Les analyses de Jacques Cheminade

Le Congrès pour la liberté de la culture contre la souveraineté nationale

mercredi 23 novembre 2005, par Jacques Cheminade

Discours de Jacques Cheminade prononcé le 17 novembre 2005 à l’occasion de la conférence Axe pour la paix.

Philippe Pétain, ministre de la Guerre après les événements de février 1934, visita la trouée de quarante-quatre kilomètres dans les fortifications françaises, entre Montmédy et Sedan. L’endroit le plus vulnérable de notre dispositif face à une offensive militaire de l’Allemagne nazie n’était alors pas aménagé. Pétain jugea que ce secteur n’était « pas dangereux (...) Après Montmédy, il y a la forêt des Ardennes (...) qui est impénétrable ». Rien ne fut fait pour assurer la défense de notre territoire national. L’on en connaît les conséquences : les tanks de Guderian remportèrent la bataille-éclair de mai-juin 1940, et ce fut la débâcle. Aveuglement plus ou moins volontaire, de Pétain comme de l’état-major français, vulnérabilité du peuple français ou trahison face à l’ennemi ? L’on ne peut conclure, mais l’on sait quel fut le résultat.

Aujourd’hui, la question de notre souveraineté nationale se pose de la même manière dans le domaine culturel, et nous faisons preuve - nous autres, Etats-nations des pays développés - de la même imprévoyance suspecte que la France des années trente.

En effet, la sous-culture ou la contre-culture qui déferle sur nous, destructrice de la conception même d’Etat-nation et de souveraineté nationale, risque de produire aujourd’hui les mêmes effets que les tanks de Guderian hier. Certes de manière apparemment plus subtile, plus sournoise, mais peut-être avec des conséquences encore plus graves.

C’est pourquoi mon intervention ici est un appel à un sursaut, qui s’adresse à la France mais aussi à tous les pays développés, y compris les Etats-Unis d’Amérique, ainsi qu’à tous les pays et à tous les peuples du monde humiliés et offensés par une conception de l’être humain qui le réduit à son animalité, à son désir de posséder, de dominer, à l’avoir contre l’être.

Sursaut contre quoi et contre qui ? Nous savons qu’aujourd’hui le pouvoir a été kidnappé, à Washington, par un quarteron de néo-conservateurs adeptes de la guerre préventive, de la guerre permanente, de l’intimidation constante contre tout ce qui s’oppose à leurs desseins, y compris par la torture et le viol du tabou nucléaire.

Nous savons ici qu’ils sont les émanations d’une oligarchie financière, basée sur l’usure et les spéculations, à un moment où le système financier et monétaire international va s’écrouler, et où une voie conduit vers un nouveau fascisme alors qu’une autre se dirige vers une nouvelle Renaissance, un dialogue des civilisations, des cultures et des religions. Il n’y a pas de troisième voie, ce qui rend ce moment décisif. Nous sommes parvenus à un moment de l’histoire que Georges Pompidou prévoyait déjà dans le Nœud gordien.

Cependant, même si nous identifions ces deux premiers points, même si nous sommes prêts à y faire face, nous savons beaucoup moins bien que la guerre pour le contrôle de l’esprit humain - ce que le Dr William Sargant a appelé sans scrupules « la bataille pour l’esprit » ou ce dont le Dr Sidney Gottlieb s’est occupé dans le cadre du projet MK-Ultra - est un enjeu encore plus fondamental.

Ecoutons le général Paul Vallely, commandant du 7ème groupe d’opérations psychologiques de l’Armée américaine, dire tout haut le dessein liberticide de son groupe - celui contre lequel Eisenhower avait mis en garde sous le nom de « lobby militaro-industriel » dans son discours d’adieux de 1961. Vallely écrit :

« La guerre mentale doit commencer dès le moment où la guerre est considérée comme inévitable (...) La priorité de cette guerre mentale doit être d’ordre stratégique, les applications tactiques jouant un rôle supplémentaire de renfort.

