La French American Foundation : ni américaine ni française, oligarchique

lundi 2 octobre 2006, par Karel Vereycken

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Nicolas Sarkozy ne se trompe que très rarement. Ainsi, de passage aux Etats-Unis, il a pris la parole à Washington devant la French American Foundation (FAF).

La FAF ? Rien de plus prestigieux sous le soleil financier new-yorkais. Avec le soutien de l’ambassade de France, cette fondation « représente le lien principal non gouvernemental entre la France et les Etats-Unis au niveau des dirigeants » et dispose d’une organisation sœur, dont le siège se trouve à Paris. La FAF se fixe comme objectif de « renforcer la relation franco-américaine comme une composante vitale du partenariat transatlantique ». Dans ce but, elle organise des symposiums sur la défense, des conférences et réunions aux Etats-Unis et en France, fait du mécénat culturel et anime depuis vingt-cinq ans le « Young Leaders Program » permettant aux jeunes talents politiques de se frotter les uns aux autres. En pleine guerre contre l’Irak, alors que la France opposait son veto à l’administration Bush, la FAF organisa trois séminaires pour journalistes tout à fait orientés, dont un présidé par le néo-conservateur Irving Kristol du Weekly Standard. Sans être une fondation charitable, la FAF peut également offrir des bourses d’études.

Vous l’avez compris, c’est un lieu de « rendez-vous obligé », où ceux qui aspirent à être puissants rencontrent ceux qu’ils ont choisis pour le devenir. C’est là que Sarkozy espérait sans doute obtenir la formule de ce somnifère magique capable de procurer un American Dream aux Français.

La frise de signatures prestigieuses qui décorent le fronton de la fondation fait rêver le commun des mortels : sur la quarantaine de membres du directoire, plusieurs anciens ambassadeurs américains à Paris, notamment Walter J.P. Curley (J.H. Whitney & Cie, Co., Banque Paribas) , Félix Rohatyn (ex Lazard et maintenant Lehman Brothers), John N. Irwing II ou Howard H. Leach ; de grands financiers comme le président de la FAF, Michael E. Patterson (vice-président de J.P. Morgan Chase), David Rockefeller, Richard Kauffman (Goldman Sachs) ou Michel David-Weill (ancien patron de Lazard Frères) ; ou encore des industriels comme l’ex-président du MEDEF Ernest-Antoine Seillière, du Groupe Wendel, ou Jean Karoubi (présenté comme « un vétéran de l’industrie des hedge funds » gérant plus de 6 milliards de dollars... mais engagé avec Médecins sans Frontières et les micro crédits de PlanetFinance de Jacques Attali...)

Que cette fondation ait son centre de gravité ailleurs qu’en France est démontré par le fait qu’à part notre baron national, le nombre des Français figurant au directoire se compte sur les doigts d’une main, bien qu’on y trouve comme vice-président son Excellence, l’ex-ambassadeur français aux Etats-Unis, François Bujon de l’Estang (Citigroup France, ex-Cogema Inc., Commission trilatérale), engagé, avec Felix Rohatyn, dans une croisade pour fusionner le New York Stock Exchange (NYSE) avec Euronext. (Voir article de Jacques Cheminade « Arrêtons de solder la France », juillet 2006 )
Aussi, rien que par le profil de son président, on se rend très vite compte que cette fondation n’a pas grand-chose de français ni d’américain, mais tout d’un groupe financier opposé à l’Etat-nation et hostile à tout mandat représentatif. Aucune figure politique, syndicale, universitaire, culturelle ou académique ne figure dans sa direction et ce n’est pas un hasard : la relation franco-américaine, version FAF, semble se réduire aux gros sous, enveloppée de charité, arrosée d’une cuillerée de culture et dopée à la volonté de puissance.

Son président actuel en est presque une vilaine caricature. Nicholas Dungan est un banquier d’investissement, opérant depuis vingt ans entre New York, Londres et Paris pour le compte de Merrill Lynch ou de la Société Générale. Mais M. Dungan est aussi un responsable important du Royal Institute of International Affairs (dit Chatham House) de Londres, nid de visions géopolitiques se situant à l’opposé de l’esprit des constitutions américaine et française. Son domaine d’expertise, ce sont les relations transatlantiques et « les acteurs non-étatiques » (nouveau nom pour la « synarchie financière » ou les « bullocrates »). Spécialiste de la gouvernance du monde par les ONG, il lança d’ailleurs à Chatham House un projet spécial, le « Non State Actors Project ». Cette inspiration royale transparaît également dans le livre de l’ex-ambassadeur américain à Paris, Walter J.P. Curley de 1973 : Monarch’s in the waiting où il affirme sans rougir que les monarchies sont bien moins coûteuses que les républiques. C’est ce même Curley qui, en s’appuyant sur l’antenne du FBI à Paris, organisa pendant plusieurs années le « suivi » de Jacques Cheminade, et transmit les « informations » frelatées de l’American Family Foundation à l’ADFI.

John Train et la genèse de la FAF

A l’origine de la FAF, en 1976, figurent trois étasuniens : l’historien James Chace, le politologue Nicholas Wahl et James G. Lowenstein. Ce dernier est un ancien responsable américain du plan Marshall, collaborateur de Lafarge aux USA et membre de l’International Institute for Strategic Studies de Londres. Le premier président de la FAF était Edward H. Tuck, en charge à l’époque d’ouvrir un bureau à Paris pour le groupe d’avocats Shearman and Sterling.

