Par Jacques Cheminade
9 mars 2005
L’on peut hélas résumer facilement la situation de la France et de l’Europe en 2005 : les profits financiers des grands groupes du CAC 40 explosent mais l’argent ne va ni à l’investissement, ni à la recherche, ni à l’éducation, ni à la santé publique, et encore moins dans la poche des salariés. Un capitalisme financier prédateur impose des rendements de 15 % par an, qu’il redistribue aux actionnaires et aux dirigeants. La mondialisation n’est que la loi d’une jungle où l’on pille partout le travail humain.
Un tel monde n’a pas d’avenir, car il détruit sa propre substance. La politique de l’administration Bush, du pillage des retraites jusqu’au recours à la torture et à la « guerre préventive », n’en est que l’expression criminelle.
Cela, vous le savez ou vous le sentez. En manifestant pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat et pour que vos enfants aient un futur meilleur, vous voulez un autre monde. Cependant, l’on ne vous apporte que de fausses réponses. Les uns disent « Europe » et vous vendent une marchandise frelatée. Les autres disent « révolte » et ne vous proposent aucun projet, aucun horizon.
Y a-t-il de quoi se décourager ? Eh bien non. A condition d’élever le débat, car se borner à défendre ce qui est juste ne peut que conduire à la défaite. Il faut se battre pour créer les conditions politiques dans lesquelles ce qui est juste devienne possible.
Non à la « constitution » européenne
Ecartons d’abord la marchandise frelatée. L’Europe pour laquelle on va voter le 29 mai n’est qu’une caricature obscène de notre rêve, une Europe soumission, une Europe impuissance. La Constitution européenne n’est qu’un traité piège perpétuant l’injustice actuelle.
1) La partie III, avec plus de 300 articles, inclut toutes les politiques de l’Union européenne. Elle « gèle » les règles du jeu. C’est un aller simple pour une Europe livrée à la concurrence, c’est-à-dire à la dictature financière.
2) La référence à « l’économie sociale de marché » (article 13-3) n’apparaît plus dans la partie III, où elle devient « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre » et où le « social » est passé à la trappe. Le mot « marché » est cité 78 fois, « concurrence » 27 fois et « économie sociale de marché » une fois !
3) Le Système européen de banques centrales (SEBC), chapeauté par la Banque centrale européenne (BCE) a pour seul objectif la « stabilité des prix ». Il est interdit à tout gouvernement national ou institution européenne de chercher à l’influencer. C’est la dictature de la monnaie sans pilote politique, sans contrôle citoyen.
4) La concurrence passe avant tout. L’article 111-156 interdit « les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu’aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers ». La libre circulation des capitaux, c’est-à-dire la loi de la jungle, est protégée par le texte constitutionnel !
5) Le principe selon lequel le budget européen doit être équilibré est pérennisé. Pas de stimulant public !
6) Le service public est soumis par les articles III-166 et III-167 au primat des « règles de la concurrence ». Sans aide publique, nos services publics devront donc financer eux-mêmes leur fonctionnement : ils ne pourront qu’augmenter leurs tarifs ou réduire leurs prestations pour survivre. L’austérité sociale sous le voile de l’hypocrisie !
7) La défense européenne doit « respecter les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord » (article I-41-2). La clause d’assistance mutuelle entre Etats membres est subordonnée (article I-41-7) « aux engagements souscrits au sein de l’OTAN qui reste pour les Etats qui en sont membres le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ». Pourquoi ? Non pas pour défendre l’Europe, mais (art. 1-41-1) pour permettre des interventions sur des « théâtres extérieurs » !
8) Les « coopérations renforcées » entre quelques Etats membres seraient un moyen de sortir du piège. En fait, c’est presque impossible. Il faut un tiers des Etats membres (10 sur bientôt 29) pour pouvoir y recourir et une proposition de la Commission est indispensable pour déclencher le processus ! Et en plus, il faudra l’approbation du Parlement européen ! Et en plus, ces coopérations ne peuvent être lancées sur les questions qui touchent à la concurrence ou à la politique monétaire ! Ainsi, l’harmonisation fiscale, la politique industrielle et l’environnement sont, de fait, exclus.
9) Enfin, ce texte serait très difficile, voire pratiquement impossible à réviser, car il faudrait l’unanimité pour en sortir. Les politiques de l’Union ne peuvent donc être modifiées le piège se referme, les « générations futures » dont M. Raffarin dit se préoccuper seraient livrées pieds et poings liés à l’austérité financière, à la régression sociale et à la contraction industrielle, avec la feuille de vigne d’une charte des droits fondamentaux qui ne crée, d’ailleurs, aucun droit nouveau.
Un projet mobilisateur
Dire « non » à cette Europe-là ne suffit cependant pas. Se révolter ne mène nulle part sans projet mobilisateur. C’est ce que nous proposons ici.
