Sous prétexte de combattre le « terrorisme », l’administration Bush est en passe de supprimer certains garde-fous, destinés à protéger les citoyens d’abus gouvernementaux, qui limitent notamment les opérations d’« espionnage » sur le territoire national. Il s’agit, plus spécifiquement, d’ouvrir une brèche dans le mur séparant les activités de la police judiciaire intérieure et celles du renseignement à l’étranger, d’outrepasser l’interdiction de déployer des forces militaires américaines sur le territoire national en vue de faire respecter la loi et de créer un « système judiciaire » parallèle pour quiconque est considéré comme « terroriste ».
Concrètement, le gouvernement a déjà créé un nouveau ministère doté de sa propre unité de renseignement, le Department of Homeland Security (DHS), qui peut aussi faire appel aux ressources d’autres organismes ou agences de renseignement. Il a également mis sur pied le Commandement militaire nord-américain, Northern Command (NorthCom). Enfin, par une décision récente, une Cour chargée de l’application de la loi de surveillance du renseignement étranger a considérablement réduit la séparation prévalant depuis des décennies entre la justice et le renseignement : cette décision autorise une plus grande utilisation, dans des procès civils, d’informations obtenues grâce à des écoutes.
Comme le New York Times l’a souligné le 30 novembre, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, prône une vaste restructuration de la branche du renseignement, ce qui l’a amené à créer un nouveau poste de sous-secrétaire à la Défense chargé du renseignement et à défendre la mise sur pied d’unités spéciales pour mener plus énergiquement la guerre au terrorisme. Par ailleurs, un petit groupe d’« experts » du renseignement avait déjà été créé sous la tutelle du numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, afin d’explorer toutes les banques de données possibles permettant d’établir des « liens » entre Saddam Hussein et des groupes terroristes.
En outre, le Pentagone vient de lancer son programme Total Information Awareness (TIA) dont le responsable est l’amiral John Poindexter, qui s’est tristement illustré dans l’affaire Iran-Contra. Selon un article de Christopher Pyle paru dans le Hartford Courant du 20 novembre, cette unité recherchera dans les archives informatiques des informations considérées comme « compromettantes », provenant d’e-mails, d’écoutes téléphoniques, d’achats par carte de crédit et de documents bancaires, et transmettra ses résultats au nouveau Commandement nord de l’armée. Pyle, un ancien capitaine du renseignement militaire américain, avait révélé dans les années 1970 l’existence d’un programme de l’armée américaine consistant à surveiller des citoyens américains. Il a également été conseiller de différentes commissions du Sénat chargées de contrôler les activités d’espionnage et de collecte de renseignement sur le territoire national. Dans une interview avec l’EIR, Pyle a dénoncé plusieurs aspects inquiétants de la TIA.
Selon Pyle, la TIA constituerait une arme terriblement puissante pour quelqu’un qui, comme [l’ancien chef du FBI] J. Edgar Hoover, « voudrait discréditer ou harceler les gens qu’il n’aime pas (...) Jadis, il aurait fallu au FBI des milliers d’heures de travail pour collecter ce qu’il peut maintenant obtenir en 2,7 secondes, à l’aide d’un moteur de recherche Internet comme Google ». Ceci donne au gouvernement des moyens énormes et pratiquement incontrôlables de porter atteinte à la liberté et à la vie privée. Pyle s’inquiète aussi de la qualité de ce genre de renseignement : « A force d’être diffusée, une simple rumeur peut devenir une « information » connue de tous . »
Autre sujet d’inquiétude, l’assouplissement de l’interdiction pour l’armée de se mêler de l’application de la loi civile, en vertu de la loi de Posse Comitatus. Pyle recommande d’examiner de très près l’activité du nouveau Commandement nord de l’armée : « Il est censé appuyer la police et le Bureau de gestion des urgences (FEMA) en fournissant, en cas d’attaque terroriste, un périmètre de sécurité, des secours de première urgence et des programmes de vaccination. Mais il aussi question d’employer 150 analystes du renseignement - bien plus que nécessaire s’il reçoit ses ordres, ses informations et ses directives de bureaux civils . »
Selon le Pr David Cole, de la faculté de droit de Georgetown, quelque 2000 personnes ont été arrêtées depuis le 11 septembre. Ces détenus - des immigrés pour la plupart - Cole les appelle les « disparus de l’Amérique », étant donné que la plupart ont été mis au secret, jugés à huis clos par des tribunaux de l’immigration et, pour beaucoup d’entre eux, secrètement expulsés. Personne ne sait combien sont encore sous les verrous. Pour qualifier ce que le gouvernement et le ministre de la Justice, John Ashcroft, sont en train de mettre en place, le Washington Post parle de « système judiciaire parallèle » pour les terroristes présumés, dépourvu des protections normalement assurées aux suspects, conformément à la Constitution américaine. Les éléments de ce nouveau système, qui peut être appliqué aux citoyens comme aux non-citoyens, sont :
- la détention militaire pour une durée indéterminée pour ceux qualifiés de « combattants ennemis » ;
- l’utilisation de mandats spéciaux privant les détenus de tout contact avec un avocat ou avec leur famille ;
- l’utilisation de mises sur écoute ou de perquisitions normalement réservées aux cas de contre-espionnage.
Pour le Washington Post, on commence seulement à entrevoir comment ces différents éléments pourraient se combiner. Par exemple, après approbation d’une cour relevant de la surveillance d’espions étrangers, le gouvernement pourrait faire perquisitionner le domicile d’un citoyen américain, puis le déclarer « combattant ennemi » devant être incarcéré pour une durée indéfinie dans une base militaire américaine. C’est le cas, par exemple, de Jose Padilla, citoyen américain accusé d’avoir tenté de fabriquer une « bombe sale », qui a été mis à l’écart du système judiciaire normal et détenu incommunicado dans une prison militaire.
Deux autres conditions peuvent être appliquées à ceux qui ne sont pas ressortissants américains :
- Procès possible devant un tribunal ou une commission militaires
- Expulsion après des auditions secrètes.
Dans le cadre de ce nouveau système, seul le Président peut déterminer qui est un « combattant ennemi » et, une fois cette désignation appliquée, les cours n’ont rien à dire sur les conditions de détention.
C’est contre cette dérive que Lyndon LaRouche mettait en garde, début 2001, en appelant le Sénat à rejeter la nomination de John Ashcroft à la tête du ministère de la Justice.