Profitant d’un sens renouvelé d’unité nationale, le gouvernement, par la voix de Ségolène Royal, ministre de l’environnement, a annoncé sa décision de renouveler le parc nucléaire.
Interrogée par l’Usine Nouvelle sur la loi de transition énergétique qui sera débattue au Sénat en février, Ségolène Royal, vingt-quatre heures après la tuerie de Charlie Hebdo, a fait part d’une « réaction d’horreur, de profonde tristesse et, en même temps, de volonté ».
Ne soyons pas dans la peur, la consternation ou tétanisés, explique-t-elle. Soyons dans la puissance de la réponse de la République et de la liberté. C’est ce que montre la façon dont le peuple français réagit et se mobilise. Il y a eu une prise de conscience, salutaire et réconfortante, que l’essentiel est en jeu. Et que cet essentiel se défend collectivement.
Alors qu’en 2011, la candidate Royal voulait ramener le nucléaire à une énergie d’appoint et s’était prononcée pour une sortie du nucléaire « à échéance de quarante ans maximum » tout en promettant de transformer le site du futur réacteur EPR de Flamanville en site de recherche sur les techniques de démantèlement et les énergies renouvelables, la ministre, on peut la féliciter, a radicalement changé sa position.
Depuis qu’elle est ministre, Royal s’en tient à l’engagement de François Hollande de réduire de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans le mix énergétique. A l’heure actuelle, l’ensemble des 58 réacteurs nucléaires en opération qu’abritent nos 17 centrales nucléaires produisent 63,2 gigawatts. Pour réduire, non pas la quantité d’électricité qu’ils produisent, mais leur part dans le total, le gouvernement cherche à augmenter les énergies renouvelables, c’est-à-dire le solaire et l’éolien.
Si j’ai réussi à faire voter à l’Assemblée la loi de transition énergétique, c’est parce que j’ai choisi trois options. La première a été de ne pas opposer les énergies les unes aux autres et d’affirmer dès le départ, malgré les réticences de certains, que l’histoire et le savoir-faire français dans le nucléaire font partie de nos atouts… Deuxièmement, sans opposer les énergies, il faut malgré tout sortir du "tout nucléaire", car c’est notre intérêt national. La montée en puissance des énergies renouvelables doit s’accélérer et c’est une des missions d’EDF et des grands énergéticiens français. Troisième point, la loi plafonne la puissance nucléaire à 63,2 gigawatts…
Seulement, un parc nucléaire, ça vieillit. En attendant l’arrivée de nouvelles centrales, on peut prolonger la durée de vie de nos centrales de dix à vingt ans en faisant les investissements nécessaires. En tout cas, pour le gouvernement il est désormais hors question de fermer la centrale de Fessenheim avant la mise en service de l’EPR de Flamanville (c’est-à-dire pas avant 2017 selon le dernier calendrier d’EDF, ndlr). Comme le précise Royal :
Lorsque l’on fait des investissements de cette dimension [55 milliards d’euros selon EDF, ndlr] sur le parc électronucléaire, il faut penser la totalité du modèle énergétique. Il y a la question des centrales en fin de vie. Mais il y a aussi celle de leur durée de vie. Je n’ai pas mis dans la loi sur la transition énergétique une limitation à quarante ans comme le voulaient les écologistes. Ce n’est pas une bonne façon de procéder vis-à-vis de notre industrie. À l’international, ce serait un couperet trop idéologique. Certaines centrales peuvent vivre plus longtemps. Il faut maintenant programmer les investissements de sécurité des réacteurs existants.
Sagesse élémentaire car l’on voit mal comment on aurait pu continuer à valoriser notre savoir-faire dans ce domaine si en même temps on démantèle chez nous le parc nucléaire...
Ensuite, affirme Royal :
Il faut aussi programmer la construction d’une nouvelle génération de réacteurs, qui prendront la place des anciennes centrales lorsque celles-ci ne pourront plus être rénovées.
Car :
L’énergie nucléaire est un atout, même si demeurent des questions sur la gestion des déchets et l’approvisionnement en uranium. Elle nous permet de réaliser la transition énergétique, car, comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale, elle assure une sécurité énergétique.
Réacteurs de quatrième génération ?
