Souvenez-vous, il s’agissait d’un haut lieu du mouvement, qui avait débuté par une grande mobilisation et de fortes tensions. Nous avons interrogé la semaine dernière l’un de ses habitants, M. Fontaine, qui nous a rapporté les bruits qui circulent sur l’île sur un possible double-jeu de la ministre des Outre-mer, Annick Girardin.
Question : Bonjour. D’abord pouvez-vous nous rappeler ce qui s’est passé le 17 novembre et les semaines qui ont suivi à la Réunion ?
Réponse : La contestation couvait depuis un certain temps. Quand on a appris qu’en métropole il y avait un mouvement de contestation, la Réunion s’est aussitôt constituée pour rejoindre le mouvement national.
La contestation est si forte que les principaux axes routiers et les points stratégiques comme la commune du Port [où parviennent tous les approvisionnements issus de l’importation, c’est à dire l’essentiel de ce que consomment les habitants, ndlr] ont été bloqués par des barrages, paralysant l’île de novembre à décembre, ce qui hélas porte atteinte à l’économie locale. [1].
Quelles sont les revendications propres à la Réunion ?
Le ras-le-bol de la vie chère. Car à la Réunion les prix sont de loin plus élevés qu’en métropole [alors que 40 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14 % dans l’hexagone, ndlr] [2]. En novembre, ça a été la goutte de carburant de trop. On nous a dit que l’élévation des prix de l’essence, c’était pour l’écologie. Mais ici, où la décentralisation rend la Région pleinement autonome en matière de fiscalité des carburants, tout le monde sait que c’est pour financer le surcoût de la Nouvelle Route du Littoral [3] ! Un surcoût qui augmente d’année en année, car de 1,6 milliard on est passé à plus de 2 milliards et ça ne semble pas près de s’arrêter [selon certaines prévisions le coût final pourrait atteindre 3,5 milliards d’euros, ndlr].
Donc les premières revendications ont été : stop à la vie chère, on n’augmente pas le carburant, ni l’électricité, ni rien. Ce qu’on veut c’est la transparence sur l’utilisation de l’argent, que ce soit au Conseil régional ou départemental. Or l’autre étincelle a été le scandale des multiples salaires des potentats locaux, un mal endémique à la Réunion. Ainsi, par exemple, le président de Région, Didier Robert, cumulait, entre autre et en plus de ses mandats électifs, le salaire de président de la Société d’Economie Mixte sur les TRAnsports (SEMATRA) ou encore le salaire de 6 800 € du poste qu’il avait au conseil d’administration de SEM Muséo (Société d’Economie Mixte des Musées) – et qu’il a quitté. Contre toute cette gabegie financière touchant les hommes politiques au pouvoir à la Réunion, la population s’est révoltée, elle qui au 15 du mois n’a souvent presque plus rien pour se payer à manger. Les commerçants le voient bien : à partir de la moitié du mois les clients leurs disent : « Je reviendrai le mois prochain ».
La ministre des Outre-mer, Annick Girardin, s’est déplacée à l’époque. Quelle a été sa réponse ?
Elle est venue le 28 novembre. Il y a eu des débats, des réunions, des rencontres, etc. Mais les gens n’ont pas été dupes.
Peu de temps avant son départ, après être intervenue publiquement avec le président de Région et du Conseil départemental, la Ministre aurait organisé une réunion privée avec les responsables des grands centres de distribution, de la répression des fraudes, avec les élites locales, etc.
Dans la population, la crainte existe que d’un commun accord, ils auraient décidé de pratiquer, chose d’une gravité extrême, une pénurie organisée sur les denrées alimentaires en rationnant les produits dans les rayons des magasins. Patte blanche aurait par ailleurs été donnée aux grands distributeurs pour leur permettre de pratiquer des prix libres sans craindre que la répression des fraudes ne viennent les aligner. C’est ainsi qu’une augmentation significative des prix – mais étalée dans le temps de décembre à mars – aurait été imposée. Avec l’idée que cela s’installerait à long terme et de manière définitive. L’objectif : taper dans le porte monnaie des Réunionnais pour les dissuader de continuer le mouvement en les obligeant à se concentrer sur leurs besoins alimentaires (tout en divisant les habitants entre eux) ! Certains ont même eu des mots forts, accusant les autorités d’affamer le peuple...
Comme cela s’est su ?
