Donner les pleins pouvoirs aux assureurs privés, voilà le véritable but de la nouvelle Loi de santé de Marisol Touraine.
Sous prétexte d’élargir la couverture des complémentaires de santé à tous les Français et d’en plafonner les dépenses, qui connaissent une croissance galopante ces dernières années, poussant à la hausse les prix de l’optique et du dentaire ainsi que les dépassements d’honoraires, le gouvernement a décidé d’adopter les grands moyens. La nouvelle Loi de santé étendra les complémentaires à tous les Français d’ici 2017 grâce à un système de « contrats responsables » qui bénéficieront d’incitations fiscales et d’aides de l’Etat.
Un contrat « win-win » entre l’Etat et les assureurs ? Pas exactement, car grâce au Conseil national de la Résistance, un système de protection sociale solidaire avait été créé, après la guerre, pour s’assurer que la souffrance ne puisse pas être une source de profit pour les pouvoirs de l’argent. Or voici que maintenant c’est l’Etat qui, incapable de faire face à l’endettement de la Sécurité sociale, livre peu à peu la couverture maladie aux mutuelles et aux banques-assurances auquel le CNR l’avait arrachée !
Les critères d’égalité devant la souffrance ne seront plus assurés. Car alors que la Sécurité sociale assurait l’égalité de tous face à la maladie, les mutuelles et bancassureurs proposeront désormais trois types de contrats, selon les revenus de chacun. La participation de l’État se fera sous la forme d’un « chèque santé » de 100 € par an pour les moins de 16 ans (contrat d’entrée de gamme), de 200 € jusqu’à 49 ans (contrat intermédiaire) et de 550 € au-delà de 59 ans (contrat haut de gamme). La mutuelle couvrira le reste à devoir à l’assuré selon la couverture adoptée par son client. Ceux qui n’ont pas les revenus pour plus devront se contenter des « contrats responsables », subventionnés par l’État. La sécurité sociale à la française, qui fut le modèle du monde, accélère désormais sa mutation vers une assurance à deux vitesses.
Ce nouveau système d’accès aux soins commencera à se mettre sur place au 1er juillet 2015, d’abord avec les bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS) qui seront contraints de souscrire à des complémentaires auprès de mutuelles approuvées par l’Etat. Entre juillet et décembre 2016, la complémentaire santé sera généralisée à tous les patients couverts à 100 % par l’assurance maladie, et à compter de décembre 2017, ce sont tous les Français qui seront couverts. Et ceux qui ont les moyens pourront même souscrire à une « surcomplémentaire » !
Qui dépouille la Sécurité sociale ?
Remontons un peu dans le temps. En 2000, le PDG d’Axa, Claude Bébéar, crée l’Institut Montaigne, un think-tank d’économistes « indépendants » essentiellement financé par des banques-assurances et leurs amis comme Malakoff-Médéric de Guillaume Sarkozy, Areva, Axa, Alliance, BNP-Paribas, Bolloré, Pfizer, Dassault, Bouygues, etc. En décembre 2014, M. Bébéar affirme dans un rapport de l’Institut Montaigne vouloir « concilier efficacité économique et démocratie » et vante le modèle mutualiste qui, « issu du XIXe siècle, a su se hisser au tout premier rang dans le secteur de la banque et de l’assurance ».
Le système de santé est déficitaire et doit être réformé de toute urgence, disent-ils. La preuve est ce « fameux trou de la Sécu », conséquence exemplaire de l’irresponsabilité des malades et de la malhonnêteté des médecins. Mais, selon Christian Lehmann, médecin généraliste,
jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10 % de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations. La protection sociale des Français est donc constamment pointée comme coûteuse, irresponsable, un frein à la compétitivité et aux profits.
Depuis, c’est pas à pas qu’on a livré la Sécurité sociale aux assureurs. Toujours avec de bons prétextes : la « Sécu » rembourse de moins en moins et le chômage provoque de plus en plus de pauvres à prendre en charge. Plutôt que de combattre le hold-up de la finance sur l’économie et de retrouver les taux de croissance des Trente glorieuses, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont décidé de passer le bébé aux assureurs.
Le 20 juin 1999, la couverture maladie universelle (CMU) est adoptée par l’Assemblée nationale ; au 1er janvier 2000 est créée la complémentaire pour cette CMU : la CMU-C qui a aujourd’hui 4,8 millions de bénéficiaires. Déjà l’acquisition d’une CMU oblige l’assuré à prendre une complémentaire chez des assureurs privés dont le chiffre d’affaire a augmenté de 120 % en dix ans grâce à celle-ci.
Le 1er janvier 2005 est créée l’Aide à la complémentaire santé. L’ACS, qui ouvre droit à une déduction sur la cotisation à une complémentaire mutuelle, concerne 1,2 million de bénéficiaires, dont les ressources sont légèrement supérieures au plafond fixé pour l’attribution de la CMU, mais pas assez importants pour se payer une mutuelle.
Le 1er avril 2013, les représentants des mutuelles, des assurances et de l’Etat négocient avec les diverses branches professionnelles, dans le cadre de l’ANI (Accord national interprofessionnel), pour étendre les complémentaires aux employés du secteur privé qui ne sont pas encore couverts par les complémentaires. Trois à quatre millions de personnes vont grossir d’un seul coup les rangs des assurés, une véritable mise en pièces de la Sécurité sociale. « Une mutuelle pour tous », une des promesses de campagne de François Hollande !
Axe 2 de la loi santé : DMP et TPG
Deux autres articles de cette loi favoriseront les assureurs privés : l’ouverture des fichiers du Dossier médical personnel (DMP) et la généralisation du tiers payant (TPG).
