-
- La chimiste Chong Liu examinant une électrode en carbone couverte d’amidoxime dans le cadre d’une recherche visant à améliorer l’extraction de l’uranium de l’eau de mer.
- Crédit : L. A. Cicero
Par Karel Vereycken
La course est engagée depuis longtemps : des Etats-Unis, du Japon ou de la Chine, qui sera le premier à faire de l’extraction de l’uranium présent dans l’eau de mer une activité économiquement rentable ?
Avec un volume des océans évalué à 1350 millions km3, nous nous trouvons ici face à une source considérable, même avec de très faibles teneurs. Comme teneur en uranium des océans, la valeur moyenne couramment admise est de 3,3 microgrammes d’uranium par litre (avec une dispersion de valeurs allant de 1 à 5 µg/l en milieu océanique ouvert et davantage encore dans des environnements marins moins homogènes). En appliquant cette teneur moyenne au volume océanique, on obtient un contenu uranifère total d’environ 4500 millions de tonnes d’uranium. Ce chiffre est à comparer aux quelque 15,4 millions de tonnes de ressources minières classiques.
Il y aurait donc dans l’océan, presque à portée de main, près de 300 fois plus d’uranium que dans les ressources minières classiques. Mieux encore, la quantité du minerai extrait de l’océan se reconstituant en permanence, le caractère « renouvelable » du nucléaire n’a rien à envier au solaire, à l’hydraulique ni à l’éolien.
Nouvelles techniques d’extraction
-
- Les scientifiques prévoient d’ancrer des centaines de stries extractrices d’uranium dans la mer pendant environ un mois, leur laissant le temps de faire « le plein d’uranium ». Puis, à distance, par télécommande, on les détachera afin qu’elles remontent à la surface où l’uranium sera récupéré et les fibres réutilisées.
- Crédit : Andy Sproles at ORNL
Au niveau extraction, les chercheurs de par le monde n’ont eu de cesse de développer toutes sortes de matériaux et de fibres capables d’extraire de manière économiquement rentable l’uranium d’eau de mer. Et les derniers résultats sont encourageants.
Pour l’instant, il semble que les chercheurs américains soient en bonne voie pour remporter la manche, à en croire les annonces publiées par les laboratoires nationaux de Pacific Northwest (PNNL) et d’Oak Ridge (ORNL), un des berceaux historiques de la recherche nucléaire.
Plus spécifiquement, il s’agirait d’un nouveau procédé basé sur le travail du physicien Steven Chu, prix Nobel américain d’origine chinoise et professeur à l’université de Stanford. En février 2017, il a détaillé sa découverte dans la revue scientifique Nature Energy.
En observant comment réagissent les ions métalliques contenus dans l’eau de mer, l’équipe du Pr Chu a réussi à mettre au point un dispositif électrochimique pour les séparer et isoler ainsi l’uranium.
Comme le précise un article publié sur le site FuturaSciences.com :
« il s’agit d’une méthode électrochimique pour capturer les ions uranyles (UO22+) dans l’eau de mer ; les ions uranyles sont la forme la plus commune des atomes d’uranium en solution. L’objectif était de faire s’adsorber ces ions sur une anode en fibre de carbone, recouverte d’un film d’un polymère d’amidoxime, un composé déjà utilisé pour extraire les ions uranyles. L’avantage de cette méthode, avec action d’un courant électrique, c’est qu’elle est plus efficace. En effet, sans ce courant électrique, les autres ions à base de sodium et de calcium — qui sont présents en plus grand nombre dans l’eau de mer — se fixent beaucoup plus rapidement à la surface de l’amidoxime et, pour ne rien arranger, ces ions fixés repoussent électrostatiquement les ions UO22+. Grâce aux impulsions de courant utilisées, les ions uranyles se fixent préférentiellement. De plus, ils forment en réalité un dépôt de UO2 neutre. Au final, l’adsorption est plus rapide, la quantité d’uranium extraite est plus importante et l’on peut réutiliser l’amidoxime un plus grand nombre de fois. »
Ainsi, le dioxyde d’uranium se fixe à la surface de tresses de fibre de plastique, de l’ordre de 15 centimètres de diamètre sur plusieurs mètres de long, en fonction de l’endroit où elles sont déployées.
