La reconstruction de Gaza, perspectives et réalités

mercredi 19 mars 2025, par Karel Vereycken

Dans la cascade d’annonces, menaces et mises en scène qui ont marqué le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, le Moyen-Orient n’a pas été oublié.

Le Plan Trump

Pour récompenser le courant des « chrétiens sionistes » qui ont prêté main forte à son élection, Trump s’est empressé de nommer Mike Huckabee comme ambassadeur américain à Jérusalem. Ancien gouverneur de l’Arkansas et pasteur chrétien évangélique sioniste convaincu, Huckabee pense qu’il faut bénir les juifs pour obtenir les faveurs de Dieu. Virulemment opposé à la fondation d’un Etat palestinien, il affirme sans complexes que « le peuple palestinien n’existe pas ». Pour lui, il s’agit d’une pure invention, d’« un outil politique pour essayer d’arracher des terres à Israël ». Du coup, sur sa montre, « la Cisjordanie occupée, ça n’existe pas », ce ne sont que des communautés, des quartiers et des villes.

Le seul interlocuteur possible pour Huckabee est la clique fanatique autour de Netanyahou, qui fut par ailleurs le premier chef de gouvernement invité à la Maison Blanche par Trump depuis son élection.

C’est lors de cette rencontre que Trump annonça son invraisemblable plan pour « prendre en charge Gaza » dans le cadre de sa reconstruction, en commençant par déporter « temporairement » les Gazaouis vers la Jordanie et l’Égypte, le temps de faire de ce « site de démolition » une sorte de Dubaï ou de Singapour, c’est-à-dire une ville de finance et de services, bordée d’un littoral transformé en « Riviera » afin de rendre la vie agréable aux touristes fortunés.

D’environ 40 km de long sur une largeur variant de 6 à 12 km, cette bande sableuse de 360 km² (3,5 fois Paris) ne compte que peu de terres arables et fertiles propices à la culture d’agrumes, principale activité agricole et économique indépendante du voisin israélien.

Le plan Trump a été jugé irrecevable par la majorité des pays du monde, et surtout par l’Égypte et la Jordanie, États eux-mêmes fragiles, manquant de tout et dont l’opinion publique est vent debout contre ce que l’historien israélien Amos Goldberg (titulaire de la chaire Jonah M. Machover d’études sur la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem) qualifie de « génocide » contre les habitants de Gaza.

Dans un entretien au journal Le Monde, cet universitaire dénonce l’apparition d’une « rhétorique génocidaire dans les médias et la sphère politique »  :

  • « Nous devons les supprimer [les Palestiniens], ce sont des animaux humains » [Yoav Gallant, ministre de la Défense, le 10 octobre 2023] ;
  • « Nous devrions larguer une bombe nucléaire sur Gaza » [Amichai Eliyahu, ministre du Patrimoine, le 5 novembre 2023] ; etc.

« Ces propos étaient tellement choquants que, pour cela non plus, je n’avais pas de mots », confesse Goldberg.

Le « transfert » de la population palestinienne (en réalité un nettoyage ethnique) est une vieille idée sioniste, rappelle le journal israélien de gauche Haaretz, qui ne se pourra se faire que dans le cadre « d’une grande commotion ».

C’est sans doute la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’un chef d’État [Trump] appelle ouvertement à ce que le droit international désigne comme un crime contre l’humanité, » souligne Alain Gresh dans Le Monde diplomatique de Mars 2025.

Le plan Trump vise à accomplir par la diplomatie et le business ce que Netanyahou n’a pas pu obtenir par les armes. Donald Trump aimerait vite refermer le dossier de cette guerre pour se consacrer à la normalisation tant désirée des relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Mais l’administration américaine s’est déclarée ouverte à d’autres propositions.

Le plan arabe

Réunis le 4 mars au Caire pour un sommet extraordinaire de la Ligue arabe, les pays arabes ont dénoncé à l’unisson les « tentatives odieuses de déplacer le peuple palestinien » et ont adopté le plan élaboré par l’Egypte pour reconstruire Gaza sur cinq ans, en deux étapes, sans déplacement de population, évalué à 50 milliards d’euros par l’ONU. La première phase de réponse rapide de six mois sera consacrée au déblaiement des débris, au déminage et à la fourniture de logements temporaires pour 1,5 million de personnes sur sept sites. Dans la deuxième phase, celle de la reconstruction, qui doit s’étaler jusqu’en 2030, il est prévu de reconstruire les routes, les réseaux de distribution et les services publics, ainsi que plus de 400 000 unités de logement permanent. Reprenant des dispositions jamais mises en œuvre des accords d’Oslo, des zones industrielles verront le jour autour d’un port commercial et d’un aéroport.

Cherchant à éviter de fâcher Trump et ses amis israéliens, le plan prévoit d’évincer le Hamas de tout rôle futur dans la direction de Gaza. Pendant la première période, la région sera administrée par un comité composé de personnalités indépendantes et de technocrates palestiniens, choisis par et sous la supervision de l’AP. Point intéressant cependant, le nom des vingt personnes composant ce comité a fait l’objet d’un accord entre le Fatah du président palestinien, Mahmoud Abbas, et le Hamas, lors de discussions menées sous l’égide du Caire, raison suffisante pour Washington et Jérusalem de brandir le carton rouge.