Pour ce qui est du DPM, ce qui change est que si le patient veut être remboursé, il devra accepter que ses données médicales et administratives (sociales) soient intégrées dans le Dossier national médical partagé (DMP) universel.
Or, ce DMP sera désormais consultable non plus seulement par le médecin à qui il donne son accord, mais par toute la chaîne de soins, des employés administratifs des ARS (Agences régionales de santé) jusqu’aux assureurs naturellement impliqués dans l’élaboration de cette base de données. Ce qui est à craindre n’est pas seulement la fin du secret médical, mais l’utilisation abusive de ces fichiers par des assureurs à des buts bassement commerciaux.
C’est en 2004 que Jacques Chirac, ami intime de Claude Bébéar, nomme à la tête de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) l’ancien directeur du groupe Axa, Frederic Van Roekeghem. Celui-ci propose alors l’informatisation du Dossier médical personnel (DMP), qui contient les informations de santé nécessaires au suivi de l’assuré : traitements, antécédents médicaux et chirurgicaux, comptes-rendus hospitaliers et de radiologie, analyses de laboratoire, etc. Fini donc les examens redondants et de plus, le dossier suit le malade.
Un gain de temps réel quand la vie est en jeu. L’ennui est que ce fichier doit aussi être partagé avec les mutuelles.
En effet, en 2011, Xavier Bertrand, agent des assurances AXA et MMA, ministre de la Santé du gouvernement Fillon III, dirige la mise en place du DMP informatisé. Deux hébergeurs de données sont alors agréés par le ministre, Atos Origin et La Poste. Atos est référencé parmi les dix grands acteurs mondiaux des entreprises de services du numérique (ESN), avec un chiffre d’affaires annuel de 8,8 milliards d’euros et 76 300 employés dans 52 pays dont la France. La Poste, comme tout un chacun peut s’en rendre compte, n’est plus un service d’Etat mais une banque-assurance.
TPG et complémentaires santé
Mêmes dangers avec le tiers payant généralisé, la possibilité d’aller chez le médecin et de ne rien avoir à débourser. Voilà un magnifique cadeau pour appâter les grands naïfs que nous sommes. Sauf qu’à y regarder de plus près… Marisol Touraine a annoncé que la gestion du TPG, c’est-à-dire le fichier informatique permettant de rembourser tous les Français qui souscriront à une mutuelle en 2017, serait accordée aux complémentaires de santé, faisant rentrer carrément le renard dans le poulailler de la sécurité sociale.
Pour le médecin non plus, ce n’est pas une aubaine. Car pour être remboursé, il doit démarcher lui-même auprès de la Caisse d’assurance maladie et surtout, des quelques centaines de mutuelles qui sont sur le marché.
Comme l’explique le Dr Emilie Monfort, médecin généraliste à Féchain (Douaisis) : « Quand il y a un souci avec l’assurance maladie, l’acte n’est pas payé. On reçoit un simple avis disant que le lot nº untel est refusé. C’est ensuite au médecin de gérer le problème, comprendre pourquoi le lot est refusé. Cela prend toujours du temps. Pourquoi est-ce ensuite si compliqué pour récupérer son dû, le fruit de son travail ? On est payé à l’acte, 23 € brut sur lesquels on déduit les nombreuses charges. Avec le tiers payant généralisé, je ne sais pas quand je serai réglée. Si j’ai un trou de trésorerie, est-ce que je saurai payer mes charges, mes dépenses courantes ? » A ce jour la majorité des complémentaires tardent à régler la part mutualiste aux assurés bénéficiant du tiers-payant.
A quel titre feraient-elles mieux avec les médecins ?
A-t-on comblé pour autant le « fameux trou de la Sécu » ? Eh non ! En 2015, le déficit prévisionnel du régime général de la sécurité sociale sera de 19 milliards d’euros, contre 15,3 en 2014, que le contribuable se chargera de payer à travers les taxes et impôts.
Le CNR (Conseil national de la Résistance) et le fondateur de l’Assurance maladie Pierre Laroque ont remporté la victoire contre les féodalités de l’argent. Aujourd’hui comme hier, la santé ne doit pas être une marchandise.
# Pierre Picard
• 02/06/2015 - 16:59
Donc on va tout droit vers les dérives du système américain : très cher et pas efficace. Au final seuls les assurances et leurs actionnaires sont gagnants. C’est ça un gouvernement "socialiste" !?
# barranger-adam dominique
• 11/01/2017 - 17:57
Le grand marché de la santé est inscrit dans les traités libéraux européens imposés sous le nom de "constitution européenne", sans que les citoyens européens n’aient eu prise sur ces débats, ni en France ni ailleurs, et sans que la France ait défendu sa culture de santé solidaire au niveau européen... Les gouvernements successifs ne font donc qu’appliquer mesure par mesure pour qu’elles passent mieux une dénaturation complète du système mis en place par le "Conseil de la Résistance".
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# Eric
• 03/06/2015 - 15:21
"...jamais aucun de ces experts ne pointe qu’en 25 ans, 10 % de la richesse nationale est passée des salariés aux dividendes financiers des actionnaires, entraînant une baisse cumulative des cotisations."
Le Réseau Salariat le sait pertinemment. C’est pourquoi il prône la socialisation de tout le PIB. Autrement dit, le peuple français doit récupérer les 40 % du PIB dont se sont accaparés les propriétaires et créditeurs lucratifs. Ensuite, 60 % du PIB doivent être versés aux caisses de salaire qui verseront un salaire à vie aux salariés, 30 % du PIB doivent être versés à la caisse économique qui financera l’investissement et 10 % du PIB seront versés à la caisse de gratuité qui permettra d’obtenir des services publics gratuits.
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