Il ne faut plus partir de formules institutionnelles trompeuses. Il faut un grand programme de développement des infrastructures européennes et eurasiatiques, une stratégie industrielle et une politique de formation et d’aide au travail humain (éducation, culture, recherche, santé publique). C’est de là que l’Europe doit repartir pour le faire d’un bon pied, c’est-à-dire du physique et du concret.
Changer l’économie de sens, bloquer la dérive vers la guerre, faire remonter l’ascenseur social suppose six choses :
1) Un grand programme d’investissements lourds - au moins 1000 milliards d’euros par an - au sein de l’Union et au-delà, en Eurasie, en Afrique et dans l’Asie du Sud-Ouest. C’est une politique de pont terrestre eurasiatique, joignant l’Europe occidentale à la Chine et à l’Inde, avec la Russie et la Turquie pour trait d’union.
2) Un grand programme européen de recherche, y consacrant 5 % du produit intérieur brut de chaque pays, avec un fonds de démarrage de 200 milliards d’euros.
3) Pour cela, il faut faire sauter les barrières posées et empêcher les futures d’être dressées. Dire non à la pseudo-Constitution européenne, mais aussi annuler les articles 104 et 109 du traité de Maastricht et la loi française n°93 du 31 décembre 1993, votée en application de l’article 104 ci-dessus, qui « interdit d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprises publics » et qui élimine donc toute possibilité pour l’Etat d’émettre du crédit public pour de grands travaux d’infrastructures et pour soutenir une stratégie industrielle. Dire non également au « stupide » pacte de stabilité et le remplacer par un pacte de développement fondé sur un accord contrôlé entre l’émission de crédits publics et les grands travaux, en utilisant le pouvoir de l’Etat pour éliminer la spéculation financière et mettre sous règlement judiciaire les agents spéculateurs.
4) Une politique d’harmonisation par le haut des conditions sociales et de santé publique pour les individus et d’harmonisation fiscale pour les entreprises, cohérentes avec le projet mobilisateur d’une vraie Europe.
5) Remplacer pour cela le système européen de banques centrales par une association des banques nationales de chaque Etat, rassemblant leurs ressources pour servir le projet commun, sous contrôle citoyen. Ce point est essentiel pour que les Etats puissent arracher leur pouvoir aux cartels financiers.
6) Un nouveau Bretton Woods, assainissant le système dollar et établissant un système monétaire international de parités fixes entre monnaies, à référence or, qui permette une stabilité dans les anticipations et exclue les bulles spéculatives, comme celles des produits financiers dérivés et du crédit hypothécaire.
Urgence
I1 y a urgence. Comme dans les années trente, ce que nous avons devant nos yeux - et dont nous souffrons tant - sont des politiques d’austérité imposées au sein d’un système monétaire et financier qui s’effondre. Au bout de ces politiques, il y a, inéluctablement, le fascisme et la guerre. Les politiques actuelles, en France et en Allemagne, sont semblables à celles de Brüning (1930-1932) et de Laval (1931-1932 et 1935-1936), qui ont fait le lit de l’hitlérisme et du pétainisme.
Faire notre choix n’est pas simplement choisir une autre politique ou créer des emplois qualifiés. C’est, plus fondamentalement, sortir d’une conception comptable et financière du monde pour aller vers une conception de changement, de transformation, d’amélioration de l’environnement humain. Nous combattons partout dans le monde pour cette conception, et en particulier aux Etats-Unis, où l’enjeu est décisif, avec la faction LaRouche-Roosevelt du Parti démocrate et un mouvement de jeunes qui renoue avec une culture de la découverte.
« Rien n’est permanent que le changement » écrivait Héraclite d’Ephèse, cité par des sénateurs qui, réveillés par les circonstances, appellent à un « néo-colbertisme européen ». Encore un effort ! Ce sont les fondements mêmes de la politique actuelle qu’il faut changer.
Imaginez-vous un monde dans lequel un acteur autrichien gonflé aux stéroïdes et poussé par l’oligarchie financière, pratiquant une politique féroce de coupes sociales et détruisant l’économie, serait au pouvoir dans le plus grand pays du monde avec l’approbation de dirigeants européens. Eh bien oui, Schwarzenegger est déjà au pouvoir aux Etats-Unis. Gouverneur de Californie, il vise la présidence américaine et a reçu le soutien du dirigeant chrétien-démocrate allemand Juergen Ruettgers et du Most American French Politician, selon le journal de la secte Moon, Nicolas Sarkozy.
Il faut arrêter ce cauchemar. L’enjeu, le vrai, du référendum sur l’Europe, c’est, cette fois, de sortir par le haut des situations qui, au XXème siècle, nous ont menés à l’abîme.
Un message, un commentaire ?