1500 quartiers échappent à la loi en France, comment les ramener dans le giron de l’État ?
C’est la question à laquelle le Général de Richoufftz (cr) répond dans ce livre passionnant, France sécessionniste, que faire ? paru en septembre 2024 chez BookEdition.com.
Propos recueilli par Christine Bierre, rédactrice-en-chef du mensuel Nouvelle Solidarité.
Entretien
Général de Richoufftz, on vous surnomme le « général des banlieues ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Parlez-nous du combat que vous menez depuis, je crois, 2003 ?
Général adjoint au gouverneur militaire de Paris lors de ma dernière affectation de 2003 à 2006 avant de me retrouver « civil », j’avais d’une part la responsabilité de la « réserve citoyenne » d’Ile-de-France (composée de citoyens en responsabilité dans notre société et souhaitant rendre service aux armées) et de l’autre, les réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté, responsables de quartiers, soucieux de faire intégrer au sein de notre société les jeunes dont ils avaient la charge. En un mot, comment faire participer ces deux réserves à un projet majeur d’intégration qui ait du sens pour une jeunesse qui, déjà, jugeait être laissée pour compte.
Et puis je me posais une question relativement simple : comment se fait-il que la France forme des soldats étrangers (les légionnaires, pas moins de 125 nationalités) et en fasse les meilleurs soldats de monde et que nous ne soyons pas capables, dans nos quartiers, alors qu’il y a à peine 20 à 25 nationalités différentes, de faire de « nos » jeunes les meilleurs citoyens ?
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs quel est cet outil que vous avez développé, le « Permis-sport-emploi », qui a si bien permis de réorienter des jeunes vers un processus de réintégration sociale ? Comment ça marche et pourquoi cela répond à une demande des jeunes, mais aussi des entreprises et d’autres acteurs dans les banlieues ?
Avec la demande explicite de ces deux structures dès 2004 - disposer d’une main-d’œuvre jeune et motivée pour servir l’entreprise, et donner un objectif formation/intégration par le travail - nous avons élaboré un cursus dédié à ce public : structuré, progressif, motivant et soucieux de redonner confiance à chacune des parties prenantes du projet.
Mon expérience d’officier à la Légion étrangère pendant près de dix années a certainement contribué à la compréhension des attentes des uns et des autres, et surtout notre attachement à ce que le jeune en recherche d’emploi soit véritablement au cœur du projet ; il ne s’agit pas de former pour former, mais d’initier une formation ajustée à chacun en fonction des besoins précis des entreprises. C’est bien différent de ce qui est habituellement proposé par d’autres structures associatives.
En fait, il s’est agi, pour moi, de regrouper des acteurs de terrain publics/privés, dispersés, en les invitant à agir de conserve pour une meilleure efficacité d’insertion dans le monde du travail. Ainsi s’est créée une véritable coalition regroupant, pour l’essentiel, France Travail, des missions locales, des entreprises, des représentants de l’État, des régions, des départements, etc.
Le fonctionnement est assuré par un quatuor choisi pour ses compétences : entreprise d’insertion, auto-école sociale, sportifs et réservistes pour la période militaire d’une semaine en fin de ce parcours de six mois.
Au regard de notre réussite - en 15 ans, pas moins de 2000 jeunes, filles et garçons de 18/25 ans ont intégré l’entreprise avec un taux de réussite de 90 % - nous pouvons dire que Permis-sport-emploi répond parfaitement aux attentes des jeunes comme des entreprises. Vous aurez compris que si la mise à l’emploi ou la formation représentent l’essentiel, le souci de faire recouvrer un sentiment de citoyenneté est tout aussi important : je crois que nous y sommes parvenus…C’est ainsi que les journalistes m’ont désigné « le général des banlieues ».
Fort de votre réussite, avec un budget somme toute très modeste, cela fait un certain nombre d’années que vous critiquez la politique de la Ville de notre pays, qui engouffre des dizaines de milliards d’euros dans les quartiers, sans que cela ait enrayé la montée de la délinquance, comme nous l’avons vu avec les émeutes de 2023. Quelles sont vos propositions pour une réforme profonde de cette politique de la Ville ?
