Dans un entretien, Yannick Caroff, des Gilets jaunes Constituants 93, fait le point sur la mobilisation des GJ, sur la nature du mouvement des GJ et sa capacité à perdurer. Les propos sont recueillis par Maëlle Mercier le 8 juin 2019.
Contre l’oligarchie, pour la souveraineté monétaire : la « guerre psychologique » du peuple n’est pas finie
Yannick, tu es militant S&P de longue date et le 17 novembre tu as décidé de rejoindre les Gilets jaunes. Tu y crois encore ?
J’ai rejoint ce mouvement pour apporter aux gens les enseignements de S&P sur les questions politiques, culturelles, sur la finance et l’économie. Cela dit, aucun mouvement social ou presque n’a survécu à ce qu’on appelle « l’été ». Il suffit de prendre l’exemple de mai 68 où des millions de Français ont été mobilisés sur les industries, dans la rue et sur les facs : ça a duré trois semaines et au mois de juin c’était fini. Historiquement au XXe siècle, on observe toujours la même chose. L’épreuve pour les GJ, c’est donc de perdurer et de résister à cette période.
On est dans une guerre psychologique, une guerre des nerfs beaucoup plus forte qu’à l’époque de mai 68, avec des médias et un gouvernement dans une arrogance folle. Dire que le mouvement est mourant et que les Gilets jaunes n’ont servi qu’à avoir quelques miettes, et que maintenant on rentre à la maison, c’est une guerre psychologique qui est menée contre le peuple français. La vraie question, c’est plutôt : Est-ce qu’on va finir comme les Grecs ou pas ? Le mouvement des Gilets jaunes ne doit pas s’estomper. Il doit prendre des formes différentes, peut-être, mais il ne doit pas s’arrêter. Car derrière – et le peuple français en est tout à fait conscient même s’il n’est pas toujours solidaire – , si les Gilets jaunes s’écrasent, on finira comme les Grecs avec une austérité brutale.
Où en sont les Gilets jaunes sur la question de l’écologie ?
Il n’y a pas d’unité dans le mouvement sur l’écologie : il y en a qui sont très critiques de l’écologie, il y a au contraire des gens qui font un amalgame entre les Gilets jaunes et les Gilets verts. Par contre il y a un point commun parmi les Gilets jaunes : le refus d’une écologie punitive et de l’hypocrisie dans laquelle on fait payer les petits pour des questions écologiques alors que les grosses entreprises perpétuent leurs scandales sur l’alimentaire, leurs pillages à l’autre bout du monde, etc. C’est le deux poids deux mesures encore une fois qui choque. Cela dit je pense que dans la France périphérique, qui est le cœur du mouvement des Gilets jaunes, on parle beaucoup plus de protection de l’environnement que d’écologie, en accord avec le développement des territoires et des peuples.
Crois-tu que le mouvement des GJ ait déjà eu, ou qu’il aura eu, un impact, voire une responsabilité sur les peuples des autres pays, sur leur capacité à ne pas fléchir face à l’oppression économique ?
Déjà il faut être très clair. Moi je suis de ceux qui pensent, avec certains – pas tous – , que les Gilets jaunes sont l’avant-garde révolutionnaire de la contestation sociale en France. Derrière chaque Gilet jaune il y a environ dix Français qui soutiennent – qui n’agissent pas forcément mais qui soutiennent. Donc de ce point de vue il y a une puissance d’inspiration, une puissance à entraîner le mouvement.
Maintenant si on regarde à l’étranger, cette puissance d’inspiration a aussi fonctionné, car le gilet jaune a été revêtu ailleurs, jusqu’en Bulgarie. Il y a un peu plus d’un mois, ce sont des Allemands qui ont mis le gilet (je le tiens d’amis allemands). Ce ne sont pas tout à fait les mêmes revendications qu’en France, elles restent encore axées sur l’augmentation du prix de l’électricité et du gazole mais c’est quand même lié à une paupérisation du peuple allemand. Au Canada aussi il y a eu des Gilets jaunes.
