Chronique stratégique du 17 novembre 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
« Dulce Bellum Inexpertis » (la guerre est douce pour ceux qui n’en ont jamais fait l’expérience), écrivait l’humaniste Erasme de Rotterdam en 1515...
Désaccord au plus haut niveau
Il faut dire que le coup de gueule du chef d’État-major américain Mark Milley en faveur de la diplomatie (que nous avons mentionné dans la chronique de lundi), a jeté comme un froid dans le petit milieu néocon anglo-américain, qui croyait contrôler le débat.
Lors d’une interview dans le « show » de l’animateur Jimmy Dore, le journaliste canado-américain Aaron Maté a rappelé ce qui s’était passé, il y a quelques semaines, lorsque l’aile progressiste des démocrates à la Chambre des représentants avait été contrainte, par des pressions de la part de la « communauté du renseignement », de retirer une lettre appelant le président Biden à la diplomatie avec la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine (lire notre chronique du 26 octobre) :
Tout le monde — les experts néoconservateurs tout comme le sénateur Bernie Sanders — est venu les sermonner. Mais maintenant, le même appel provient d’une source qui ne peut être aussi facilement ignorée et intimidée.
« Un désaccord apparaît au plus haut niveau du gouvernement américain sur la question de savoir s’il faut faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle cherche à mettre un terme diplomatique à sa guerre avec la Russie », rapporte ainsi le New York Times. Le général Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées, estime qu’il y a là une énorme (et peut-être la dernière) occasion à saisir. Selon des responsables américains, Milley « a fait valoir lors de réunions internes que les Ukrainiens ont obtenu à peu près tout ce qu’ils pouvaient raisonnablement espérer sur le champ de bataille avant l’arrivée de l’hiver et qu’ils devraient donc essayer de consolider leurs acquis à la table des négociations ». Car du côté russe les nouvelles troupes commencent à arriver et se déplaceront bien plus facilement sur des terrains gelés lors du grand froid.
Quand il y a une opportunité de négocier, quand la paix peut être obtenue, saisissez-la, a déclaré Milley dans un discours public cette semaine.
Le point de vue de Milley « n’est pas partagé » par le président Biden ou son conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, affirme le Times. Ni par le plus haut diplomate américain, le secrétaire d’État Antony Blinken. Comme l’a expliqué un fonctionnaire américain à CNN, « le Département d’État est à l’opposé du pôle », ce qui conduit à « une situation unique où les gradés militaires poussent la diplomatie avec plus de ferveur que les diplomates américains ».
Le comble, dans un pays où le Pentagone – souvent associé à la CIA – a été à l’initiative des nombreuses guerres que les États-Unis ont généreusement parsemé à travers le monde depuis plus de 60 ans ! « Dulce Bellum Inexpertis » (la guerre est douce pour ceux qui n’en ont jamais fait l’expérience), écrivait déjà l’humaniste Erasme de Rotterdam en 1515.
Le vent tourne
Pour Aaron Maté, l’intervention de Milley n’est que la dernière d’une série de fuites suggérant que, malgré le tollé provoqué par la lettre pro-diplomatie des progressistes, certains proches du président seraient d’accord avec son message.
Pour étayer cette hypothèse, Maté note que le premier signe est venu d’un article publié le 2 novembre par le New York Times, dans lequel la prétendue menace de l’utilisation de l’arme nucléaire par la Russie (agitée sans arrêt dans les médias) était relativisée par les remarques de « responsables américains », qui estimaient que rien ne montrait que « que les Russes étaient en train de déplacer des armes nucléaires sur place ou prenaient d’autres mesures tactiques pour préparer une frappe ».
Si rien ne prouve que la Russie envisageait d’utiliser des armes nucléaires, une fuite affirmant néanmoins que la diplomatie a fait ‘retomber la température’ indique que les responsables américains créent un espace pour de nouvelles discussions, affirme Maté.
Une autre fuite a renforcé l’impression que les États-Unis sont en réalité favorables à la reprise les pourparlers diplomatiques avec la Russie. Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, « a participé ces derniers mois à des conversations confidentielles avec des collaborateurs de haut niveau de [Poutine] », a rapporté le Wall Street Journal le 7 novembre.
Maté souligne que les informations relatives aux efforts diplomatiques de Sullivan ont coïncidé avec l’annonce de la reprise des pourparlers entre les États-Unis et la Russie sur l’extension du traité New START, le dernier traité en vigueur limitant les arsenaux nucléaires des deux pays — des négociations qui marqueront la première rencontre entre des responsables américains et russes depuis octobre 2021.
De son côté, Charles Kupchan, un ancien haut fonctionnaire du Conseil national de sécurité sous les présidents Obama et Clinton, a proposé une solution diplomatique au conflit dans lequelle l’Ukraine s’engagerait à ne pas rejoindre l’Otan et à renoncer à revendiquer la Crimée et les zones pro-russes du Donbass : « La Russie a des préoccupations légitimes en matière de sécurité quant à l’installation de l’Otan de l’autre côté de sa frontière de plus de 1 000 miles avec l’Ukraine », écrit Kupchan. « L’OTAN est peut-être une alliance défensive, mais elle met en œuvre une puissance militaire globale que Moscou ne veut pas voir stationnée près de son territoire, ce qui est compréhensible ». En gros une « crise de missiles du Cuba » à l’envers.
« On ne peut jamais exclure la possibilité que les clins d’œil actuels des États-Unis à la diplomatie ne soient qu’une ruse, souligne Maté : ils tendent publiquement un rameau d’olivier à la Russie tout en se préparant en privé à de nouvelles contre-offensives ukrainiennes au moment opportun. Mais avec des centaines de milliers de troupes russes supplémentaires prêtes à être mobilisées, l’hiver qui approche et les récits sur la ‘fatigue de l’Ukraine’ qui se multiplient dans les capitales de l’Otan, il y a suffisamment de signes pour soupçonner, tout en restant prudents, que pour certains des partisans de la guerre par procuration à Washington, la calamité en Ukraine a suffisamment duré ».
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