Vous avez raison de dire que la politique de la Ville telle qu’imaginée et déployée depuis des décennies ne répond plus à la réalité du moment. L’assimilation, l’intégration ou l’insertion de générations de Français issus de l’immigration africaine ont-elles été portées comme il se doit ? La violence qui prévaut désormais sur l’ensemble du territoire et qui n’épargne personne, cette haine portée par une certaine jeunesse qui s’estime incomprise et rejetée, ces meurtres à répétition qui ébranlent la cohésion nationale ne sont-ils pas le constat de l’échec patent de cette politique ?
Je crois que le moment d’un « changement de braquet » est venu. En effet, car au-delà des 1500 quartiers qui échappent désormais peu ou prou aux lois de la République, c’est 10 % de notre population qui vit dans la crainte et sous la menace des bandes et des trafiquants de tous poils ; aller et venir de 18 heures à 6 heures du matin, rendre visite à son voisinage, appeler un médecin ou se déplacer hors du « sérail » est devenu impossible.
Dans ces conditions, sauf à vouloir, faute de réaction de l’État, qu’une partie de notre population, contrainte par cette situation délétère et non contrôlée, fasse définitivement sécession, je pense qu’il y a lieu d’agir et vite. La République est une et indivisible, n’est-ce pas ? Accepter un tel état de fait sans réaction équivaudrait à nous rendre complice de l’effacement de la France en tant que nation : est-ce cela que nous voulons ?
Dans ces conditions c’est bien un projet politique de « reconquête des quartiers et des cœurs » qu’il nous faut engager sans tarder et j’ajouterais, sans esprit de recul…
C’est le sens de ce dernier ouvrage, écrit à quatre mains avec Kévin, un formateur de nos quartiers que je connais depuis plus de 10 ans…
Dans un premier temps il sera nécessaire de procéder à un audit complet et sans concession de ladite politique de la Ville : quels financements, au profit de qui et pour quels résultats in fine ? Je sais que ses conclusions devraient être cinglantes en termes d’économies à réaliser, d’une organisation opérationnelle à trouver et d’une efficience à rechercher par une coordination des moyens.
Parallèlement, ce sera la désignation d’un haut-commissaire chargé de la politique de la Ville, choix devant porter non sur un politique mais sur une personnalité habituée à agir au sein de structures pluridisciplinaires et à l’aise sur le terrain.
Directement rattaché au Premier ministre, structurant une organisation opérationnelle interministérielle et disposant de l’ensemble des prérogatives et moyens d’action (financiers en particulier) avec l’autorité nécessaire pour embrasser la globalité de la stratégie, concevoir et porter des projets nouveaux porteurs de sens et d’efficacité, manager des équipes dédiées, il sera le cœur du réacteur de cette reconquête.
Exit donc les innombrables structures « responsables » de la Ville, qui ont fait la preuve de leur inefficacité et dont le seul objectif paraît être d’acheter une paix sociale qui a démontré ses limites.
Bien sûr ce changement de portage suppose que les responsabilités de « faire » soient limitées à trois niveaux : l’État avec son haut-commissaire, les régions économiques (préfets et conseils régionaux) et les communes avec leurs maires. Être au plus proche des citoyens en recherche et agir au mieux.
Pour être à peu près complet, j’insiste pour que des militaires ayant quitté l’institution soient parties prenantes à ces divers niveaux. En effet la formation militaire, l’exercice du commandement, l’expérience d’années de campagne vécues depuis des décennies sont des acquis inestimables à mettre au service de nos concitoyens.
Face à la violence qui monte, nombreux sont ceux qui vous posent la question : la guerre civile est-elle inarrêtable ? Ne faut-il pas envoyer l’armée dans ces quartiers ? Vous répondez à chaque fois par la négative et insistez, comme le fait d’ailleurs Jacques Cheminade, de Solidarité & Progrès, sur le fait qu’il y a des choses à faire pour ramener l’ordre dans la citoyenneté et avec un contrat social différent. Comment votre Permis-sport-emploi répond-il à cette question ?