Avant cela, on a vu en Libye toute une mise en scène de Gilets jaunes à Tripoli pour dénoncer l’intervention de la France derrière le soutien à l’action du parti des rebelles armés de l’Est de la Libye. Encore avant, lors des manifestations en Algérie, il y a eu plusieurs fois des Algériens de Paris qui ont rejoint les manifestations des Gilets jaunes et des Gilets jaunes qui ont rejoint les Algériens de Paris le dimanche. Chez les Algériens d’Ile de France, il y a un regard très intéressé sur ce qui se passe en France, même si les problématiques sont différentes. Et même s’il est clair que le mouvement des Gilets jaunes n’a pas provoqué le mouvement de révolte en Algérie, les deux mouvements se sont regardés et se sont nourris l’un l’autre, avec un respect mutuel. Ce qui a beaucoup impressionné un certain nombre de Gilets jaunes dont moi, c’est le pacifisme et le sérieux des Algériens, sachant que là-bas on est dans des proportions bien différentes, puisque les manifestations ont totalisé jusqu’à 16 voire 17 millions d’Algériens.
Enfin on a eu de très bonnes réactions parmi les milieux Africains et presque un million de vues avec notre vidéo contre le franc CFA et l’euro, qui montrait qu’il s’agissait d’un même principe d’oppression monétaire. Ils étaient très contents de voir que des Français s’intéressaient également à leur sort, et que la question est considérée comme universelle.
Justement il y a un thème sur lequel tu as orienté tes actions dès le départ, c’est la souveraineté monétaire, que ce soit avec votre grande banderole jaune dans toutes les manifs (« Le RIC pour décider, la Banque nationale pour financer »), vos tracts anonymes sur les intérêts de la dette (qui est le deuxième poste de dépense de l’État), vos interventions vidéos (on y reviendra), etc. Comment tu évalues l’impact de cette idée ?
Quand je dis que le mouvement des Gilets jaunes est l’avant-garde révolutionnaire c’est qu’on a un certain nombre de Gilets jaunes qui se posent des questions de manière active sur les causes des problèmes que nous vivons, et qui, en plus d’y réfléchir activement, essaient d’intervenir. Il y a deux choses qui sont très claires dans le mouvement des Gilets jaunes : la première c’est la notion d’une oligarchie et d’un système au-delà d’Emmanuel Macron et la deuxième, c’est qu’il faut réfléchir à comment on met à bas cette oligarchie. Il y a la question de réécrire la Constitution par et pour les citoyens, de l’indépendance des moyens avec les médias – qui sont vus désormais comme un quatrième pouvoir, etc. La question de la souveraineté monétaire fait partie de cette réflexion très active.
On a donc eu un grand succès avec notre banderole « Un RIC et une Banque nationale pour se libérer de la dette ». Pourquoi ? Parce que les gens sentent de plus en plus qu’on utilise la dette pour faire passer une politique d’austérité et de démembrement des services publics. Or si cette question de la monnaie est obscure pour beaucoup de gens, ils commencent de plus en plus à comprendre qu’elle est un enjeu de pouvoir. Ils voient que si le pays veut avoir une vision à long terme, un aménagement du territoire, s’il veut avoir les moyens de l’égalité territoriale (les GJ sont quand même avant tout un mouvement de la France périphérique qui réclame l’équité de traitement avec les territoires urbains) et bien, il va falloir des leviers tels que la création monétaire. Alors soit les gens le comprennent directement et sont très contents de nous voir dans les manifs ou sur internet, soit ils sont en phase de réflexion par rapport à cela et viennent en disant « Ça, ça m’intéresse ! ».
