Ce texte est extrait du programme présenté par Jacques Cheminade à l’élection présidentielle de 2017. Notre gouvernement ne se dotant pas des moyens à la mesure des défis de notre époque, il reste plus que jamais d’actualité.
« Unissez-vous, frères, et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez avec moi l’arbre de l’esclavage. »
Cet appel à l’humanité, que lançait Toussaint Louverture à Saint-Domingue le 29 août 1793, inspire le combat que je mène depuis trente ans avec mes amis dans le monde pour la paix par le développement mutuel.
Car libérer, comme je m’y suis engagé, la France de l’occupation financière et culturelle, n’aurait aucun sens si l’on maintenait par ailleurs, auprès de trois millions de personnes, un système inégalitaire à caractère colonial – fondé sur le déni du passé et le leurre de la dépendance. Comme le disait Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Alors ayons l’audace de voir avec les yeux du futur et de penser enfin « gagnant-gagnant », pour reprendre les mots du président chinois XI Jinping. Une chance s’offre à nous : celle du nouveau paradigme imposé par les pays émergents (BRICS), héritiers des non-alignés, qui, via leurs nouvelles banques de développement et le projet chinois de Nouvelles Routes de la soie, ont déjà financé ces dernières années l’équivalent de plusieurs fois le plan Marshall en infrastructures sur presque tous les continents, dont ceux qui jouxtent nos Outre-mer. Travailler avec eux sur cette nouvelle donne pour le monde, c’est aussi se laisser en échange un levier pour négocier nos intérêts économiques, quand les leurs s’exercent sur nos territoires.
L’histoire est en marche, mais elle pourrait marcher sans nous. Elle nous met au défi de nous changer nous-mêmes. Rappelons-nous seulement la grève générale des Antilles en 2009, ou la situation migratoire explosive à Mayotte et en Guyane, pour comprendre qu’il n’est plus possible de faire autrement.
Voici six principes à partir desquels je proposerai à nos DROM-COM, dès les débuts de ma présidence, un pacte de progrès et de solidarité afin d’y balayer tout résidu de la République coloniale :
fondée sur les descendants d’anciens colonisateurs contrôlant la grande distribution, l’import-export, les transports, l’agroalimentaire, le foncier, le BTP ou les postes à responsabilité ;
par les transferts financiers, la corruption au sein des institutions et le clientélisme politique, tout en maintenant bien entendu les avantages sociaux réellement justifiés, en étendant la protection de l’emploi et en accélérant la réactivité de l’Etat en cas de calamités ;
afin d’enrayer ce scandale oublié que sont un chômage équivalant à près de trois fois la moyenne nationale, ne serait-ce que dans les DOM, et atteignant plus de 50 % chez les jeunes, avec plus de 80 % de la population mahoraise vivant sous le seuil de pauvreté ; le tout dans un contexte où fracture sociale et fracture ethnique vont trop souvent de pair ;
en organisant les échanges agricoles, industriels et commerciaux qui le permettront. S’appuyer sur les BRICS pour créer les conditions du décollage de ces régions voisines ;
c’est-à-dire l’école et une formation professionnelle digne de ce nom, en corrigeant l’ignorance ou le mépris dans lesquels ont été trop souvent tenues les cultures et les langues locales ainsi que leur histoire.
Cela suppose bien entendu une révolution politique ; ne pas le dire serait continuer à tricher. Plus vite elle sera faite, et en écoutant le plus possible le choix des populations, mieux nous pourrons éviter ensemble les transitions violentes autrement inévitables.
Pour arrêter la pwofitasyon et faire naître un inédit créole en rétablissant les mémoires historiques partagées et raturées, je propose les mesures suivantes :
I – Dans le domaine de la production
Agriculture
pour corriger progressivement une situation où par exemple 1 % de Békés détiennent plus de 50 % des terres en Martinique
pour mettre fin au scandale néocolonial de la monoculture, qui maintient nos Outre-mer dans une dépendance envers la métropole, tout en les soumettant à la vie chère, à la pwofitasyon et aux fluctuations des marchés. Créer des pépinières agricoles pour promouvoir les produits locaux ; valoriser tous les co-produits issus de l’agriculture
notamment sur la vanille, la banane (ou par ailleurs le nickel), en séparant les banques de dépôt et les banques d’affaire et rétablir librement une politique de quotas et de protection douanière pour les produits locaux, en se libérant de la tutelle de Bruxelles (cf. la section de mon projet « Une audace patriotique contre la mondialisation financière »)
tout en égalisant les normes avec celles de la métropole concernant les pesticides reconnus comme dangereux
2) Pêche et économie de la mer
et subventionner les cultures de poissons herbivores et les techniques de pêche ciblée. À noter qu’en 2012, 37 % des espèces étaient surexploitées et 50 % atteignaient les limites au niveau mondial.
en évaluant le potentiel scientifique, environnemental et industriel de chaque zone
Installer des laboratoires de recherche scientifique pour ses applications notamment pharmaceutiques et développer les centres universitaires dédiés afin de recruter sur place les chercheurs de demain
intégrant recherche, formation, production et dépollution, y compris au large de Clipperton, qui recueille beaucoup de déchets et où se produit le upwelling, un phénomène marin à étudier (à ne pas confondre avec l’utopie ultralibérale du Floating Island Project de Peter Thiel, dont un prototype est prévu pour l’horizon 2020 au large de la Polynésie). Ce sont les autorités publiques et régionales qui devront en prendre la responsabilité.
