Déclaration de Jacques Cheminade

Appel à la création d’une commission d’enquête sur les emprunts toxiques

mardi 1er mars 2011, par Jacques Cheminade

Paris, le 1er mars 2011 — Hôpital d’Ajaccio, Société des HLM de Toulouse, ville de Saint-Étienne, communauté urbaine de Lille, incinérateur des déchets urbains de Saint-Germain-en-Laye (Sidru), commune de Ploeren (56), ville de Rouen, département de la Seine-Saint-Denis, ville de Saint-Maur-les-fossés, pompiers de l’Ain, logement social (SACVL) à Lyon, etc., pas un jour ne passe sans apporter de nouvelles révélations.

Il s’agit d’ « emprunts toxiques » vendus, pas seulement par des banques d’affaires étrangères telles que la Royal Bank of Scotland (RBS) ou la Deutsche Bank, mais par des banques usurpant la bonne réputation de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), telles que Dexia Crédit Local (dont la CDC possède 17,6%) et Natixis, assignées devant les tribunaux par un nombre croissant d’élus de collectivités locales acculées à des réductions budgétaires dramatiques, voire à la faillite.

Entre 2000 et 2008, nos banquiers affirmaient dans leur autosuffisance que, grâce à leur excellente gestion, la France était à l’abri d’une crise du type des subprimes américains, élément déclencheur de la pire crise de solvabilité bancaire mondiale depuis la Grande dépression. Cependant depuis, comme le montre un article du Monde du 17 décembre 2010, pas moins de 18 régions sur 22 ont souscrit à des emprunts toxiques, 62 départements sur 100, ainsi que des milliers de communes et de syndicats intercommunaux, 373 établissements de santé, dont 290 hôpitaux, 107 organismes d’HLM et 42 sociétés d’aménagement… D’après l’agence de notation Fitch leur volume n’est pas de 10 milliards, comme le prétend le gouvernement en se basant sur les chiffres de Dexia, mais de 30 à 35 milliards d’euros, près d’un quart du total des emprunts.

Ces « emprunts toxiques » ne sont que le reflet de tout un « système toxique » que nous proposons de bannir au plus vite avec un « Glass Steagall global », véritable banqueroute ordonnée séparant les prêts spéculatifs de ceux alimentant l’économie physique réelle.

Pour mettre en œuvre ce système nouveau dans lequel les joueurs perdants ne seront jamais renfloués et les établissements financiers redeviendront des instruments au service de l’économie, nous proposons cinq mesures formant un tout cohérent :

  1. Création d’une vraie Commission d’enquête sur la crise financière disposant d’une indépendance suffisante et de pouvoirs d’instruction et de réquisition.
  2. Interdiction de la titrisation de la dette, mesure que suggère implicitement la Commission Angelides aux Etats-Unis. Etre honnête, c’est reconnaître qu’une dette n’est pas un actif comme un autre.
  3. Moratoire sur les intérêts usuraires, remboursement du principal des emprunts toxiques des collectivités.
  4. Application des critères Glass-Steagall pour le démantèlement de Natixis et Dexia, séparant rigoureusement les activités de dépôts des activités de banque d’affaires (courtage, trading, etc.) regroupées désormais dans une entité juridiquement séparée. Le Crédit Local doit retourner dans le giron de la CDC et de l’Etat français, le Crédit Communal dans celui de l’Etat belge afin de sécuriser le financement des collectivités locales.
  5. La CDC reprendra sa mission d’origine. Par conséquent elle renoncera à toute activité spéculative. Si l’exécutif peut nommer le président de la CDC, le président de sa Commission de surveillance pourrait être désigné par un vote des deux tiers des membres du Parlement.

« Emprunts toxiques », chronique d’un crime

Par Karel Vereycken

Suite à un tarissement de financement public, une part croissante de l’endettement des collectivités territoriales, depuis le milieu des années 1990, a été contractée sous la forme d’emprunts dits structurés à taux variables, non pas déterminés en fonction d’index standards (Eonia, Euribor, etc.), mais selon des formules « non linéaires » de sorte que leur évolution, via des coefficients multiplicateurs, peut dépasser largement les variations de l’index lui-même.

