La France est un pays libre. Tellement libre que la presse y est entièrement libre, y compris libre de ne pas parler de ce qui est essentiel.
Le prix Orwell de la semaine va sans conteste au Canard enchaîné. Alors que dans le cadre du rejet du compte de campagne de Nicolas Sarkozy une partie de la presse rappelait au moins le nom de Jacques Cheminade et parfois l’étrange décision en 1995 du Conseil Constitutionnel qui avait alors validé les comptes de Chirac et Balladur tout en rejetant celui de Cheminade, le Canard enchaîné restait quant à lui bien enchaîné et surtout le bec cloué.
Depuis 48 heures, un autre spectacle nous fait craindre que nous vivons de façon croissante sous une forme d’occupation financière. Alors qu’aux Etats-Unis, tous les grands médias (New York Times, Washington Post, Fox News, MNBC, Bloomberg, Forbes, Huffington Post) consacrent de longs articles à la nouvelle initiative lancée le 11 juillet par quatre sénateurs en faveur du rétablissement de la loi Glass-Steagall, en France, silence radio.
C’est vrai qu’il ne faut pas troubler les esprits et le processus démocratique en cours. Trop d’informations sur ce qui se passe outre-Atlantique risque de remettre en cause ce qui se cuisine chez nous. N’est-ce pas le 18 juillet qu’un vote doit confirmer la « réforme bancaire » élaborée par Karine Berger et Pierre Moscovici ?
N’est-ce pas le lendemain que François Hollande recevra pour la première fois les représentants des grandes banques françaises à l’Elysée ? Il proposera sans doute un deal : s’ils font un geste pour participer à la relance et aux collectivités locales, l’Etat pourrait leur confier une part plus grande des dépôts réfugiés dans les livrets d’épargne et l’assurance-vie.
Nouvelle proposition de loi pour Glass-Steagall au Sénat américain
Retournons à ce qui se passe aux Etats-Unis. Fidèle à sa promesse électorale, c’est la sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren qui vient de remettre la séparation des banques sur la table. Ancienne professeure de droit à Harvard et spécialiste des lois de faillite, Warren est une personnalité qui monte sur la scène politique américaine. En charge de surveiller le programme américain de renflouement bancaire TARP en 2008, elle a milité et obtenu d’Obama la création d’une Agence de protection des utilisateurs de banques.
Aujourd’hui, pour donner plus de poids à sa proposition de loi, elle a rallié d’autres poids lourds du Sénat à son initiative : le sénateur indépendant Angus King, le sénateur républicain John McCain et la sénatrice Maria Cantwell, les deux derniers ayant déjà présenté (sans succès) une proposition de loi sur cette question en 2010.
Les qualités
La proposition de loi « 21st Century Glass-Steagall of 2013 », d’une trentaine de pages, se limite à vouloir rétablir un cadre de régulation plus strict séparant catégoriquement les métiers de banque.
Selon Simon Johnson, un ancien économiste de la Banque mondiale, le projet se fonde sur les travaux de certains experts dont Richard Fisher, président de la Réserve fédérale de Dallas, Sheila Bair, ancienne présidente du Fonds américain de garantie des dépôts (FDIC), ainsi que Thomas Hoenig, l’actuel vice-président du FDIC.
Il s’agit « de réduire les risques encourus par le système financier en limitant la capacité des banques à s’engager dans certaines activités à risque et de limiter les conflits d’intérêts » en « rétablissant certaines protections prévues par la loi Glass-Steagall abrogée par la loi Gramm-Leach-Bliley ».
L’exposé des motifs, après avoir évoqué le précédent de la loi Glass-Steagall de 1933, énumère les différents constats et conclusions des différentes commissions et autorités de régulation suite à la crise de 2008, notamment les conclusions du Rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur la crise financière présidée par Phil Angelides.
Evoqués également, les constats de l’ancien président de la Réserve fédérale du Kansas Thomas Hoenig, depuis longtemps en campagne pour le retour à la loi Glass-Steagall.
A cela s’ajoute le constat qu’une banque comme J.P. Morgan n’a pas hésité à utiliser les dépôts de ses clients pour des paris spéculatifs sur les marchés des produits dérivés, comme on l’a découvert avec l’affaire de la « baleine de Londres ».
L’exposé des motifs note également que pour les experts européens de haut niveau du groupe Liikanen, il n’existe aucune raison automatique pour garder ensemble dans une même entité l’activité de la banque de détail et la « banque d’investissement ».
L’objectif
Vu l’ensemble de ces motifs, la proposition de loi propose « de réduire les risques que court le système financier en limitant les capacités des banques à s’engager dans des activités autres que le cœur des activités bancaires socialement utiles », ainsi que de « protéger les contribuables en réduisant l’aléa moral en retirant les garanties explicites et implicites de l’Etat pour des activités à haut risque en dehors du métier classique de banque ». Enfin, il s’agit également « d’éliminer des conflits d’intérêt qui découlent de banques s’engageant dans des activités dont le profit est obtenu au détriment de leurs clients ».
Pour atteindre cet objectif, la proposition de loi propose que toute institution qui collecte des dépôts (nous dirons une banque commerciale), ne puisse plus « être ou devenir une filiale d’une compagnie d’assurance ou d’une société engagée dans le commerce de titres ou de swaps (produits dérivés) » ou s’engager dans une activité que l’on puisse qualifier de façon similaire, en bref, d’être une banque d’affaires ou un acteur de marché avec les risques que cela comporte.