3) Industrie
utilisant le différentiel de température entre eau de surface et eaux profondes, par des mini-centrales nucléaires sous-marines de type Flex-Blue (dont l’immersion protège des aléas tels que tsunamis, tremblements de terre, etc.), développées par DCNS en coopération avec EDF, afin d’alimenter sérieusement ce renouveau industriel
en mobilisant un secteur PME-PMI DROM-COM au sein de la Banque nationale d’investissement public que je créerai.
4) Commerce
en jouant intelligemment sur les taux, à la fois pour défendre nos productions et exonérer les biens (d’équipement, entre autres) nécessaires au démarrage des nouvelles industries.
qui sont affiliés ou associés aux grandes centrales d’achat et aux compagnies pétrolières hexagonales, et ont ainsi intérêt à maintenir une situation de dépendance pour faire de gros profits.
notamment pour empêcher les abus sur les produits de base.
II – Dans le domaine social
1) Emploi, salaires et conditions de vie
Il est temps de mettre fin à deux injustices coloniales : la vie chère d’une part, la prime de vie chère d’autre part, réservée aux seuls Français issus de la métropole, ainsi que le scandale de leur traitement particulier quand il s’agit des fonctionnaires. Je propose donc de toute urgence de :
2) Services publics et infrastructures
(pôles emplois, centres sociaux, prisons, prévention et sécurité civile, etc.).
en développant le tutorat, en accélérant les procédures d’octroi de bourses et en développant les aides à la réinstallation ; lancer une politique d’urgence de formation et de recrutement des médecins et personnels soignants sur place, en dehors du numerus clausus français ; multiplier les aides aux soins hospitaliers pour les non assurés.
écoles, hôpitaux, prisons, eau (barrages, retenues collinaires et assainissement), traitement des déchets, voirie, fourniture électrique, couverture numérique, transports du futur maritimes et terrestres (notamment pour pallier le problème des embouteillages), aménagements portuaires et aéroportuaires (notamment dans la perspective du doublement des capacités du canal de Panama), etc.
3) Logement et foncier
en tenant compte du type d’habitation désirée par les dépourvus.
4) Liaisons avec la France et l’Europe
III – Dans le domaine culturel
1) Education
en assurant un suivi et un tutorat personnalisés de chaque élève pour une remise à niveau d’urgence (cf. ma section sur la culture)
mais prennent en compte l’histoire et les particularités de chaque Outre-mer
pour organiser des activités éducatives et culturelles complémentaires sur la région ou collectivité concernée
pour leur intérêt propre et pour donner aux élèves un sens de leur dignité dans leur rapport entre la maison et l’école. Faciliter la création de classes bilingues dans les maternelles et le primaire là où il est prouvé que le taux de décrochage scolaire le nécessite.
2) Formation professionnelle
en organisant des filières de formation pour tous les secteurs stratégiques prévus dans chacun des pactes de progrès et de solidarité.
et non plus uniquement à ceux indemnisés au titre de l’Allocation de retour à l’emploi.
3) Culture
à l’exemple du centre Tjibaou en Nouvelle Calédonie. Certes, un DOM comme la Martinique dispose d’un musée départemental de l’Archéologie et de la Préhistoire, d’une Maison de la canne, d’un Musée de la banane et d’une reconstitution de l’habitat et du mode de vie des Neg Marrons aux Trois-Ilets, mais cette dispersion ne facilite pas l’accessibilité et la prise de conscience. L’idéal est de « brancher » l’enseignement des humanités créoles à l’école sur un centre d’histoire situant le territoire dans son ensemble régional et mondial.
Si les habitants d’Outre-mer ont été privés de leur culture originelle, ils l’ont aussi été, comme nous autres en métropole, de ce que la pensée universelle a pu engendrer de meilleur en science, art ou philosophie. Il faut le rendre à tous (cf. ma section « L’éducation, une nouvelle frontière pour la France ») ;
Je suis convaincu que ce sincère apport mutuel rapprochera les Outre-mer de ce qu’est vraiment la France, qu’elle soit celle des Abbé Grégoire, des Victor Hugo, des Marie Curie ou des Maxime Destremau, ou celle des Aimé Césaire, des Victor Schœlcher, des Louis Delgrès ou des Raoul Georges Nicolo.