Interrogée sur la nature de la « nouvelle génération de réacteurs » qu’elle appelle de ses vœux, Royal a précisé que :
Nos entreprises (EDF, AREVA, CEA) travaillent donc, comme je l’ai dit lors du débat à l’Assemblée Nationale, sur les réacteurs futurs qui pourront remplacer, au sein des sites actuels, une partie des réacteurs qui ne pourront plus être prolongés. (…) Il s’agit à la fois de tirer parti des retours d’expérience des réacteurs de troisième génération (EPR, ATMEA) et de travailler sur une quatrième génération de réacteurs consommant beaucoup moins de combustibles et les recyclant, générant des déchets en moindre volume et moins nocifs (démonstrateur ASTRID [1] du CEA).
On peut donc se féliciter que le gouvernement retrouve, non pas de l’ambition – qui serait de lancer une vaste mobilisation pour développer au moins les six nouveaux types de réacteurs de fission les plus prometteurs et de mettre le paquet sur la fusion par confinement magnétique (ITER) et inertiel (laser mégajoule) - mais un simple sens des réalités.
Le gouvernement répond directement aux mises en garde des meilleurs spécialistes. Comme nous l’avions rapporté à l’époque, depuis avril 2014, plusieurs responsables du secteur de l’énergie avaient tiré la sonnette d’alarme. Interrogé par l’Usine nouvelle, Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), avait mis en garde :
Pour que nous puissions assurer notre indépendance vis-à-vis des énergies fossiles, et que l’énergie nucléaire puisse couvrir demain 50 % des besoins en électricité [alors qu’on est à 78 % des besoins aujourd’hui…, nda], conformément aux objectifs fixés par le Président de la République [et par l’accord électoral suicidaire signé entre Martine Aubry et les Verts, nda], il faut lancer la construction de 35 réacteurs. On ne peut en effet pas estimer que la durée de vie des centrales actuellement en fonctionnement excèdera les 55 ou 60 ans. A l’horizon 2050-2055, toutes les centrales qui existent aujourd’hui auront été arrêtées. Il faut donc construire avant de fermer, d’autant plus qu’entre le lancement d’une centrale et sa connexion au réseau, huit à dix ans s’écoulent.
Ségolène Royal fait royalement l’impasse sur trois obstacles majeurs :
- Équiper la France avec des réacteurs de quatrième génération, à produire en série en fonction du succès du démonstrateur/prototype ASTRID, prendra du temps. Ce dispositif n’est que dans sa phase préindustrielle et le CEA indique 2040-2050 comme horizon pour la mise en service éventuelle de ces réacteurs.
- En attendant ces réacteurs de quatrième génération, il va bien falloir équiper la France d’EPR permettant de faire le pont entre l’existant et le futur.
- Sans réforme financière en profondeur (Glass-Steagall et retour au crédit productif public), les moyens financiers pour réaliser ce qu’annonce le gouvernement font cruellement défaut.
[1] ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) est un projet français de prototype de réacteur rapide refroidi au sodium, porté par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur le site nucléaire de Cadarache. Le projet ASTRID a pour objectif de relancer la filière surgénérateur, suite aux réacteurs expérimentaux Rapsodie, Phénix et Superphénix.
# Sylvain
• 25/01/2015 - 13:16
Il y a un truc qu’on évoque pas souvent ici, c’est le changement climatique. Toutes ces centrales sont des machines à vapeur (comme celles à gaz ou à charbon d’ailleurs) qu’il faut refroidir. Elles sont soit près des fleuves soit de l’océan. En cas de canicule, il faut fermer celles près des fleuves (on l’a vu en 2003). Et en cas de tempête ce sont celles près des océans qui sont vulnérables. De plus en plus avec la montée des eaux d’ailleurs. Ce qui veut dire que le nombre d’heures de service par an et par centrale va baisser sans parler de la maintenance qui va être plus importante sur de vieilles centrales.
Et avec le risque d’attentat, je n’ai pas vraiment envie qu’on crée des centrales avec plusieurs mètre cube de Sodium liquide. D’après ce que vous dites en général, les centrales les plus sûres sont celles à combustible liquide ce dont il n’est pas du tout question ici.