Quelques exemples. Pour le département de la Seine-Saint-Denis (93), le 24 janvier, tous les voyants ont viré au rouge car la mécanique infernale de la toxicité s’était mise en route. Le taux d’intérêt sur un prêt de 10 millions d’euros est brutalement passé de 1,42 % à 24 %, générant un surcoût pour cette année de 1,5 million d’euros. « Avec la fin de la période de taux bonifié, le 24 janvier, on est entré dans le dur , confirme Philippe Yvin, directeur général des services du 93. Notre emprunt est désormais soumis aux aléas de la variation de cours entre le dollar et le franc suisse, et on peut passer d’un coefficient de 1 à 10 en termes de remboursement. » D’autres vont suivre en 2011 et 2012, qui « dépendront eux aussi des décisions monétaires de la Fed américaine ou de la Banque centrale européenne » , soupire Claude Bartolone qui préside le département.

La ville de Saint-Etienne, toujours dans l’embarras avec 34% de sa dette sous forme d’emprunts toxiques, évoque un prêt de 20 millions passé par la ville avec la Deutsche Bank. Indexé sur le rapport entre la livre sterling et le franc suisse, son taux est passé à 24 % dès le 1er janvier 2010 et « serait à l’heure actuelle de 53 % ! », s’insurge Cédric Graille, DGA chargé des finances de la ville.

Comment tant d’élus ont-ils pu sombrer dans le piège ? Aveugles devant un système financier devenu casino pour gangsters, ils n’ont pas vu que la mécanique déployée par Dexia, Natixis et consorts était plus que perverse. Les banques offraient le meilleur en prétendant que le pire n’arriverait probablement jamais. Des taux entre 0,5 et 1 %, contre 3 à 3,5 % sur le marché, ont fasciné les trésoriers des collectivités locales. Ils ont été crédules. Comme le relate un spécialiste : « Il était facile pour les banques de les convaincre qu’ils allaient passer pour des génies de la finance aux yeux de leurs élus. Les collectivités empruntaient pour une charge d’intérêt égale et pouvaient construire leurs ronds-points sans augmenter les impôts. Elles découvraient la "nouvelle finance" en pensant que les banques allaient gérer tous les risques. Pour les gestionnaires, c’était une drogue douce. Ils y sont allés à fond, et en klaxonnant ! »

Une option sur indices, combinée au prêt, « fonctionne comme une assurance à rebours » , explique l’avocat Michel Klopfer : « La banque verse une prime abaissant artificiellement le taux d’intérêt du prêt au cours des deux ou trois premières années. C’est la période de "tarte aux fraises" durant laquelle la collectivité locale paie des intérêts à un taux inférieur au marché. » On entre ensuite, et pour le reste de la vie du prêt, parfois de 35 ans, dans la zone de tous les dangers, car c’est la collectivité qui porte le risque en cas d’évolution défavorable des marchés, « et ce sans aucun plafond »  !

Et puisque la plupart des prêts ont été contractés à partir de 2005, on est face à un véritable champ de mines capable de conduire soit les collectivités territoriales à leur mise sous tutelle, soit les banques à leur faillite, ou encore les deux en même temps.

A part la crédulité de certains élus, soulignons surtout, comme vient de le faire une vraie commission d’enquête sur la crise financière, celle dirigée par le démocrate Phil Angelides aux Etats-Unis, la complicité criminelle des autorités de surveillance, des préfets, des régulateurs et des ministères. Ils n’ont pas seulement regardé ailleurs mais, avec les encouragements actifs de leurs supérieurs politiques, ils ont activement toléré de telles arnaques et refusent encore d’y mettre fin.

