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- Tony Blair, ici avec l’ancien ambassadeur saoudien aux États-Unis, le Prince Bandar d’Arabie Saoudite.
- Crédit : Reuters
Depuis les attentats meurtriers perpétrés en France au début de l’année, Paris supporte de moins en moins la connivence des élites anglo-américaines avec en particulier l’Arabie Saoudite. Depuis des lustres, par sa position oléo-politique, ce pays profite d’une impunité scandaleuse.
Dans un premier article du 22 janvier, Laure Mandeville, la correspondante du Figaro à Washington, souhaitait croire que Washington commence à « revoir son alliance stratégique avec Riyad » et son rôle « dans l’exportation d’un wahhabisme et d’un néosalafisme qui s’étendent à travers le monde et les banlieues d’Europe comme un poison ».
Une source du Figaro y affirme :
Il y a encore cinq à sept ans, les liens entre la promotion du wahhabisme saoudien et les groupes comme al Qaïda étaient généralement vus comme distants, aujourd’hui ces liens sont largement avérés et mènent à un changement de stratégie qui reconnaît que la propagation du wahhabisme et du néosalafisme est une menace majeure de long terme, qui doit être défaite.
Une partie de l’establishment américain se rend également à l’évidence qu’on est devant un « monstre de Frankenstein ». Utile pour chasser les Soviets d’Afghanistan, ce monstre se retourne désormais contre des alliés stratégiques de l’Amérique, y compris… l’Arabie Saoudite !
En réaction à la guerre civile syrienne et ce qu’ils voient comme l’échec de l’Amérique à l’arrêter, écrit Mandeville, les Saoudiens ont commencé par soutenir l’État islamique et d’autres groupes sunnites radicaux engagés dans la lutte contre le président Bachar el-Assad et le régime chiite en Irak, perçu comme une marionnette de leur grand ennemi chiite, l’Iran.
Seulement, l’influence de l’Etat islamique (EI) au sein de l’armée saoudienne et des autorités religieuses est devenue telle que le gouvernement de l’Arabie saoudite a fini par inscrire l’EI sur la liste des organisations terroristes, et a décidé de construire un mur de 700 km sur sa frontière nord dans l’espoir de se protéger contre le virus salafiste !
Laure Mandeville précise ensuite que :
C’est sans doute la raison pour laquelle un fort courant politique s’est réveillé au Congrès pour révéler les "sombres coulisses" de la politique saoudienne. La semaine dernière, l’ancien sénateur Bob Graham, qui présidait la commission du renseignement du Sénat après le 11 Septembre, a solennellement appelé à déclassifier les 28 pages du Rapport parlementaire sur ces attentats de 2001, qui avaient été éliminées de la version rendue publique.
Encadré par les représentants républicain Walter Jones et démocrate Stephen Lynch, lors d’une conférence de presse, Graham a affirmé que ces pages restées secrètes "pointent le doigt vers l’Arabie saoudite comme principal financier".
"Ce sujet peut paraître dépassé à certains, mais il est d’une actualité aussi brûlante que les titres actuels des journaux", a dit l’ancien sénateur démocrate, en référence au massacre perpétré à Charlie Hebdo. Ces pages ont été classifiées "pour raisons de sécurité nationale, mais le vrai danger pour la sécurité nationale est de ne pas les rendre publiques", a affirmé Graham, dénonçant une "tendance générale" à garder les Américains dans l’obscurité. En avril 2014, Barack Obama avait confié aux familles des victimes du 11 Septembre être en faveur d’une déclassification de ces fameuses pages.
Faisant preuve d’un courage certain, Laure Mandeville, lors de la conférence de presse hebdomadaire, a posé directement la question au porte parole de la Maison-Blanche :
Interrogée par Le Figaro sur la position de l’Administration, la Maison-Blanche a jugé ce vendredi ne pas avoir d’éléments à communiquer à ce stade.
Entretien avec Bob Graham
Pour continuer à faire monter la pression, Le Figaro a pris soin de directement interroger l’ex-sénateur Graham dont nous avons beaucoup parlé sur ce site. Vu le contenu explosif de ses propos, nous reprenons ici quelques extraits de l’entretien :
11 Septembre :
ces 28 pages qui menacent l’axe Washington-Riyad
Par Laure Mandeville
Correspondante du Figaro à Washington
Article parue dans Le Figaro du 2 février 2015
Extraits
Un document classifié prouve le rôle financier des Saoudiens dans les attentats du World Trade Center, assure l’ex-sénateur Bob Graham.
Dans les sous-sols du bâtiment du Capitole, tout près de l’entrée où des flots de touristes se présentent pour la visite du Congrès, il existe une pièce sécurisée où le Comité pour le renseignement de la Chambre des représentants conserve des documents secrets hautement classifiés. L’un d’eux, long de 28 pages, et intitulé "Éléments, discussion et récit concernant certains sujets sensibles de sécurité nationale", a fait couler beaucoup d’encre depuis treize ans.
Ce texte, qui pose la question du rôle de l’Arabie saoudite dans l’organisation des attentats du World Trade Center, faisait partie du fameux rapport sur le 11 septembre 2001, supervisé par le Comité du renseignement du Sénat, et son ancien président Bob Graham. Mais au moment de sa publication en 2002, ce sénateur démocrate de Floride, qui a depuis quitté le Congrès, a découvert avec stupéfaction que les 28 pages avaient été supprimées et classifiées à la demande de l’Administration. "Raisons de sécurité nationale", avait expliqué à l’époque l’équipe de George W. Bush.