IV – Sur des points plus spécifiques concernant chaque DROM-COM
1) Nouvelle Calédonie
Nous devons préparer la mise en œuvre des mesures prévues par l’accord de Nouméa : transferts de compétences, rééquilibrage des moyens, de la formation, des équipements et des services publics au profit des populations fragiles, réduction des échanges directs avec la France pour abaisser le coût de la vie sur place, reconnaissance réelle de l’identité kanak. La France doit aider, si la Nouvelle-Calédonie le demande, à y développer un schéma industriel d’ensemble.
Dans le secteur du nickel, elle doit pouvoir aider à imposer un quota voire une interdiction, comme en Indonésie, d’exportation du minerai brut, au profit de sa transformation sur place, notamment auprès des acteurs chinois de plus en plus impliqués dans le capital des sociétés d’extraction. Dans le domaine de la santé, nous devons aider à la prévention et au traitement des épidémies de dengue.
2) Wallis-et-Futuna
La modernisation de son statut est rapidement nécessaire ainsi que le développement économique défendu ci-dessus pour contrer l’exode de sa population.
3) Polynésie française
Les investissements actuellement proposés par la Chine doivent être réellement orientés vers les infrastructures de base, au profit de l’emploi et de la formation sur place, et en vue de nouveaux marchés pour les produits locaux.
Classer les atolls de Mururoa et de Fangatofa comme sites de stockage radioactifs pour les inscrire à l’inventaire des sites contaminés, comme le préconisait la CRIIRAD en 1999, en améliorant la loi du 13 juin 2006 sur la transparence et la sûreté nucléaire. Permettre ainsi une signalisation des risques, un contrôle d’accès des zones et surtout une décontamination. Elargir les critères pour rendre effective la loi Morin de 2010 d’indemnisation des victimes (dont le retrait de la notion de « risque négligeable » doit être le point de départ) et lancer une étude sérieuse sur les maladies transgénérationnelles touchant les Polynésiens et les anciens travailleurs du CEP, tout en multipliant les capacités sanitaires de traitement des cancers sur place.
4) Saint-Pierre-et-Miquelon
L’extension du plateau continental est vitale, nous devons la défendre, ainsi que le désenclavement de l’économie, artificiellement soutenue par l’Etat et l’Europe depuis la limitation de la zone économique exclusive et la « crise des quotas ». Il faut sortir l’île de son « corset » tertiaire en poussant la diversification de la pêche, l’aquaculture, le futur hub portuaire, une meilleure desserte maritime et aérienne, l’exploration minière sous-marine, le développement de nouvelles technologies, etc., tout en refusant le CETA.
5) Mayotte
Il faut des mesures d’urgence pour enrayer la crise migratoire explosive qui commence à impacter la Réunion elle-même, et pallier le déficit en infrastructures d’eau, de santé et d’éducation. (Voir : « Mayotte, transformer une cocotte minute en île où il fait bon vivre ».)
6) La Réunion
Il faut mettre fin à la « crise requin » qui tue, met en péril l’économie touristique et les fermes marines. Il est nécessaire pour cela d’empêcher les ONG de financer les associations promouvant une fausse notion de l’écologie et de réguler dans la durée, notamment par la pêche voire sa commercialisation, les requins tigre et bouledogue en surpopulation dans nos eaux (dans la continuité du plan ciguareta, mais l’étendant).
Notre plan de développement de Madagascar (voir sur le site de S&P « Madagascar, une île sur la Nouvelle Route de la soie ») devrait permettre à la Réunion de rendre possible son intégration économique régionale.
7) Guadeloupe et Martinique
Relancer un véritable comité de pilotage « chloredécone », en incluant les représentants des populations locales pour entreprendre une réelle prise en charge sanitaire des populations impactées et un plan d’urgence de décontamination des sols.
La lutte contre la drogue et la délinquance nécessite un nouveau pacte de confiance : police de proximité, nouvelles prisons avec de véritables programmes de réinsertion, lutte contre le phénomène de blanchiment des armes et de la drogue par le système bancaire international sont absolument nécessaires, mais c’est surtout le nouvel environnement de développement économique et culturel que j’entends créer qui pourra redonner à nos jeunes un sens à leur vie et donc éviter leurs dérives.
8) Guyane
Intégrer l’économie de l’aérospatial dans un développement intérieur du département via l’infrastructure, en lien avec celui plus large du continent sud-américain et de l’espace caraïbe, en s’appuyant là encore sur les BRICS. (Voir « Pour une nouvelle vision de la Guyane française ».)
Conclusion
Personnellement, j’ai toujours deux images présentes à l’esprit : Marie-Sophie Laborieux, avec son Esternome, et Monsieur Roc, avec M’man Tine et le jeune José. Ils donnent la mesure d’un superbe entêtement de vivre et de savoir qui interpelle, en nous autres Hexagonaux, ce que beaucoup trop d’entre nous sommes en train de perdre. Puissions-nous ne pas être trop sourds, je serais tenté de dire « trop zoreilles ».