Ce dossier ne serait complet sans quelques extraits de cette célèbre satire de Jonathan Swift contre le malthusianisme britannique. Comme nous l’avons documenté ailleurs, Swift, le Rabelais irlandais, faisait partie des républicains qui luttaient contre l’oligarchie britannique et qui ont inspiré la Révolution américaine.
Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public
Par Jonathan Swift
C’est un objet de tristesse, pour celui qui traverse cette grande ville ou voyage dans les campagnes, que de voir les rues, les routes et le seuil des masures encombrés de mendiantes, suivies de trois, quatre ou six enfants, tous en guenilles, importunant le passant de leurs mains tendues. Ces mères, plutôt que de travailler pour gagner honnêtement leur vie, sont forcées de passer leur temps à arpenter le pavé, à mendier la pitance de leurs nourrissons sans défense qui, en grandissant, deviendront voleurs faute de trouver du travail, quitteront leur cher Pays natal afin d’aller combattre pour le prétendant d’Espagne, ou partiront encore se vendre aux îles Barbades.
Je pense que chacun s’accorde à reconnaître que ce nombre phénoménal d’enfants pendus aux bras, au dos ou aux talons de leur mère, et fréquemment de leur père, constitue dans le déplorable état présent du royaume une très grande charge supplémentaire ; par conséquent, celui qui trouverait un moyen équitable, simple et peu onéreux de faire participer ces enfants à la richesse commune mériterait si bien de l’intérêt public qu’on lui élèverait pour le moins une statue comme bienfaiteur de la nation.
Mais mon intention n’est pas, loin de là, de m’en tenir aux seuls enfants des mendiants avérés ; mon projet se conçoit à une bien plus vaste échelle et se propose d’englober tous…