Le projet, qui va bien plus loin que toutes les propositions européennes (Vickers, Liikanen, Moscovici, etc.), prend bien soin de détailler de quoi il s’agit : « l’émission, la mise sur le marché, la vente ou la distribution d’actions, d’obligations, de bons ou d’autres titres » ; l’activité de « tenue de marché » (market making) ; « les activités de courtage » ou d’intermédiation dans le commerce de titres ou de « futures » ; l’activité de conseil en investissement ; l’investissement dans des fonds de performance de titres d’entreprises publiques et privées ; etc.
L’investissement dans des crédits structurés (connus comme « toxiques » en France) ou synthétiques (dont le taux évolue en fonction des rapports entre devises ou index boursiers) sera également banni pour une banque commerciale.
Une séparation stricte du management et du personnel doit accompagner le processus. Dès que la loi est promulguée, les banques doivent opérer cette séparation stricte au plus vite. Bien qu’elles auront cinq ans pour se conformer à la loi, celle-ci peut s’appliquer, selon les cas, beaucoup plus rapidement.
En même temps, sans prétendre que le projet permettra de résoudre tous les problèmes du système financier, la proposition de loi s’attaque à sa façon au fameux « trop gros pour sombrer ».
Interrogée sur son projet, Warren a déclaré :
En dépit des progrès obtenus depuis 2008, les grandes banques continuent de menacer notre économie. Les quatre banques les plus grandes sont actuellement 30% plus grandes par rapport à ce qu’elles étaient il y a cinq ans, et elles continuent à s’engager dans des pratiques dangereuses à haut risque qui pourraient une fois de plus mettre notre économie en danger. La loi Glass-Steagall du XXIe siècle de 2013, en érigeant un mur entre les banques commerciales et les banque d’affaires, rendra notre système financier plus stable et protégera les familles américaines.
L’offensive de Warren n’a pas laissé indifférentes les grandes banques américaines. Dès le lendemain de l’introduction de la proposition de loi au Sénat, lors d’un appel de conférence avec les actionnaires de JP Morgan, un analyste demanda l’ampleur des dommages que subirait la banque en cas d’adoption d’une telle loi. Marianne Lake, directrice financière de JP Morgan, rétorqua que « le Glass-Steagall n’a rien à voir avec la crise. Notre business model nous permet d’être un port dans l’orage. Nos clients aiment faire des affaires avec nous avec le modèle actuel. » Et, après un long silence : « On ne perd pas de temps à réfléchir à ça… »
Les limites
Comme nous l’avons indiqué, pour Mme Warren et ses alliés, il s’agit de redéfinir, avant qu’une nouvelle crise éclate, un cadre assaini de régulation. Est-il suffisant ? Non, car il reste dans le cadre du monétarisme actuel. Sans d’autres mesures qui l’accompagnent, l’adoption d’une telle loi, tout en ouvrant la porte à une réforme plus large, reste totalement insuffisante.
D’abord, contrairement aux illusions sous-jacentes de beaucoup de régulateurs et de banquiers classiques, la séparation stricte des banques provoquera une énorme crise : celle des faillites ordonnées et du crédit. Car sans la garantie de l’Etat, et dépouillées de leurs dépôts, l’immense majorité des banques d’affaires, dont les bilans sont plombés par des « pertes non réalisées », déposeront le bilan. Pour la plupart d’entre elles, nous disons bon débarras, elles auront ce qu’elles méritent. Pour prévenir contre toute contagion résultant de la mort de ces banques d’affaires, une grande partie des dettes spéculatives doivent être examinées et effacées.
De leur côté, les banques commerciales auront besoin d’un soutien de l’Etat. Cela implique d’en finir avec des banques centrales « autonomes », en réalité sous contrôle d’intérêts privés. Seul un retour à des « banques de la Nation », sous contrôle public, fera l’affaire. L’Etat, reprenant le contrôle de l’émission de la monnaie et du crédit, orientera, en concertation avec les banques commerciales, le crédit vers des grands projets et des investissements à long terme dans des filières d’avenir.
C’est pour cela que nos amis du Comité d’action politique de l’économiste américain Lyndon LaRouche multiplient leurs interventions et propositions visant à compléter l’ensemble des propositions en faveur de la loi Glass-Steagall avec des propositions précises en faveur d’un retour à un système de crédit Hamiltonien.
En tout cas, le fait politique est là : le Glass-Steagall défendu depuis 2008 par Lyndon LaRouche aux Etats-Unis et par Jacques Cheminade et Solidarité & Progrès en France, est sur la table. Aux Etats-Unis, des dizaines d’Etats américains ont adopté des résolutions pour le Glass-Steagall. 70 députés sont co-signataires de la HR 129, la proposition de loi de la démocrate Marcy Kaptur reprise à l’identique au Sénat (S. 985) par le sénateur progressiste Tom Harkin. En France, six communes ont émis des vœux à cet effet.
Reste maintenant à étendre, amplifier, unir et accorder ces initiatives. Vaste chantier, à nous d’y participer !
Soutenez notre proposition de loi pour couper les banques en 2 !
# petite souris
• 18/07/2013 - 19:26
toutes ces méga-banques vont éclater à cause de leur taille ....
Too big to fail ?
évidemment non !
et leur chute sera plus grande
elles sont si grosses qu’elles ne peuvent se cacher nulle part ....
les peuples n’en veulent plus ! elles ne sont pas à taille humaine ....
...............à lire ou relire et ..... méditer
de Jean de La Fontaine :
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf
Une Grenouille vit un Boeuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille,
Pour égaler l’animal en grosseur,
Disant : "Regardez bien, ma soeur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ?
- Nenni. - M’y voici donc ? - Point du tout. - M’y voilà ?
- Vous n’en approchez point. "La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
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