En fait ce phénomène nouveau d’identification par le peuple d’un « système », qui est le même sous Macron qu’il l’était, à des degrés divers, sous Sarkozy ou Hollande – ce que nous appelons chez S&P et chez certains GJ une « oligarchie financière » –, les gens le voient d’autant mieux aujourd’hui que c’était la même dynamique en Grèce et qu’en Italie, avec cette austérité qui tue. Alors les gens essaient maintenant de comprendre la nature de ce système, ses tenants. Et ça c’est très prometteur.
Tu participes à des interventions avec un groupe de GJ, interventions filmées en direct que l’on peut voir sur la page facebook « Gilets Jaunes constituants 93 », qui ont fait jusqu’à des centaines de milliers de vues – et récemment ont totalisé le demi-million. Peux-tu nous en parler ?
C’est en continuité avec ce que je suis et fais à S&P : c’est une foi, très forte, dans les idées. Nos vidéos ce n’est rien d’autre que de l’éducation populaire. On donne des éléments aux internautes en se postant devant de grandes institutions ou des boîtes privées, et en expliquant ce qu’ils font ou ne font pas, leur histoire, là où le bât blesse, les solutions à la crise, etc.
Ça a été le cas des grandes institutions régaliennes, comme Sciences po ou l’ENA – en nommant toutes les personnalités bien connues qui y sont passées avant de finir à l’Inspection générale des finances puis dans des grandes boîtes du privé, notamment financières ; ou encore devant la Banque de France, et notamment, comme je l’ai dit, devant l’imprimerie de Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, où on imprime non plus notre propre monnaie, mais celle des autres peuples. On va aussi de temps en temps devant des « think tank d’oligarques » comme le Dîner du siècle où se retrouvent régulièrement politiques, dirigeants de grandes boîtes, financiers, journalistes, et on leur demande des comptes. Normal !
Cela dit, on s’est surtout concentré sur les grandes banques d’affaires comme JP Morgan (où on a évoqué le travail de Roosevelt et Pecora en leur temps et l’importance de la séparation stricte des banques), Goldman Sachs, des agences de notation comme Standard & Poor’s, la Société générale, BNP Paribas, Amundi, la filiale de spéculation sur les produits alimentaires du Crédit agricole, etc.
Enfin on est allé voir les principaux médias, ainsi que le cabinet Occurrence de comptage de manifestants, qui n’avait même pas été sollicité par les médias pour faire le comptage des Gilets jaunes ! Réponse de l’AFP que nous avons été voir juste après : « On n’a pas les sous ». Ben voyons ! Pourtant ils avaient bel et bien les moyens quand ils ont sollicité l’agence pour la manifestation sur le climat !
C’est mener une guerre psychologique, en somme, contre leur propre guerre psychologique.
Exactement. Une guerre psychologique contre des mafieux bien présentables, qui ont vraiment une culture de la discrétion et de l’impunité, qui ne veulent surtout pas rendre des comptes. Tiens, par exemple, sur la façade de la banque Goldman Sachs, près de l’Arc de Triomphe, on ne voit pas de plaque « Goldman Sachs » en bas du bâtiment, mais « SCOR » qui est une entreprise de conseil en assurance. Et pourtant au 3e étage, il y a bien Goldman Sachs ! Idem pour JP Morgan place Vendôme : pas de grande enseigne, juste une petite plaque ridicule. Quand on interpelle les personnes qui sortent de leurs bureaux, lors de nos vidéos, même lorsqu’il s’agit de simples employés, c’est bouche cousue ! Idem avec des institutions de la République payées par nos impôts, comme le gendarme des banques qu’est l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution : mutisme ! Idem devant la presse, même s’il y a relativement plus de gens qui parlent ; mais la plupart de ceux qui sortent nous disent : « Oh non moi vous savez, je ne suis pas journaliste ! »
Le fait qu’ils n’aient pas l’habitude qu’on leur demande des comptes dénote que le peuple n’a pas l’habitude de faire son travail : aller voir son député ou son sénateur quand il y a un vote qui le scandalise comme sur les Aéroports de Paris, par exemple ; lui demander de se mobiliser pour l’instauration d’une Banque nationale comme le demande la pétition « Un RIC pour une Banque nationale » ; ou lui proposer une loi pour la séparation stricte des banques, comme S&P l’a fait…
Ce qui nous conforte dans l’idée qu’on tape au cœur, c’est la non-réponse. Au Salon de l’agriculture, alors que des centaines de gens nous ont filmés et pris en photo avec notre banderole pour dénoncer la spéculation sur les prix agricoles (via la filiale du Crédit Agricole Amundi), les responsables du stand du Crédit Agricole se sont tous défilés, malgré nos demandes de parler aux responsables ! C’est vraiment « sauve qui peut ». C’est ça qu’on doit faire, demander des comptes et être très rigoureux sur ce qu’on dit face à ces gens-là – même s’ils se défilent.