« Dans son contexte stratégique, la guerre mentale doit s’adresser à la fois aux amis, aux ennemis et aux personnes neutres partout dans le monde - non pas au moyen de tracts ou de haut-parleurs primitifs sur le "champ de bataille", ni par les efforts faibles, imprécis et étroits de la psychotronique - mais à travers les médias que possèdent les Etats-Unis, qui sont en mesure de toucher pratiquement tous les gens de la Terre. Il s’agit bien sûr des médias électroniques -télévision et radio. Les derniers développements dans les communications par satellite, les techniques d’enregistrement vidéo et la transmission optique d’émissions permettent une pénétration des esprits à travers le monde qui aurait été inconcevable il y a quelques années. Comme pour l’épée Excalibur, [l’épée magique du roi Arthur - NdlR], il suffit que nous étendions la main et saisissions cet outil ; il pourra transformer le monde pour nous (...) »

Le général Vallely n’est pas un individu isolé, pratiquant des méthodes hors cadre. C’est autour de son groupe d’opérations spéciales que se sont nouées les complicités ayant permis les attaques du 11 septembre 2001 - comme l’indique un faisceau de faits troublant et révélateur - et qu’ont été fabriquées les fausses preuves concernant les armes de destruction massives prétendument détenues par Saddam Hussein. C’est autour de ce groupe, à l’échelon de contrôle, que les William J. Luty, Lawrence Libby, David Addington, Douglas Feith et Stephen Cambone, au sein de l’Office of Special Plans du Pentagone, du bureau de non-prolifération du département d’Etat, alors sous les ordres de John Bolton, et du Comité national irakien d’Ahmed Chalabi, c’est autour de ce groupe qu’a fonctionné l’usine à fabriquer des preuves et à diffamer la France. Le nom de Michael Ledeen, qui vient d’émerger dans ce contexte, est particulièrement révélateur : il s’agit de l’auteur, en 1972, d’un ouvrage intitulé le Fascisme universel ; il travaille auprès de l’American Enterprise Institute, avec Lynne Cheney, la femme du vice-président Cheney, et peut être joint au cabinet de communication Benador Associés, une des tentacules des néo-conservateurs.

C’est le vice-président Cheney qui est le protecteur et le parrain de ces hommes. Cependant, il faut regarder bien plus loin. Cela signifie, dans le domaine culturel, du côté du Congrès pour la liberté de la culture, lancé à Berlin et basé à Paris à partir de 1950. Avec son jumeau, le Comité américain pour la liberté de la culture, il s’agissait d’une opération parrainée par le renseignement américain pour faire face, en principe, à la guerre culturelle des « communistes soviétiques ». Frances Stonor Saunders expose cette opération dans son remarquable Qui mène la danse ? La CIA et la guerre culturelle (1999, Granta Books ; 2003, éditions Denoël). Notre mouvement, l’International Caucus of Labor Comittees, l’Institut Schiller et Solidarité et Progrès, l’ont dénoncée dans The Children of Satan, « Synarchie et stratégie de tension, les diaboliques de l’administration Cheney ».

Il s’agit ici d’une initiative culturelle de masse, reposant sur l’idée de détruire les cultures nationales pour imposer une contre-culture rompant tout lien entre émotion et raison, flattant les instincts et les désirs bestiaux des êtres humains et faisant tomber le seuil de tolérance pour l’inadmissible. Il s’agit d’une préparation mentale à une politique fasciste. Il est historiquement établi qu’elle a été financée par la CIA grâce aux fonds de contrepartie du plan Marshall, une somme d’environ 200 milliards de dollars par an. A noter que c’était Averell Harriman qui contrôlait ces fonds, répartis par Frank Wisner. Le même Harriman qui, au cours des années trente, organisait des conférences sur l’eugénisme et la sélection raciale, à New-York, avec des « experts » allemands.

