L’économiste russe Sergueï Glaziev est aujourd’hui conseiller du Président russe pour l’Intégration économique régionale. Il est en contact avec l’économiste américain Lyndon LaRouche depuis plusieurs années.
Les sanctions et la chute spectaculaire des revenus pétroliers ont fait sauter les anciens compromis régissant la politique économique russe, provoquant du même coup un grand débat dans le pays. D’un côté, il y a les partisans de la politique conduite par la banque centrale (BCR), et de l’autre, des économistes minoritaires, mais de plus en plus écoutés, comme Sergueï Glaziev, le conseiller du président Poutine pour l’intégration eurasiatique.
Parmi ces derniers aussi l’économiste franco-russe Jacques Sapir qui, le 23 janvier, a rendu publique son intervention lors du séminaire franco-russe qu’il organise tous les ans à Moscou et dont le thème était : « Modèle économique et modèle de financement en Russie ».
Les interventions de ces deux économistes dans le débat portent notamment sur le nécessaire changement dans le modèle de financement de l’économie russe, pour que ce pays puisse développer pleinement sa puissance industrielle et devenir un exportateur, non seulement de matières premières, mais aussi de biens manufacturés.
Modèle économique et modèle de financement
Pour l’économiste Jacques Sapir, aucun doute, les sanctions ont frappé le talon d’Achille de l’économie russe : sa dépendance à la finance globalisée. En dépit de la crise des GKO en 1998 et de celle de subprimes en 2008, la Russie avait pu poursuivre son développement, sans pour autant remettre en cause son modèle de financement, dit en somme Jacques Sapir. Aujourd’hui, pour assurer sa survie, elle doit mettre fin à cette dépendance.
Dès le début des sanctions, le gouvernement pensa pouvoir convertir cette situation handicapante en atout, comme il l’avait fait à la suite de la crise des GKO en 1998. A l’époque, la forte dépréciation du rouble avait entraîné une chute des importations – trop chères – provoquant une forte incitation au développement des entreprises russes. Ceci se traduisit par un fort rebond de croissance, avec 6,7% de hausse moyenne du PIB entre 2000 et 2006.
Par la suite, la crise des subprimes fut compensée par la forte augmentation du prix des matières premières, ouvrant une autre phase de développement de l’économie russe, liée cette fois aux exportations de matières premières. L’augmentation des revenus créa les conditions d’une croissance rapide et d’une augmentation, quasi frénétique, de la consommation. Le gouvernement procéda à une modernisation massive des infrastructures. Tout cela, cependant, en totale dépendance à l’égard du système bancaire international, condition que les sanctions sont venues anéantir.
Très important, dans son intervention lors du séminaire franco-russe que nous incitons tous nos lecteurs à lire, Jacques Sapir propose à la Russie de s’intéresser au système d’autofinancement ayant permis à la France de connaître ses « Trente Glorieuses », système qu’il explique en détail dans son texte.
Serguei Glaziev et le modèle chinois
Sergueï Glaziev s’attaque aussi à cette fragilité russe. Lors d’un débat télévisé sur Russian News Service (RNS), le 30 janvier, il a montré comment le marché des devises russe est entre les mains de spéculateurs étrangers. Des « non résidents » interviennent dans trois quarts de toutes les transactions opérées sur les marchés financiers russes, mais dans le secteur des devises, leur participation se monte à 90 %. Or, les sanctions occidentales, a-t-il fait remarquer, n’affectent aucunement la spéculation et ses profits « absurdes » (atteignant 80 à 100 %), mais uniquement les prêts à long terme aux entreprises russes.
Lors de la présentation à la presse, le 20 janvier à Moscou, de son dernier ouvrage (« La dernière Guerre Mondiale : les États-Unis l’ont lancée, et vont la perdre »), Glaziev a plaidé en faveur du modèle chinois comme une alternative valable. Réduire les investissements publics dans l’économie à cause d’un budget en déficit relève de la folie. Au lieu de puiser dans les recettes budgétaires pour financer les investissements nécessaires, il estime que la Banque centrale russe devrait émettre du crédit puis l’orienter vers l’économie productive.
Par ailleurs, Sergueï Glaziev accuse la BCR de ne pas avoir défendu le rouble, en violation avec ses fonctions. Il faut aujourd’hui 78 roubles pour un dollar, soit une chute de 50 % par rapport aux 50 roubles de mai 2015. Et cette situation pénalise les échanges avec les BRICS, qui sont pourtant la clé d’un avenir meilleur pour la Russie. « Nous avons convaincu nos partenaires d’effectuer leurs échanges avec nous en roubles. (...) Désormais, à cause de la dévaluation, ils ne veulent plus entendre parler d’échanges en devises nationales. »
Selon Glaziev, la BCR aurait dû utiliser ses réserves internationales – qui représentent « deux fois le montant total de roubles en circulation dans l’économie nationale » – pour empêcher l’effondrement de la devise russe, comme il l’expliquait le 21 janvier à l’agence Tass. La présidente de la BCR, Elvira Nabiullina, persiste cependant à laisser flotter la monnaie, prétextant que la stabilité financière n’est pas menacée.
Jusqu’à quel point peut-on cependant soutenir sa monnaie face aux capitaux spéculatifs internationaux déchaînés, sans se saigner aux quatre veines ? C’est dans ce contexte que le modèle français des Trente glorieuses, où une Banque centrale sous contrôle public émet « du crédit productif public » pour financer, via le Trésor, une forte croissance industrielle tirée par la recherche et la technologie de pointe, devient, en effet, tout à fait intéressant pour la Russie.
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