


Nous assistons à une dangereuse escalade de la Grande-Bretagne contre la Russie, accusée sans preuves d’avoir essayé d’assassiner l’ex-espion russe Sergueï Skripal à Salisbury le 4 mars. Theresa May tente de mobiliser ses alliés, mettant la pression sur les gouvernements européens, sur les États-Unis et sur les pays du Commonwealth, en reprenant pour cela la rhétorique de la défense de « nos valeurs », utilisée contre le terrorisme djihadiste. Depuis quand défend-on « nos valeurs » en créant les conditions de la troisième guerre mondiale, se demande-t-on ?
Le front désuni de Theresa May
En dépit du fort appui médiatique dont bénéficie cette opération depuis deux semaines, l’hystérie britannique est loin d’emporter l’unanimité. En Europe, si la majorité des pays se sont pliés en renvoyant des diplomates russes, les dissonances sont nombreuses : le chancelier autrichien Sébastian Kurz a exclu toute expulsion et exprimé sa volonté de maintenir le dialogue avec la Russie. « Des expulsions seraient contraires à la tradition de pays neutre et de ‘pont entre l’Est et l’Ouest’ de l’Autriche », a-t-il déclaré aux médias le 27 mars.
La Grèce, la Slovaquie, le Luxembourg, Chypre, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie et Malte ont annoncé leur intention de ne pas expulser de diplomates. La Suisse et le Portugal n’ont toujours pas pris de décision. L’Italie a expulsé deux diplomates russes, mais le Premier ministre Paolo Gentiloni est sur le départ, et la coalition gouvernementale qui s’apprête à prendre le pouvoir sera sans doute bien plus réticente à persister dans cette logique anti-russe. Mercredi, l’Allemagne a pris soin de mettre de l’eau dans son vin, en déclarant que les quatre diplomates sommés de quitter le pays pourront être remplacés.
La Turquie et le Japon rejettent toute expulsion. Israël a choisi de prendre ses distances avec cette opération afin de préserver la coopération bilatérale en matière de sécurité nationale, comme l’a expliqué à Sputnik l’ex-ambassadeur israélien à Moscou Zvi Magen. La Nouvelle-Zélande, qui fait pourtant partie des « Five Eyes » (l’alliance des services de renseignement des États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, le Canada et la Nouvelle Zélande), a déclaré qu’elle n’avait pas trouvé d’espions russes à expulser, démontrant ainsi que tout le Commonwealth britannique n’a pas perdu le sens de l’humour...
La Chine, par la voix du ministère des Affaires étrangères, a déclaré qu’elle « s’oppose fermement à toute utilisation d’armes chimiques », mais qu’elle estime que dans ce cas « il faudrait agir sur la base des faits et à travers un dialogue entre la Russie et le Royaume-Uni » . « Nous pensons que les pays concernés devraient abandonner la mentalité de guerre froide et sortir de cette logique de confrontation, afin de garantir la paix globale et la stabilité », a affirmé la porte-parole du ministère.
Les faucons montent le ton
Publié mercredi, le nouveau mémorandum pour la stratégie de sécurité nationale britannique représente un appel quasi-explicite à une nouvelle guerre froide contre la Russie : « Au cours de l’année écoulée au Royaume-Uni, nous avons été témoins d’attentats terroristes épouvantables à Londres et à Manchester », écrit Theresa May dans l’introduction ; « mais aussi d’un acte d’agression effronté dans les rues de Salisbury : une tentative de meurtre avec une arme chimique illégale, ce qui équivaut à un usage illégal de la force contre le Royaume-Uni ».
« L’utilisation aveugle et téméraire d’un agent neurotoxique de qualité militaire sur le sol britannique est un cas d’usage illégal de la force par l’État russe », lit-on ensuite dans le corps du mémorandum. « Cette action s’inscrit dans un modèle bien défini d’agression de l’État russe. Avec l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale une nation souveraine s’est emparée par la force d’un territoire d’une autre nation en Europe. La Russie a fomenté le conflit dans le Donbass et soutenu le régime d’Assad, y compris lorsque le régime a délibérément ignoré son obligation de cesser d’utiliser des armes chimiques. La Russie a également violé l’espace aérien national des pays européens et a organisé une campagne soutenue de cyberespionnage et de perturbation, y compris l’ingérence dans les élections ».
De son côté, le chef du Pentagone Jim Mattis n’a pas hésité à attribuer l’entière responsabilité de la « tentative de meurtre » contre Skripal au président russe Valdimir Poutine. Mattis a déclaré mardi qu’il pense que « l’objectif de la Russie est de briser l’OTAN et d’interférer avec les démocraties occidentales, y compris par l’ingérence dans les élections ».
La Russie riposte
Face à cette escalade, le ministère des Affaires étrangères russe a publié mercredi un communiqué soulignant — non sans ironie –, que « les autorités britanniques démontrent systématiquement leur incapacité à assurer la sécurité des citoyens russes sur leur territoire », en citant pour exemples l’ex-agent russe Litvinenko, mort empoisonné en 2006, le décès inexpliqué des hommes d’affaires Badri Patarkatsichvili et Alexandre Perepelitchny, le « suicide » mystérieux de Boris Berezovski, la strangulation de son partenaire d’affaires Nikolaï Glouchkov et enfin l’attentat qui vient de viser Sergueï et Ioulia Skripal.
« Dans ce dernier cas, Londres a négligé toutes les normes du droit international, de l’éthique et simplement du bon sens », affirme le communiqué. « Nous attendons de Londres une coopération concrète (…). Le comportement des autorités britanniques suscite bien des questions. La population britannique elle-même est tenue dans l’ignorance concernant les éléments-clés de cet incident (…) ».
Et de conclure : « L’analyse de toutes les circonstances témoigne de la réticence des autorités britanniques à découvrir les véritables motifs et à identifier les coupables du crime de Salisbury, et prête à penser à une éventuelle implication des renseignements britanniques. Si la Russie ne recevait pas de preuves tangibles du contraire, nous estimerions avoir affaire à une tentative d’homicide contre nos concitoyens suite à la plus grande provocation politique de l’histoire récente ».
Enfin, la cerise sur le gâteau : en réponse au ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson, qui a récemment comparé la Coupe du Monde 2018 en Russie avec les Jeux olympiques de 1936 de Berlin, la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova a présenté jeudi la liste des hauts fonctionnaires et autres Lords britanniques qui avaient assisté aux Jeux olympiques en question, entretenant ainsi des contacts avec les officiels du régime nazi.



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