Les gens parlent. Et puis tous se rendaient bien compte que les magasins étaient de moins en moins fournis. Certains fermaient même plus tôt pour éviter la réaction des gens. Des syndicalistes ont commencé à parler, s’étant rendus compte que la rareté sur les étalages était en total décalage avec ce qu’il y avait réellement dans les stocks et qu’on leur demandait même de jeter des denrées. Les gens affichaient les prix sur les réseaux sociaux, pour rendre compte de leur augmentation. Le riz, alimentation de base, aurait subi 16 % d’augmentation deux fois de suite [4].
En février Annick Girardin est revenue, proposant les mêmes choses que Macron depuis le départ. Très généraliste. Les propositions les plus locales, comme celle d’une baisse d’au moins 10 % sur le prix du panier moyen réunionnais, celle d’un « panier péi » pour relancer la production locale ou encore celle d’associer des citoyens à l’Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus (OPMR, qui existe depuis 2007 mais qui n’a jamais eu de résultat tangible), dans ce contexte, comment y croire ? Tout ça c’est du réchauffé. Les gens ne se sont pas intéressés à ce qu’elle disait ou promettait. Ce qui nous intéresse c’est Paris, ça nous donne la température de ce qui va nous arriver. La fin du grand débat, les conclusions des cahiers de doléances, rien n’a été pris en compte. On attend la prochaine occasion de reprendre le mouvement, notamment un signal de la métropole. Et le résultat des Européennes.
Merci à vous !
Il est plus que temps d’appliquer le programme de Jacques Cheminade, de reprendre en main le système bancaire, et de relancer une politique de développement des Outre-mer : « Une France archipel, l’inédit créole »
Voir aussi « Passé, présent, futur des Outre-mer, c’est quoi être français ? » (vidéo et article)
[1] Selon le président de la Chambre de commerce et d’industrie de l’île interviewé par le Monde, entre le 17 et le 23 novembre, le commerce local aurait perdu 500 millions d’euros de chiffre d’affaires.
[2] Cet état de fait, commun aux DOM, est du à l’absence d’économie endogène, entraînant une dépendance à l’importation et une course aux marges entretenue par les gros propriétaires (souvent des descendants de colons exerçant un monopole sur la distribution, le foncier, l’import-export, etc.). Voici quelques exemples particulièrement flagrants (et ne tenant pas compte du coût de l’immobilier, du foncier, de l’énergie, etc.) tirés d’un comparatif de terrain effectué entre la Réunion et l’hexagone en octobre 2018, sur des produits de base Leclerc (soit juste avant le mouvement des Gilets Jaunes) et relayés par ImazPress :
- 10 steaks hachés pur bœuf Charal : 12,10 € à la Réunion contre 6,52 € dans l’hexagone ;
- Pâtes spaghettis Turini, 1 kg : 1,55 € contre 0,70 €
- couches bébé Mots d’enfant T3 (X29) : 7,14 € contre 5,79 €.
[3] La Nouvelle Route du Littoral (NRL), un viaduc de 13 km au dessus de la mer, est en train d’être construite au nord-ouest de La Réunion. Elle doit seconder la seule route actuellement existante entre Saint Denis et La Possession, fortement sujette aux embouteillages et supposée dangereuse, du fait des éboulis de falaise. En difficulté technique et financière, accusée d’être la route la plus chère de France, elle est l’objet d’une enquête du parquet national financier sur les attributions de marchés publics avec suspicion de corruption, favoritisme et trafic d’influence. Prouesse technologique, elle aurait pu, si elle avait été incluse dans une réelle politique d’aménagement du territoire et de développement économique local et national, être le symbole d’un décollage de l’île.
[4] Selon une étude de l’INSEE concernant 2018 (mais qui ne relaye que les chiffres « officiels »), les seuls produits frais ont pris 9 % sur un an à la Réunion contre 7,8 % dans l’Hexagone. Une hausse essentiellement concentrée sur la fin de l’année. Plus en détail, les prix des légumes frais ont affiché à la fin de l’année une augmentation de 17,5 % après 9 mois de baisse entamée en février 2018. Globalement et sur un an, les prix de l’alimentation ont augmenté de 2,8 % à La Réunion contre 2,5 % dans l’Hexagone (source : http://outremers360.com/economie/en-2018-les-prix-a-la-reunion-ont-augmente-d19-selon-une-etude-de-linsee/).
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