Comme je le dis souvent lors de mes interventions et comme je l’ai écrit dans mon dernier ouvrage, le spectre de la guerre civile doit s’éloigner dès lors que nos dirigeants voudront bien prendre à bras le corps cette situation de violence qui nous étreint. Effectivement, si ces derniers refusent de voir la situation réelle du pays et tardent à arrêter une politique globale mobilisant la nation - que j’appelle de mes vœux - alors oui, nous prenons collectivement le risque de connaître les affres d’affrontements armés meurtriers et incontrôlables.
C’est la raison pour laquelle je suggère la mise en œuvre d’un projet global dans chacun de nos quartiers, en commençant bien sûr par les plus difficiles, destiné à libérer les populations de toutes les entraves qu’elles subissent afin qu’elles puissent retrouver la liberté d’aller et de venir sans crainte : c’est bien l’enjeu majeur du pays. C’est restaurer une sécurité durable tout en promouvant et en mettant en œuvre un nouveau contrat social. Du gagnant-gagnant en quelque sorte.
Si le cursus Permis-sport-emploi peut encore être une référence pour une formation/insertion réussie, il ne peut désormais, je crois, compte-tenu du niveau de violence dans les quartiers, être brandi comme étant la potion magique. En effet, un tel dispositif qui s’adresse à des garçons et filles volontaires pour s’engager dans la vie active et trouver ou retrouver un tant soit peu un sentiment d’appartenance à la nation, ne peut être activé que dans un contexte de calme relatif : ce n’est plus vraiment le cas…
Dans ces conditions, je reste persuadé que nos armées devront être mises à contribution. Il ne s’agit certainement pas, comme je l’ai dit et écrit, d’un emploi exclusivement répressif aux conséquences incertaines. Mais que des unités militaires puissent être employées pour une mission de contrôle de terrain, durant la phase amont d’une reprise en main, c’est envoyer un signal fort tant auprès des fauteurs de trouble agissant en toute impunité (les forces de police ne tiennent plus le terrain), qu’à l’égard des populations prises en otage, subissant violence et menaces.
C’est ainsi permettre aux différents acteurs administratifs, sécuritaires et sociaux de conduire les audits indispensables des différents publics afin d’initier les actions de fond à venir. C’est adresser au pays un message de fermeté avec la volonté gouvernementale d’une reprise en main décisive.
Je crois pouvoir témoigner que c’est ce changement de braquet indispensable qui est attendu par un nombre croissant de nos concitoyens. Nombreux sont les jeunes de ces quartiers qui le souhaitent…
Dans les 36 années de votre vie d’active (dont neuf à la Légion étrangère), qu’est-ce qui vous a donné la conviction qu’il était possible de recréer les conditions d’un vouloir vivre en commun dans les quartiers et d’un retour vers la France ? Quel est le moment le plus beau que vous ayez connu dans cette lutte, qui a renforcé cette conviction ?
Vous savez, la vie militaire a ceci d’extraordinaire qu’elle permet à tout un chacun de trouver sa voie aussi bien personnelle que professionnelle à tout moment de son existence, au sein d’une institution entièrement vouée au collectif et tournée vers les autres. Tout Français sous l’uniforme, je crois, a en tête qu’à un moment donné, il pourrait donner sa vie pour le pays et je dois dire que c’est un petit bruit de fond qui reste important à l’heure d’un certain délitement de notre société, et qui relativise bien des postures politiques tenues ici et là : eux, qu’ont-ils pris comme risques et quels dangers ont-ils connus ?
Alors, c’est vrai que donner tout son sens à un quotidien que l’on ne maîtrise pas forcément, c’est rechercher un idéal et promouvoir un dépassement de soi. Donner du sens à l’action. Le commandement d’appelés du contingent, de légionnaires (des étrangers au service de la France) et les neuf opérations extérieures auxquelles j’ai participé dans tous les grades pendant toutes ces années sous l’uniforme, m’ont convaincu d’une chose : croire et ne jamais renoncer.
C’est cette ténacité qui a guidé cet engagement auprès de tant de nos concitoyens dans nos banlieues…
Merci, Général de Richoufftz.