belge
Dans leurs requêtes et plaidoyers, les juristes et avocats représentant les différents plaignants mettent en avant plusieurs raisonnements juridiques ou moyens basés sur des articles précis de la Constitution, pour démontrer l’inconstitutionnalité du Traité.
Ces moyens portent sur le pouvoir budgétaire du parlement, le droit effectif des citoyens d’élire leur représentant, l’attribution de pouvoirs déterminés à des institutions supranationales, le principe d’annualité des impôts et du budget, le respect de la répartition des pouvoirs, les garanties de protection des droits économiques, sociaux et culturels.
Tous ces droits et principes sont clairement définis dans la Constitution, et rien que l’introduction de la « règle d’or » les affaiblit considérablement, tout en détruisant la cohérence de cette loi fondamentale. Ne pas reconnaître l’inconstitutionnalité du TSCG revient à admettre que la Constitution n’a plus aucune valeur, et dans ce cas, la Cour ira-t-elle jusqu’à se dissoudre ?
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