Il est important ici de noter que le Comité américain était ouvertement de droite et, dans sa majorité, maccarthyste. Irving Kristol, rédacteur d’Encounter de 1953 à 1958, y a joué un rôle fondamental. En bref, il s’est agi là du berceau des néo-conservateurs, leurs nurses étant Leo Strauss et Allan Bloom, parrains des Wolfowitz et des Ledeen. Le Congrès pour la liberté de la culture, en Europe, arborait les couleurs apparemment différentes d’une gauche anti-communiste, cornaquée depuis Paris par Michael Josselson, avec la collaboration de Raymond Aron, Denis de Rougement ou Lucie Faure. - à des niveaux différents de compétence, bien entendu. Cela s’est appelé ou s’appelle, en anglais, Commentary. En français, Commentaire ou Preuves, mais cela a partout répandu le doute sur l’homme, réduit à être libre dans un bocal.

Pourquoi faut-il en reparler aujourd’hui ? Parce que leur opération de déformation culturelle a atteint son point extrême : à une société du gain immédiat, de l’exclusion, du contrôle social et du triage correspond une sous-culture existentialiste d’abaissement et de dérision, allant depuis Star’Ac ou Koh-Lânta jusqu’aux pitreries indécentes de Jan Fabre au festival d’Avignon, un Jan Fabre qui écrit : « La vitalité que je recherche est parfois proche de celle de l’animal. »

Qui ne comprend pas le lien entre les néo-conservateurs américains, l’effondrement du système financier et monétaire international et cette opération contre-culturelle de longue haleine se condamne à laisser bafouer la souveraineté nationale de son pays. La culture n’est pas une chose à part, appartenant à une élite perverse ou complaisante, commentant ou jouissant dans un monde fini, mais un moyen de redonner espérance et goût du futur.

Si nous la laissons se détruire, sous prétexte de suivre la mode ou d’être intimidé par ceux qui la promeuvent, c’est à une nouvelle débâcle que nous nous condamnons.

La bonne nouvelle est que depuis plus de quarante ans, le penseur et politique américain Lyndon LaRouche a mis l’accent sur ce point fondamental, et qu’un mouvement de jeunes commence à le comprendre, en se fondant sur un principe de découverte qui n’est ni application de règles de catéchisme ou de formules toute faites, ni « libération » des instincts évacuant, au nom de la liberté, la responsabilité vis-à-vis de l’autre.

Il s’agit d’une voie qui doit être tracée à travers un dialogue d’idées, de cultures de la vie, de civilisations et de religions, mettant le meilleur de chacun dans la part commune pour combattre ceux qui veulent détruire la part la plus humaine en l’homme, sa capacité à connaître, comprendre et appliquer les lois de l’univers pour le bien commun. Bref, il s’agit de donner tort à Samuel Huntington et autres Bernard Lewis.

Le temps d’un sursaut est venu. Economie humaine, culture et justice sociale forment un tout, porté par l’idée, inscrite dans le texte des constitutions républicaines et en particulier celui de la Constitution américaine de 1789, que la souveraineté nationale ne se justifie que par le General Welfare, le service de tous ceux qui composent l’Etat-nation et des générations à naître.

Jean Jaurès écrivait en 1901 : « Tout individu humain a droit à l’entière croissance. Il a le droit d’exiger de l’humanité tout ce qui peut seconder son essor. Il a le droit de travailler, de produire, de créer sans qu’aucune catégorie d’homme soumette son travail à une usure ou à un joug. » En écho, nous devons répondre que pour éviter cette fin de l’histoire des Fukuyama et de ses amis « fascistes universels », nous devons voir avec les yeux du futur pour être fidèles à ceux qui ont changé la vie et amélioré le monde dans le passé. La chute de Dick Cheney et de ses alliés, que nous espérons proche et pour laquelle nous devons encore nous battre, nous ôtera toute excuse pour ne pas agir.


Un 9 juin pour le salut commun


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