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Emprunts toxiques : une PME allemande gagne son procès contre Deutsche Bank

mardi 22 mars 2011, par Karel Vereycken

22 mars 2011 (Nouvelle Solidarité) – Aujourd’hui, la société Ille Papier Service GmbH, une PME allemande de la Hesse, a gagné son procès contre la plus grande banque allemande, Deutsche Bank AG.

Au motif qu’elle n’avait pas suffisamment informé son client des risques qu’il encourait en souscrivant certains de ses emprunts, la banque a été condamnée par la Cour fédérale de Karlsruhe, la plus haute instance judiciaire allemande, à lui verser une indemnité de 541 074 euros.

L’affaire remonte à 2005. A l’époque, Wilhelm Blatz, le patron de la PME, client de la Deutsche Bank depuis dix ans, est en totale confiance. La banque lui propose alors d’investir dans un « spread ladder swap », un produit financier dérivé qui consiste à échanger des crédits à long terme contre des crédits à cour terme, en spéculant sur des taux d’intérêts plus bas.

Le conseiller revient à la charge à deux reprises. Blatz hésite, mais finit par se laisser convaincre, persuadé qu’il n’a rien à perdre. Il investit 570 000 euros dans ces swaps de taux. Quelques mois plus tard, il a tout perdu. Si Blatz est le seul à avoir porté plainte, 200 entreprises allemandes auraient investi dans les mêmes produits sur ce conseil. Le jugement risque donc de faire boule de neige.

Le verdict était tout aussi attendu par de nombreux élus, puisqu’il peut faire jurisprudence dans plusieurs procès entamés contre la banque par des communes, des villes et des syndicats intercommunaux allemands, dont Pforzheim (sud-ouest), Hagen (nord-ouest) et bien d’autres.

Deutsche Bank doit déjà affronter huit contentieux similaires devant la Cour fédérale et dix-sept autres devant des instances inférieures. Bien que les montants en jeu soient relativement faibles, d’après les avocats, les cas en cours ne seraient que le sommet de l’iceberg, par rapport à l’étendue des pertes subies par certains clients de ces produits dérivés de crédit. « Je pense pour ma part que l’ensemble des dommages représente jusqu’à un milliard d’euros », a déclaré à l’AFP Jochen Weck, l’avocat de l’entreprise Ille.

Plus important encore, la Cour fédérale a estimé que la banque était en situation de « conflit d’intérêt » car elle gagnait de l’argent si son client en perdait. Deutsche Bank a ainsi empoché 80 000 euros aux dépens de l’entreprise Ille. « C’est un bon jugement », a déclaré à l’AFP Klaus Nieding, un avocat qui représente 60 entreprises et communes ayant signé des contrats similaires d’une valeur nominale de 160 millions d’euros. « Nous étudions la possibilité de rouvrir d’anciens dossiers », a-t-il ajouté.

Des procès similaires ont lieu également dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis ou en Italie par exemple, où la mairie de Milan accuse quatre banques, dont Deutsche Bank, JP Morgan et UBS, de l’avoir abusée avec des produits financiers trop complexes. En France, d’après un article du Monde du 17 décembre 2010, pas moins de 18 régions sur 22 ont souscrit à des emprunts toxiques, 62 départements sur 100, ainsi que des milliers de communes et de syndicats intercommunaux, 373 établissements de santé, dont 290 hôpitaux, 107 organismes de HLM et 42 sociétés d’aménagement.

La ville de Saint-Etienne, le département de Seine-Saint-Denis et bien d’autres ont déjà porté leur litige devant les tribunaux. Une association, Acteurs publics contre emprunts toxiques, lancée à l’initiative de Claude Bartolone, vient d’être créée pour permettre aux élus de « faire front » contre ce que le président du Conseil général du 93 n’hésite pas à appeler les « banquiers-voyous ».

Les Echos s’interroge : « Une décision de justice allemande peut-elle faire jurisprudence dans le reste de l’Europe ? La réponse est évidemment non. Il n’empêche, la condamnation par la plus haute juridiction allemande de Deutsche Bank pour défaut de conseil change radicalement la donne dans le dossier extrêmement sensible des prêts et dérivés sophistiqués vendus par des banques à de nombreuses PME (…) Nul doute que Saint-Etienne, la Seine-Saint-Denis ou encore Milan s’en saisiront pour faire valoir leurs demandes d’indemnisation devant les juges français ou italiens. »

La vraie bataille dépasse forcément l’enceinte des tribunaux, car pour mettre nos communes à l’abri des emprunts toxiques, c’est toute la pratique bancaire qu’il faut assainir, notamment en séparant avec une « muraille de Chine » les activités des banques de dépôt de celles, à très haut risque et dérégulées, des banques d’affaires. Pour ne pas perdre cette guerre, c’est la bataille de ce « Glass-Steagall global » qu’il faut gagner.

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