Ainsi, le 7 décembre 2009, la ministre de l’Economie et des Finances Christine Lagarde, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux et Alain Marleix, secrétaire d’Etat à l’Intérieur et aux Collectivités territoriales, après avoir souligné qu’ils avaient sauvé les collectivités locales en sauvant la banque Dexia sans pour autant exiger qu’elle mette fin à ses opérations spéculatives, se sont contentés, lors d’une réunion avec quelques responsables des élus territoriaux et les responsables de la Société générale, du Crédit Agricole, des Banques Populaires et Caisse d’Epargne et de Dexia, de présenter une « charte de bonne conduite » pour l’avenir et de nommer Eric Gissler, inspecteur des finances, comme médiateur en charge de gérer au cas par cas les emprunts en cours. Parmi les engagements, les banques s’engageront à n’utiliser que « le français comme langue exclusive des documents et donneront davantage d’informations aux collectivités sur les produits : analyse de la structure des produits, présentation de l’évolution sur le passé des indices sur lesquels les produits sont basés, présentation des conséquences en termes d’intérêts payés en cas de détérioration extrême des conditions de marché, etc. » Vaste tartufferie ! Autant nommer un ours pour gérer la liberté du renard dans le poulailler !

Pire encore, Dexia, fournisseur d’emprunts toxiques, a chargé une « Commission d’experts relative aux règles de commercialisation des crédits structurés de Dexia Crédit Local » de formuler un avis. La commission « indépendante » était composée de Michel Bouvard, député UMP de Savoie et ami de jeunesse de Sarkozy et depuis 2007 à la tête de la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et Consignations (pourtant actionnaire de Dexia), Jean-Louis Fort, ancien secrétaire général de la Commission bancaire et Bernard Cieutat, président de chambre honoraire de la Cour des comptes. Le 25 mai 2010, cette commission, dans un communiqué de Dexia, affirme que « en l’absence de réglementation spécifique, la commercialisation des crédits structurés par Dexia Crédit Local s’était faite dans le respect de la réglementation propre aux acteurs publics ayant recours à l’emprunt. »

Le 25 juin 2010, une circulaire des ministères tutélaires du 25 juin 2010 avalisera ce point de vue en rappelant qu’ « en contrepartie d’une prise de risque financier, ces produits permettent à l’emprunteur, dans la plupart des cas, de bénéficier durant les premières années d’un taux bonifié par rapport aux taux de marché » et permettent « ainsi de substituer à une charge déterminée à l’avance, une charge aléatoire en forte hausse avec un risque de probabilité d’occurrence faible ».

Pour couronner le tout, le mensonge terrible sur France Info le 25 février 2010 de Pierre Mariani, ancien chef de cabinet du ministre du Budget Nicolas Sarkozy bombardé le 7 octobre 2008 comme PDG de Dexia suite à son sauvetage. On ne vend plus des emprunts spéculatifs, affirme-t-il, sans préciser que Dexia va continuer à extorquer des sommes colossales pendant des décennies grâce aux contrats en cours ! A ce jour, la banque vient d’annoncer que ses profits ont chuté de 28,4% en 2010 et qu’elle garde encore 137 milliards d’euros dans sa fameuse legacy devision , une structure où sont logés les crédits toxiques américains. Pour remercier Pierre Mariani, Sarkozy le voyait comme secrétaire général de l’Elysée en remplacement de Claude Guéant, à moins que Michel Pébereau l’exige comme successeur à Baudouin Prot, qui remplacera Pébereau, à la tête de BNP-Paribas-Fortis !

Comme en Tunisie, en Egypte et en Libye, une commission d’enquête sur la crise financière devra faire la lumière sur l’ensemble de ces dérives. Elle se penchera en premier lieu sur l’ensemble des opérations qui ont résulté dans le démembrement de la Caisse des Dépôts et Consignations, pilier historique du crédit public en France. Cela concerne donc Natixis, Dexia, la Banque Postale et les différentes caisses d’épargnes.

Pour les emprunts toxiques, Claude Bartolone a bien raison de déclarer qu’il existe un temps de négociation et un « temps de guerre ». Les maires refusant de rembourser les intérêts usuraires ont raison. De toute façon, ils ne devraient pas s’étonner que les banques sont dans l’incapacité de renégocier ces emprunts toxiques car les banques elles-mêmes les ont vendus et revendus sous forme de paquets de titres émis sur cette base (CDO, ABS, etc.). Comme les pyramides financières, le secret du système actuel consiste à spéculer sur la spéculation.


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