Offrir les meilleurs soins possibles à tous les Français semble coûter de plus en plus cher. En décembre 2015 la Ligue contre le cancer dénonçait à juste titre dans les pages du Figaro les prix « injustes » et « exorbitants » exigés par l’industrie pharmaceutique pour des médicaments innovants qui du coup, sont accusés de menacer le système de santé et de créer des inégalités entre les malades.
A l’époque, le Pr Jean-Paul Vernant, du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière déclarait lors d’une conférence de presse :
Cela fait dix ans que nous constatons, au niveau mondial, une inflation des prix des médicaments. En 2004, les médicaments contre le cancer représentaient 24 milliards de dollars ; en 2008, 40 milliards ; en 2014 ; 80 milliards sur un total de 650 milliards du coût des médicaments
Une situation explosive
Si rien n’est fait pour contenir cette inflation, d’ici 2020 le prix des médicaments auront doublé, soulignait le professeur.
Pour ce spécialiste, cette inflation est liée à la multiplication des traitements ciblés : « Avant, un médicament traitait les 70000 cancers du poumon, aujourd’hui, il s’adresse à des sous-groupes de malades » pour lesquelles on a pu différencier des types de tumeurs qui nécessitent des traitements plus ciblés. Les laboratoires, qui sont dans une logique de « retour sur investissement », veulent que leur médicament proposé à 5000 malades soit aussi rentable que celui qui était initialement proposé aux 70 000. Ils arguent que lorsqu’il faut étudier plusieurs milliers de molécules pour qu’au final une seule soit retenue et commercialisée, il est nécessaire d’amortir le coût des échecs.
Mais paradoxalement, si les prix des nouveaux produits explosent, le coût de leur R&D a plutôt diminué... Celui-ci représente moins de 15 % du chiffre d’affaires alors que le marketing pour la promotion des produits en mobilise 30 %...
Le Pr Vernant le déplore :
L’industrie pharmaceutique détermine ses prix en fonction de ce que le marché est prêt à payer...
Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis
L’an dernier, le Royaume-Uni a décidé de dé-rembourser des traitements innovants pourtant efficaces, mais trop coûteux pour leur système de santé. En septembre dernier, l’annonce qu’à partir du 1er novembre 2015, le NHS England, la Sécurité sociale anglaise, ne prendra plus en charge toute une série de médicaments contre le cancer, a fait l’effet d’une bombe au Royaume-Uni. L’association caritative Breast Cancer Now a jugée cette décision « terrible ». Selon la Rarer Cancers Foundation, 5500 patients auraient pu bénéficier de l’ensemble des médicaments que le NHS ne financera plus !
Aux Etats-Unis, où la réforme de la santé d’Obama (ObamaCare) a livré le secteur de la santé aux assurances et à l’industrie privées de la santé, les prix des médicaments contre le cancer sont déjà deux fois plus chers qu’en Europe.
En France, en février de cette année, le gouvernement projetait aussi de dérembourser certains médicaments contre le cancer actuellement dispensés à l’hôpital et remboursés à 100%. Le Pr Thierry Philip, président de l’Institut Curie, a déclaré qu’un déremboursement mettrait en péril l’égalité d’accès aux soins et traitements innovants et/ou alors l’équilibre budgétaire des hôpitaux. Face à une telle éventualité, lui-même n’aurait pas d’autre solution que d’interrompre la prescription de ces médicaments dans son établissement.
D’un autre côté, sans réduire le coût des traitements, maintenir leur remboursement par l’Assurance-Maladie mettra en péril, à court terme, notre système de santé solidaire.
L’appel des cancérologues
Face à ces graves menaces, les cancérologues Dominique Maraninchi et Jean-Paul Vernant ont lancé une pétition avec cent dix autres signataires parmi les meilleurs spécialistes français, pour dénoncer auprès des pouvoirs publics l’urgence de maîtriser les prix des nouveaux médicaments contre le cancer, proposer des pistes pour réduire cette inflation des prix pratiqués par l’industrie pharmaceutique et établir un prix « juste » :
La pétition propose :
- de définir un juste prix pour les médicaments du cancer, basé sur les sommes investies par les industriels pour la R&D du produit (en tenant compte des apports fournis par la recherche académique), auquel s’ajouterait un retour sur investissement raisonnable, éventuellement défini a priori ;
- de rendre le système d’arbitrage des prix plus démocratique et transparent, en y associant de façon structurelle des représentants des patients et des professionnels ;
- de ne plus accepter les extensions de durée des brevets que la rapidité du développement des nouvelles thérapeutiques ne justifie pas ;
- d’autoriser, comme cela existe déjà pour les traitements du sida et des infections opportunistes, l’utilisation de licences obligatoires pour les pays en développement, qui leur permettent la production et l’utilisation de génériques avant même que les brevets ne tombent dans le domaine public.
Ainsi, en France, tout comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, la soumission à la rentabilité financière de Wall-Street et de la City de Londres, nous fera perdre les avancées de notre système de santé en France, construit rappelons-le, sur le principe de l’État garant d’une santé au plus haut niveau technologique et humain, pour tous.
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