(...)
"Ce rapport montre la participation directe du gouvernement saoudien dans le financement du 11 Septembre", déclare l’ancien sénateur au Figaro. "Nous savons au moins que plusieurs des 19 kamikazes ont reçu le soutien financier de plusieurs entités saoudiennes, y compris du gouvernement. Le fait de savoir si les autres ont été soutenus aussi par l’Arabie saoudite n’est pas clair, car cette information a été cachée au peuple américain", ajoute Graham. "On nous dit que cela ne peut être fait pour des raisons de sécurité nationale, mais c’est exactement le contraire", poursuit-il.
"Publier est important précisément pour notre sécurité nationale. Les Saoudiens savent ce qu’ils ont fait, ils savent que nous savons. La vraie question est la manière dont ils interprètent notre réponse. Pour moi, nous avons montré que quoi qu’ils fassent, il y aurait impunité. Ils ont donc continué à soutenir al-Qaida, puis plus récemment dans l’appui économique et idéologique à l’État islamique.
C’est notre refus de regarder en face la vérité qui a créé la nouvelle vague d’extrémisme qui a frappé Paris", martèle l’ancien sénateur.
Un autre élu qui a lu le document a confié au New Yorker que "les preuves du soutien du gouvernement saoudien pour les événements du 11 Septembre étaient très dérangeantes" et que la "vraie question est de savoir si cela a été approuvé au niveau de la famille royale ou en dessous".
En 2002, Graham était bien seul dans son combat pour "la vérité". Mais à la mi-janvier, il a tenu une conférence de presse au Sénat sur ce thème (voir vidéo ci-dessous) en compagnie de deux représentants, le républicain Walter Jones et le démocrate Stephen Lynch, qui ont présenté une résolution HR 428 [devenu HR 14 dans la 114e mandature, nde] appelant à la déclassification. "Le soutien grandit mais atteindra-t-il le seuil qui permettra au Congrès de faire pression sur l’Administration Obama ? Ce n’est pas clair", note l’ancien élu. Jones et Lynch ont écrit au président pour lui demander d’agir. Selon l’un des membres de l’organisation des familles victimes du 11 Septembre, Terence Schiavo [Laure Mandeville se trompe ici sur le nom de la personne : il s’agit de Terry Strada], Obama aurait promis de déclassifier un jour.
Nous affirmons que des organismes de bienfaisance établis par le gouvernement du Royaume pour propager l’idéologie radicale wahhabite ont servi de sources majeures de financement et de soutien logistique à al-Qaida, pendant toute la décennie qui a mené au 11 Septembre.
Sean Carter, un des avocats des victimes du 11 Septembre
Les familles de victimes sont en première ligne dans ce combat. Si leurs avocats pouvaient prouver la participation de l’État saoudien aux attentats, Riyad serait forcé de leur verser des compensations. "Nous affirmons que des organismes de bienfaisance établis par le gouvernement du Royaume pour propager l’idéologie radicale wahhabite ont servi de sources majeures de financement et de soutien logistique à al-Qaida, pendant toute la décennie qui a mené au 11 Septembre", a confié l’un des avocats des familles, Sean Carter, au New Yorker.
Selon l’hebdomadaire, deux des kamikazes auraient notamment été financés et hébergés à San Diego par un personnage en contact permanent avec la section du ministère des Affaires islamiques basée à Los Angeles. L’Arabie saoudite nie toutefois toute responsabilité et a appelé à la déclassification des 28 pages afin de laver sa réputation.
Bob Graham pense que derrière ces appels, le Royaume fait pression sur Washington pour que le rapport reste confidentiel. Mais certaines des personnes qui ont travaillé sur le document apportent de l’eau au moulin des Saoudiens, en soulignant que le texte n’établit pas de manière irrévocable la participation des autorités saoudiennes. C’est notamment le cas de Philip Zelikow, directeur de la commission du 11 Septembre, qui qualifie les 28 pages "d’accumulation de rapports préliminaires non confirmés". "Je ne suis pas d’accord. Si ce rapport est superficiel et peu convaincant, pourquoi en avoir empêché la publication depuis treize ans ?" réagit Graham.
Pour lui, "la réponse est évidente concernant les Bush, qui sont très proches des Saoudiens" qui craignaient pour leur réputation. La raison pour laquelle Obama suit la même voie semble surtout venir des énormes implications géopolitiques que pourraient avoir de telles révélations sur une relation américano-saoudienne, toujours considérée comme vitale.
Le fait que Barack Obama ait écourté sa visite en Inde la semaine dernière, pour aller saluer le nouveau roi d’Arabie en compagnie de 30 hautes responsables politiques - alors qu’aucun n’avait pris la peine de se rendre à la marche de Paris après les attaques terroristes - en dit long sur les priorités de Washington. (...)
- Consulter notre page spéciale sur ce sujet : Face à notre 11 septembre
- Article de Jeff Steinberg sur Charlie Hebdo et les 28 pages
- Extrait de la conférence de presse du 7 janvier de Bob Graham et Walter Jones sur les 28 pages :
NB : S’ils ne s’affichent pas, vous pouvez activer les sous-titres français avec le bouton en bas à droite du lecteur.
La conférence de presse est disponible en intégralité en anglais : http://youtu.be/sy97uKT6hjE
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