Diplomatie chinoise

C’est une petite victoire pour la grande diplomatie chinoise qui a patiemment œuvré pour réconcilier les factions palestiniennes. Le 23 juillet 2024, la Chine avait obtenu la signature d’un texte commun du Hamas et du Fatah, réunis avec les quatorze plus importantes factions palestiniennes à Beijing, en faveur d’une réconciliation interpalestinienne. La déclaration prévoyait, sans fixer de calendrier, la création d’un « gouvernement intérimaire de réconciliation nationale », qui se focalisera sur la reconstruction de l’enclave après la guerre.

Pour valider la proposition de la Ligue arabe, Mahmoud Abbas a tenté de donner des gages. Près de vingt ans après le dernier scrutin général dans les territoires palestiniens, le président palestinien (89 ans) s’est dit prêt à organiser l’année prochaine des élections, présidentielle et législatives, « à condition que les conditions soient réunies ». Il a également annoncé une amnistie générale pour les dissidents du Fatah, qui pourrait concerner notamment son rival Mohammed Dahlan.

Sur le plan sécuritaire, l’Egypte et la Jordanie se sont engagées à restructurer et à former les forces de sécurité palestiniennes de la bande de Gaza. Le plan suggère, par ailleurs, une possible présence internationale à Gaza et en Cisjordanie, composée de forces onusiennes de maintien de la paix ou de protection. Pour la mise en œuvre du plan, un effort financier est demandé aux riches pays du Golfe. Pour l’Arabie saoudite, la création d’un Etat palestinien reste le préalable absolu avant toute normalisation avec Israël. Avant d’engager des fonds pour la reconstruction, les Emirats arabes unis exigent une refonte complète de l’AP, dont les institutions doivent reprendre la gestion de l’enclave.

La phase de reconstruction doit s’inscrire dans un calendrier plus large menant à la création d’un Etat palestinien. Toute mention du Hamas a été délibérément omise pour ne pas antagoniser le groupe et s’assurer de sa coopération.

Prêt à céder le pouvoir à Gaza, le Hamas a salué ce plan, qualifié de « nouvelle phase d’alignement arabe et islamique sur la cause palestinienne ». L’un des chefs du mouvement, Sami Abou Zouhri, a cependant rappelé que « les armes de la résistance sont une ligne rouge (…) une question non négociable ». Or, la démilitarisation est une exigence posée par Israël et les Etats-Unis. Si les Emirats partagent cette exigence, les Saoudiens estiment pouvoir trouver des personnalités modérées dans l’aile politique du Hamas pour les associer à la gestion de Gaza.

Adam Boehler, l’envoyé spécial de Trump sur place sur la question des otages, a d’ailleurs déjà entamé ses propres pourparlers avec le Hamas, provoquant l’ire du gouvernement israélien...

En coulisse

Sur le site de France Info, Thibault Lefèvre, lève le voile sur ce qui se passe en coulisses, en indiquant le rôle de deux personnalités influentes favorables au plan Trump.

La première, c’est l’américano-palestinien et il s’appelle Bachar Masri. Il a le sourire satisfait de celui qui a réussi dans les affaires et, fait rare dans la région, il n’est détesté de personne. L’homme d’affaires de 64 ans a construit une ville, à plus d’un milliard d’euros, dans le nord de Ramallah en Cisjordanie, en collaborant avec des entreprises israéliennes.

Et pourtant, les Palestiniens respectent cet enfant de Naplouse, qui est passé plus jeune par les prisons de l’Etat hébreu pour avoir jeté des pierres sur des soldats. Bachar Masri est très riche, argument de poids face à Donald Trump, et selon le journaliste israélien Ben Caspit, il conseille Adam Boehler, l’envoyé spécial du président américain pour les otages. Il ne roule ni pour le Hamas ni pour le Fatah : c’est un autre bon point, cette fois pour le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui ne veut pas de l’organisation islamiste ou de l’Autorité palestinienne à Gaza après la guerre, mais verrait plutôt d’un bon œil l’engagement du milliardaire palestinien dans la reconstruction de l’enclave.

La deuxième personnalité est l’autre proche de Trump à avoir une réelle influence sur la politique américaine au Proche-Orient, Miriam Adelson.

Elle est israélo-américaine, et elle a tellement investi dans les deux campagnes électorales de Donald Trump qu’elle a son mot à dire sur à peu près tous les sujets liés à l’Etat hébreu. La milliardaire de 79 ans est la première fortune d’Israël, qu’elle a héritée de son défunt mari, l’homme d’affaires Sheldon Adelson [roi des casinos de Las Vegas]. Elle s’est engagée corps et âme pour la libération des otages, et elle aurait convaincu Donald Trump de mettre une pression inédite sur Benyamin Nétanyahou pour qu’il fasse des concessions. Résultat : 25 otages vivants et huit dépouilles sont rentrés en Israël depuis le 19 janvier, en échange de plus de 1700 prisonniers palestiniens. Lors de la première campagne de Donald Trump en 2015, Myriam Adelson et son mari ont investi 20 millions de dollars et ont obtenu la reconnaissance en 2018 de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu. Cette fois la mise est presque cinq fois plus importante, et les conséquences politiques devraient être à la hauteur de l’investissement. Miriam Adelson est favorable à l’annexion de la Cisjordanie occupée. Il y a plus d’un mois, Donald Trump a promis qu’il se prononcerait dans les quatre semaines à ce sujet. Le président américain ne l’a toujours pas fait, mais l’histoire a montré que jusqu’à maintenant il n’a rien refusé à celle qui était assise avec la famille Trump lors de son investiture, le 20 janvier dernier.

PS : Le dossier de l’Institut Schiller : « Le Plan Oasis, fondement d’un Etat palestinien, source d’une paix régionale ».