Par Jacques Cheminade, juin 1994
Le 21 juin 1943, Jean Moulin est arrêté à Caluire. Pendant les quelques jours où il pouvait encore parler ou écrire, le destin de la Résistance fut suspendu au courage de cet homme, qui savait tout. Non seulement il ne parla pas, mais au cours d’un interrogatoire où Klaus Barbie lui tendit de quoi écrire, puisqu’il ne pouvait déjà plus parler - bafoué, sauvagement frappé, la tête en sang, les organes éclatés - Jean Moulin dessina la caricature de son bourreau. Ces jours de martyre, ici, il y a exactement cinquante et un ans, nous reviennent aujourd’hui en mémoire. Non pas associés à un culte morbide de la souffrance, mais à l’épopée et au courage d’un peuple de la nuit.
Juin, comme le dit André Malraux le 19 décembre 1964 au Panthéon, est pour notre pays le mois où « un peuple d’ombres se leva dans la nuit constellée de tortures », un mois dont les dates rappellent dans la douleur que, du fond même de l’abîme, l’espérance renaît toujours lorsqu’une poignée d’hommes résolus se lève en son nom.
Les volontaires de l’espérance, ces jeunes marginaux de juin 1940, de tous partis et de toutes confessions, Français libres sans sol, ni sang, ni race, clochards épiques de Leclerc et de de Lattre, retrouvant en juin 1944 leurs frères de la nuit sortis en rampant de leurs maquis de chênes, les voici aujourd’hui parmi nous.
Car il est de ces moments de l’histoire où le peuple d’ombres prend sa place auprès du peuple des vivants. Passé, présent et futur, en ces moments-là se confondent, car quelque chose de plus grand, de plus élevé que nos existences…