Commercialement on a l’EPR que techniquement on ne peut vendre qu’à des pays ayant déjà une culture nucléaire pas mal d’argent et beaucoup de patience. Le problème c’est que ces pays ont souvent une industrie nucléaire domestique. Ce sera un autre Rafale, on s’en servira surtout chez nous. Ce qui fait que pour le demi siècle qui vient, on aura plutôt une stagnation de notre production qu’autre chose.
# Karel Vereycken
• 25/01/2015 - 14:25
Dans nos dossiers de fond, vous trouverez nos analyses sur le réchauffement climatique.
Quand à la sécurité, la fusion est en tête ! Certes les centrales à combustible liquide (thorium, mais pas seulement.) représentent des avantages et d’autres inconvénients... Les chercheurs estiment qu’il faut trente ans pour développer une nouvelle filière : 10 ans de recherche sur les matériaux, 10 ans pour concevoir un prototype et dix ans pour mettre en place la production industrielle d’un nouveau type de réacteur. En y mettant le paquet, je suis convaincu qu’on pourra faire plus vite, mais le défi reste conséquent.
N’oublions pas, pour les pays neuf, les petits réacteurs modulables, éventuellement flottants ou sous-marins. La Russie, la Chine et les États-Unis y travaillent. En France il existe le projet FlexBlue.
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# AtomicBoy44
• 21/01/2015 - 20:02
Le vieillissement est faux prétexte.
la moyenne d’age du parc Français est de 25 ans et de 28 ans dans le monde !
http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/parc-nucleaire-francais
"Le parc nucléaire français a une moyenne d’âge de 25 ans. Au niveau mondial en 2013, la moyenne d’âge des réacteurs nucléaires est de 28 ans."
Les Etats-unis, première puissance électronucléaire mondiale avec leurs 100 réacteurs, ont déjà autorisé presque la totalité de leur parc a aller au delà de 60 ans via des autorisations bi-decenales de la NRC. Ils le font avec des normes de sureté qui datent de leurs constructions !
Ils envisagent même d’aller jusqu’à 80 ans pour sans doute les 2/3 de leurs réacteurs ! Et peut être 1 siècle pour les plus récents, environ 1/3 !
Pour info, notre ASN met a jour ses normes a chaque nouvelles recommandations de l’AIEA et fait des analyses ultrasoniques de l’acier inoxydable des cuves tous les 10 ans !
Détruire notre parc électronucléaire maintenant alors que nous n’en avons ni les moyens, ni les capacités (a cause de l’acceptabilité très basse, elle même due a l’agitation, a la fois de la peur et des électroENR importées) serait la faire le choix du suicide énergétique du pays ! La pire décision que nos gouvernants prendraient depuis le redressement du pays par De Gaulle.
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# AtomicBoy44
• 21/01/2015 - 20:02
Suite :
Quand aux importations d’uranium 5moins de 1 milliard d’euro par an et tjrs 5 ans de réserves dans un volume très réduit grâce a la densité bien connue), on a largement le temps de voir venir quand on sait que l’Australie, le Kazakhstan, le Canada, la Russie ont encore largement les capacités de production nécessaires a un doublement du parc mondial d’ici a 2050 !
Si a cela on ajoute le système SILEX qui permettra de retraiter tous les stocks mondiaux de 238U appauvri une fois par centrifugation gazeuse ou non, et d’en tirer encore un tiers de ressources des besoins mondiaux en 235U. Il reste largement 1.5 siècle aux réacteurs classique a fission.
Le laser mégajoule est, selon un de vos conférenciers déjà dépassé, et les lasers progressent si vite que même les HTR ou les ADS ont un bel avenir et une possibilité plus que probable.
A mon avis, Ségolène donne juste a Duflot de quoi valider sa future candidature. Car, si vous ne l’aviez pas compris, avec les déclarations tonitruantes récentes de cette dame, elle est partie en campagne. Il lui faudra plus que Eva Joly, Noël Mamère, Émilie Aubry, (encore du délire hier soir sur ARTE) ou Denis Baupin, pour ratisser plus large que les antinucléaires minoritaires pourtant très actifs sur la toile.
Je n’y voit guère de réelle conviction ou même de réelles connaissances du monde de l’énergie et des ordres de grandeurs en question dans cette affaire de crise climato-énergétique.
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