Les tests marins effectués montrent que ces nouvelles fibres peuvent recueillir 6 grammes d’uranium par kilo d’adsorbant en seulement 50 jours dans l’eau de mer.
Un prix abordable
-
- Les chercheurs au Pacific Northwest National Laboratory ont exposé cette fibre spéciale qui absorbe l’uranium, développée au ORNL, au pseudomonas fluorescents etont utilisé l’Advanced Photon Source de l’Argonne National Laboratory pour créer un rayon X microtomographique 3D pour déterminer la microstructure et les effets des interactions entre les organismes et l’eau de mer.
- Crédit : Pacific Northwest National Laboratory.
En juillet 2018, des experts mondiaux de l’extraction d’uranium d’eau de mer se sont retrouvés à l’Université du Maryland-College Park pour la première conférence mondiale sur l’extraction d’uranium à partir de l’eau de mer.
Pour Stephen Kung, de l’Office de l’énergie nucléaire du département américain de l’Energie (DOE), « trouver des alternatives aux mines d’uranium est nécessaire pour anticiper l’avenir de l’énergie nucléaire ».
Si les percées du PNNL et de l’ORNL ont réduit le coût d’un facteur quatre en à peine cinq ans, le prix d’une livre d’uranium 308 est toujours supérieur à 200 dollars, c’est-à-dire le double de l’uranium fourni par des mines.
Heureusement, le coût du minerai ne représente qu’une part infime du coût du kilowatt électrique nucléaire. Ces vingt dernières années, les prix spot de l’uranium ont varié entre 10 dollars et 120 dollars la livre, variabilité en grande partie due aux variations dans la disponibilité de l’uranium de qualité militaire pouvant être transformé en combustible nucléaire.
Ainsi, dans la mesure où l’extraction de l’uranium d’eau de mer tombe en-dessous des 100 dollars la livre, la solution deviendra économique fiable pour remplacer les mines d’uranium. Mais déjà au prix de 200 dollars la livre, cela n’augmente que marginalement le prix du kWh des centrales atomiques.
Une nouvelle énergie renouvelable ?
La conséquence des nouvelles découvertes, c’est que le nucléaire entre incontestablement dans la catégorie des « énergies renouvelables ».
Selon le professeur Jason Doney, de l’Université de Calgary : « Littéralement, ‘renouvelable’ signifie ‘refaire de nouveau’. Toute ressource qui se reconstitue dans le temps, comme la production de vent ou la croissance d’organismes biologiques pour la biomasse ou les biocarburants, est renouvelable. L’énergie renouvelable signifie que l’énergie que les humains extraient de la nature se régénérera d’elle-même. Aujourd’hui, le combustible nucléaire correspond à cette définition. »
Ce que l’on sait déjà, c’est que la présence d’uranium dans l’eau de mer provient des réactions chimiques entre l’eau et les roches. Or ces dernières contiennent 100 trillions de tonnes d’uranium. Ainsi, quelle que soit la quantité d’uranium extraite de l’eau de mer, les roches en produiront toujours davantage pour le remplacer, à la même concentration.
Mathématiquement, il s’avère donc impossible que l’humanité extraie suffisamment d’uranium pendant les prochains milliards d’années pour en réduire la concentration totale dans l’eau de mer, même si le nucléaire fournissait 100 % de notre énergie et que notre espèce se perpétuait pendant un milliard d’années.
En d’autres termes, l’uranium d’eau de mer est parfaitement renouvelable, au sens propre du terme. Au même titre que l’hydrogène du Soleil qui nous fournit l’énergie solaire. Oui, strictement parlant, la quantité d’uranium présente dans la croûte terrestre est limitée. Et il en va de même du Soleil, qui s’effondrera un jour sur lui-même. Mais nous avons encore 5 milliards d’années devant nous. Même le vent cessera de souffler sur notre planète lorsque l’atmosphère brûlera sous l’effet d’un Soleil devenant une géante rouge.
Même si cela ne fera pas plaisir à une poignée d’écologistes fondamentalistes, le fait est qu’on peut dorénavant ajouter le nucléaire à la liste des énergies renouvelables, au même titre que l’éolien, le solaire et l’hydraulique. Et comme pour toute révolution, ce n’est qu’une question de temps pour que la société reconnaisse cet état de fait.
Un message, un commentaire ?