Tuck, décédé en 2002, était aussi proche collaborateur du milliardaire de la droite « libérale » anglo-américaine John Train, avec qui il dirigeait le Northcote Parkinson Fund, une fondation « charitable » au cœur des flux de dollars qui sont allés financer les néo-conservateurs. Cette fondation recueille à son tour des dons importants d’autres fondations, qui sont ensuite engagés dans le financement de la révolution néo-conservatrice, en particulier de la Olin Foundation, connue pour son rôle dans la médiatisation des scandales contre Bill Clinton, ainsi que de la Bodman et de l’Achelis Foundation.
Rappelons ici que ces deux dernières furent à l’origine de l’American Family Foundation (AFF), dont l’organisation « anti-secte » française ADFI, si empressée à calomnier LaRouche et Cheminade, n’est qu’une antenne. Notons aussi qu’une des collaboratrices de l’ADFI à Paris à l’origine des calomnies contre LaRouche et Cheminade était l’américaine Alexandra Schmitt, dont l’étude de 1994 sur l’agriculture, commandée par la FAF, est toujours vendue et promue par cette même FAF.

Nous avons montré dans un autre article comment ces fondations néo-conservatrices chapeautées par John Train, Walter J.P. Curley et John Irving II furent à l’origine des calomnies contre Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade en France.

Même le néo-conservateur Michael Ledeen, apôtre de ce qu’il appela lui-même le « fascisme universel », contribua financièrement au Northcote Parkinson Fund de John Train, ce dernier étant à son tour, tout comme l’honorable « démocrate » Felix Rohatyn et la Bodman Foundation (à l’origine de l’ADFI), un gros contributeur de la FAF. Au sujet de celle-ci, on serait donc tenté de dire « comme son nom l’indique », dans son acception moderne et universelle, bien entendu.

The Paris Review

John Train a toujours été très actif à Paris où il rencontra souvent son ami feu sir Jimmy Goldsmith, le promoteur d’un écologisme féodal et, à l’occasion, de Philippe de Villiers. Dans les années cinquante, il y fonda The Paris Review, magazine littéraire animé par George A. Plimpton et l’agent de la CIA Peter Matthiessen, afin de coopter les milieux culturels dans le cadre de la stratégie de « guerre froide culturelle » du Congrès pour la Liberté de la Culture (CLC). La revue était publiée par un camarade de classe de Train à Harvard, le prince Sadruddin Aga Khan, et distribuait des prix littéraires.

Cette tradition salonarde et la pénétration charitable sont toujours au programme de la FAF, qui travaille en étroite coopération avec la Florence Gould Foundation de New York. Comme les fondations charitables à la fin de l’Empire romain, cette dernière distribue généreusement des fonds pour des concerts, des expositions de peinture, ou finance la replantation des arbres du jardin du château de Versailles, avec un fort penchant pour l’art et le ballet contemporains. La fondation s’est montrée également généreuse pour aider à la publication des œuvres de l’ennemi de Leibniz, Voltaire, du dualiste Descartes ou de l’existentialiste Jean-Paul Sartre.

Tradition familiale

Pour récompenser ce travail, lors d’une cérémonie à l’ambassade de France à New York, le 15 novembre 2005, les épouses des trois principaux directeurs de cette fondation Gould (Mary Young, Ursula Cliff et Catherine Cheremeteff Davison) reçurent chacune, comme leur époux auparavant, la décoration de chevalier de la légion d’honneur.
Et pourtant, la fondation Florence Gould n’a pas vraiment d’adresse propre, mais partage son siège et son téléphone avec Cahill Gordon & Reindel, un des bureaux d’avocats les plus pointus dans la défense des méga-speculateurs de Wall Street.

Rien d’étonnant, car Catherine Cheremeteff Davison est marié avec le fils de feu Harry P. Davison, vice président de J.P.Morgan et co-fondateur avec Henry Luce du magazine alors pro-fasciste TIME, véritable tribune des milieux synarchistes américains opposés à Franklin D. Roosevelt.

Ceci explique également pourquoi John Train, dont le grand-père était un partenaire en affaires avec J.P. Morgan, affirme qu’il faut « investir comme Morgan, et pas comme Ford. »

Il faut croire que J.P. Morgan aimait beaucoup la France. Sa fille, Tracy Morgan, s’installa au château de Blérancourt, d’où elle distribua l’aide et organisa les secours à la population française à la fin de la Grande Guerre. Et puisque « charité bien ordonnée commence par soi-même », la fondation Florence Gould donna récemment une forte somme pour restaurer le château devenu Musée de la coopération franco-américaine, doté d’un pavillon Florence Gould.

Regardons également d’un peu plus près qui était Florence Gould, si généreuse envers l’art et les artistes. Fuyant les Etats-Unis après le tremblement de terre de 1906, elle rencontre et épouse en France un millionnaire, petit-fils du « robber baron » et spéculateur Jay Gould.

Florence Gould va tenir salon de 1924 à la fin de la guerre, « rendez-vous du monde entier » dans sa villa néo-gothique de Juan-les-Pins, sur la Côte d’azur, dans sa demeure du XVIe arrondissement de Paris, avenue Malakoff , ou à l’Hôtel Meurice, siège du commandement militaire allemand sous l’Occupation.

Florence Gould fut autorisée à poursuivre ses activités après la Libération.

Il est donc grand temps de faire le ménage dans les relations franco-américaines et de permettre à ces deux peuples de se rencontrer autour d’une mission et d’individus affranchis de l’oligarchie anglo-américaine, car la combinaison du meilleur de la culture européenne et de l’optimisme américain sera une arme redoutable pour mettre fin à une conception avilissante d’un homme maintenu dans le sous-développement par une petite bulle d’oligarques financiers. Cette entreprise de salut public et de retour aux sources de l’entente républicaine de part et d’autre de l’Atlantique devrait commencer par faire en sorte que M. Train soit laissé au vestiaire.


Un 9 juin pour le salut commun


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