Ce texte est extrait du programme présenté par Jacques Cheminade à l’élection présidentielle de 2017. Notre gouvernement ne se dotant pas des moyens à la mesure des défis de notre époque, il reste plus que jamais d’actualité.
Nous avons été les premiers à dire non à la dictature financière du dollar multinational, qui s’est mise en place le 15 août 1971, et non à l’Acte unique de la fausse Europe, signé le 17 février 1986. Car c’est à partir de là que le démantèlement de notre agriculture a été programmé. Il ne s’agit ni d’un accident ni d’une erreur, mais d’un fait voulu dans un marché livré aux spéculateurs internationaux, aux propriétaires d’exploitations gigantesques et à la grande distribution.
Porc, bœuf, lait, le saccage s’accélère : les défaillances d’entreprises se sont encore aggravées en 2016, avec 1331 redressements ou mises en liquidation, soit une nouvelle hausse de 4 %. Dans la production laitière, les faillites ont bondi de 30 % et de 83 % pour l’élevage porcin. Les prix s’effondrent, les petites et moyennes exploitations périclitent et les suicides de producteurs endeuillent nos campagnes. Lorsqu’on nous dit que le prix du lait est « remonté » à 33 centimes, on se moque franchement du monde et on annonce une moyenne. Certes, il était à 31 centimes en 2015, mais il en atteignait 36 en 2014, à peine le prix qu’il en coûte à le produire. Lors de la cotation sur le marché breton début février 2017, le cours du porc, bien que reparti en hausse, n’atteignait pas pour autant les 1,40 euro nécessaires aux éleveurs pour rentrer dans leurs frais. Quant à la viande de bœuf, la consommation continue à chuter. La surproduction est là, car avec la crise du lait, les éleveurs envoient leurs vaches laitières à l’abattoir pour ne plus avoir à les nourrir à perte.
Les causes du malaise ? En premier lieu, le démantèlement des outils de régulation de la PAC (quotas de production, stocks physiques, prix d’intervention, préférence communautaire, etc.). Cette dérégulation totale de la production et des marchés a fait naître l’illusion qu’en augmentant massivement la production, on allait enfin pouvoir s’enrichir.
Faisant fi de toute idée d’aménagement du territoire, banques, groupements et syndicats ont poussé nos éleveurs à agrandir leurs exploitations afin d’atteindre une taille industrielle, à l’instar des Allemands, des Espagnols, des Irlandais et des Danois. Pour ce faire, ils se sont endettés jusqu’au cou en pariant sur un prix rémunérateur.
Pourtant, personne n’ignore que le temps de la production agroalimentaire n’est pas celui des marchés financiers. Et comme toujours, lorsque l’offre dépasse la demande, les cours s’effondrent – une chute encore amplifiée par une spéculation sans limites. Sur le marché à terme, à peine 3 % des contrats aboutissent à une transaction physique.
C’est pourquoi cette crise n’est plus un problème agricole mais un problème politique. Au lieu de se battre ensemble pour une nouvelle PAC régulatrice, productive et rémunératrice, chacun se bat contre les autres pour défendre son bout de gras, sa marge et son prix. Et à ce jeu-là, face aux producteurs et industriels, c’est la grande distribution qui tire les marrons du feu.
Car, avec la Loi de modernisation économique (LME), voulue par Nicolas Sarkozy à partir des recommandations du rapport Attali, dont Emmanuel Macron était le rapporteur, c’est la grande distribution qui impose sa loi. La LME allait « libérer l’économie » et mettre fin aux abus. En réalité, elle autorise les distributeurs à négocier librement les prix proposés par leurs fournisseurs, alors qu’auparavant ceux-ci pouvaient leur imposer des prix d’achat minimaux.
Par exemple, il arrive aujourd’hui fréquemment que pour être référencés, les fournisseurs doivent céder aux distributeurs, sous forme de baisse de prix, 50 % de la somme qu’ils perçoivent au titre du CICE, en tant qu’employeurs de main d’œuvre de l’industrie agroalimentaire ! Et si le fournisseur refuse, son produit n’arrive jamais dans les rayons !
Pour Bruxelles, la solution c’est encore plus de libéralisation. Les derniers quotas (sur le sucre) sont tombés en 2017. Même les appellations contrôlées dans le secteur viticole y sont passés, car depuis le 1er janvier 2016, on peut planter la vigne que l’on veut où l’on veut ! Finie la protection des appellations d’origine contrôlée !
D’autres vont encore plus loin en proposant de « punir » ceux qui sont accusés de faire trop de bruit avant de mourir ! Ainsi, pour Jacques Delpla, professeur associé à l’Ecole d’économie de Toulouse, « puisque les agriculteurs européens votent massivement contre l’UE et qu’ils la critiquent à chaque crise agricole, il n’y a plus aucune raison politique à maintenir la PAC. Renationalisons donc la politique agricole : aux agriculteurs de convaincre leurs Parlements nationaux qu’il faut les subventionner ».
Une autre politique signifie :
- coordonner avec les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) la mise en œuvre d’un nouvel ordre économique mondial gagnant-gagnant, sans complaisance ni réticence, car il n’y a pas d’autre choix. Dans ce cadre, lever les sanctions contre la Russie en exigeant en contrepartie d’importants achats de viande et de produits laitiers ;
- organiser un moratoire et une restructuration de la dette des agriculteurs que les banques ont « poussés au crime », suivant la région, le secteur de production et le parcours individuel. Rétablir en même temps des prix planchers garantis, correspondant à ce qui est nécessaire à une exploitation pour vivre, rembourser ses emprunts et investir. Les producteurs porcins, bovins et de volailles ne doivent plus dépendre d’aides pour survivre, versées, de surcroît, avec des retards scandaleux ;
- mettre fin aux négociations sur les traités de libre-échange (CETA, TAFTA) qui ne sont que des instruments de guerre économique visant à faire tomber nos normes, nos régulations et ce qui reste de nos protections légitimes ;
- arrêter d’accumuler les normes et réglementations « écologiques » ou « climatiques » formatées pour l’agrobusiness, qui livrent nos producteurs à la concurrence de pays plus laxistes et leur imposent plusieurs heures de paperasserie par semaine ;
- combattre l’oligopole des quatre grandes centrales d’achat et interdire aux banques de proposer à leurs clients des placements spéculant sur le prix des matières premières agricoles ;
- multiplier les circuits courts afin de couper les ailes aux vautours financiers, pour qui la terre n’est pas un milieu vivant mais un support à leurs spéculations débridées ;
- réserver une partie de la commande publique aux producteurs locaux en vertu du principe de « produire mieux » ;
- faire de l’accès au numérique un service public afin d’éliminer les « zones blanches », pour que les producteurs puissent maîtriser l’information et leurs ordres de vente.
Refaisons de l’agriculture un grand métier d’avenir pour alimenter dix milliards d’êtres humains. Ceux qui travaillent quinze heures par jour et s’endettent pour nous nourrir ont droit à un traitement juste. C’est en augmentant le pouvoir d’achat de nos salariés et le prix de vente de nos produits agro-alimentaires qu’on parviendra à un développement « par le haut », unissant producteurs et consommateurs contre la mainmise d’une oligarchie qui impose l’austérité « par le bas ». Faisons une Europe selon ces principes, une vraie Europe, et pas l’UE actuelle qui s’en moque.
Nous n’avons pas le droit de laisser le pouvoir à ceux qui détruisent l’avenir du monde !