La suite ?
Je le redis : derrière chaque Gilet jaune, il y a dix Français qui soutiennent. Alors si le mouvement meurt (et ce ne peut être exclu), c’est un espoir qui meurt, c’est une dépression nationale. Donc nous on continue et on essaye d’inspirer une approche différente, et qui montre depuis quelques semaines un certain succès, sur le terrain et sur internet. On porte cette lame de fond, en essayant de saisir tout les occasions favorables.
Là, par exemple, on est en train d’intervenir pour débloquer temporairement les grands péages d’Ile-de-France en pratiquant la non-violence organisée, pour dire que nos autoroutes sont nos autoroutes et ne devraient pas être privatisées au détriment du portefeuille des Français. On arrive à mobiliser chaque fois plusieurs centaines de Gilets jaunes, avec des live totalisant presque 500 000 vues.
Se retrouver avec des mères et des pères de famille, des chômeurs, des retraités, des chefs d’entreprise, des agriculteurs, des cadres, des ouvriers, un soir après le boulot sur un péage à cent personnes, à chanter, avec le drapeau tricolore, le drapeau jaune, au milieu des klaxons des automobilistes qui sont contents d’avoir un péage gratuit, ça ce sont les meilleurs moments de la mobilisation. Et ce sont peut-être ces opérations de visibilité sur des questions très populaires qui permettront que le mouvement survive à l’été. Alors ça pourra devenir très intéressant à la rentrée car politiquement ce qui nous attend c’est la réforme du chômage, la réforme de Blanquer sur l’Ecole de la confiance, c’est la réforme des retraites à points, ce sont les augmentations nouvelles, etc. Et ce n’est surtout pas à ce moment qu’il va falloir fléchir, surtout pas.
Est ce que la presse vous a couverts récemment ?
La presse locale a couvert des actions d’ampleur comme les péages récemment, la presse nationale très rarement. Une fois LCI en a parlé car un journaliste a profité du péage gratuit et a fait un tweet. Pour le moment la presse est dans le story telling selon lequel le mouvement est mourant donc tout ce qui montre une remobilisation, elle va le passer sous silence. Il faut bien se dire que le terrain ce n’est pas la presse, l’enjeu ce n’est pas la presse. L’enjeu c’est la capacité d’un peuple à se mobiliser sur les questions de fond.
Merci Yannick. Continue le combat sur tous les fronts.
Pour suivre et rejoindre les live : RENDEZ-VOUS sur la page facebook Gilets jaunes constituants 93.
Pour agir : SIGNEZ la pétition « Un RIC pour une Banque nationale » en plus de celui de la pétition pour le RIP contre la privatisation d’ADP.
# Longo
• 06/07/2019 - 18:27
Tout ça c’est bien beau mais vous oubliez le rôle de la Francs maçonnerie il y a un gros problème cette secte engendre la non séparation des pouvoirs et la république des copains leur serment les engagent à ne pas porter atteinte à leurs frères. Comment vous allez résoudre ce problème.?
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