Nos parlementaires débattront et s’exprimeront dans les jours et semaines à venir sur le projet de loi sur la réforme bancaire présentée par Pierre Moscovici en Conseil des ministres le 19 décembre.
Alors qu’il présente ce projet comme « historique », certains banquiers n’ont pas hésité à sabrer le champagne. On les comprend. Pour l’instant ils échappent à un « vrai » Glass-Steagall qui, en coupant les banques en deux, aurait mis fin au « modèle » de leur arme de spéculation massive, la « banque universelle ».
A mille lieues du Glass-Steagall de Franklin Roosevelt, le projet de réforme prétend pouvoir « faire aussi bien », mais « sans aller aussi loin » que de scinder les banques.
Pour cela, Moscovici, et surtout les grandes banques françaises, veulent nous vendre l’idée qu’il est possible de « cantonner », dans une filiale supposée hermétiquement étanche, les activités spéculatives à haut risque. Seulement, la liste des activités à classer dans ladite filiale n’est même pas arrêtée et ce sera aux parlementaires de trancher là où les experts sont en désaccord ou parlent d’impasse juridique.
Pour y voir clair, nous tentons ici de répliquer aux points les plus importants de la première section du projet de loi, celle visant à « Séparer les activités utiles à l’économie des activités spéculatives ». Puisque le diable est dans les détails, il est de la plus haute importance de le regarder en face.
1. Le projet : interdire aux banques de mener des activités de spéculation qui engagent leur propre bilan (activités dites de « compte propre ») sauf à les cantonner dans des filiales strictement séparées de l’entité principale recevant des dépôts du public et soumises à des exigences prudentielles sévères.
Réponse : Le 21 novembre 2012, Alain Papiasse, dirigeant de la Banque de financement et d’investissement (la BFI, qui concentre les activités de marché) de BNP-Paribas avait indiqué devant un parterre de journalistes que le projet de loi n’affecterait que 2 % du produit net bancaire (PNB) de la seule BFI de cet établissement. Ainsi, dans le cas de la BNP-Paribas, alors que l’application minimaliste des recommandations du groupe d’experts européens Liikanen cantonnerait 13 % de son PNB, elle n’en cantonnerait que 0,5 % sous le projet Moscovici, c’est-à-dire 26 fois moins !
2. Interdire aux banques d’être actionnaires d’un fonds spéculatif de type « hedge fund » ou de lui accorder des financements non sécurisés.
On se moque du monde. Connaissez-vous une banque que s’engage dans des « financements non sécurisés » ? Aujourd’hui, tout financement aux hedge-funds est déjà sécurisé ; ils ne seront donc pas prohibés. De surcroît, comment le vérifier dans les paradis fiscaux où les banques françaises disposent de nombreuses filiales et sur lesquels le projet fait l’impasse ?
3. Définir limitativement et encadrer les activités réalisées via le compte propre de la banque et qui peuvent ne pas faire l’objet d’un cantonnement parce qu’elles sont réalisées in fine pour le compte ou dans l’intérêt d’un client (notamment la « tenue de marché ») ;
En rebaptisant une grande partie de leurs opérations spéculatives, y compris pour compte propre, en opérations de « tenue de marché », ces dernières resteront hors de la filiale cantonnée. C’est d’ailleurs comme cela que les banques américaines se sont mises à l’abri de la loi Dodd-Frank. Présentées comme des activités d’investissement sur plus de 60 jours, il ne s’agirait plus de spéculation pour compte propre !
4. Interdire aux filiales cantonnées de mener certaines activités spéculatives comme le trading à haute fréquence (HFT) et les opérations sur les marchés de dérivés de matières premières agricoles.
Le HFT représente 30 à 35 % des transactions réalisées en Europe et 50 à 60 % aux Etats-Unis. Le projet Moscovici interdit aux filiales banque d’affaires de réaliser dans l’avenir « les opérations de négoce à haute fréquence taxables au titre de l’article 235 ter ZD bis du code général des impôts ».
Or, d’après L’Expansion, il s’agit d’« un texte technique qui renvoie lui-même à un décret d’application pris très discrètement pendant l’été par le gouvernement Ayrault pour définir les opérations soumises à la taxe sur les transactions financières. Il ressort de la conjonction de ces deux textes, que sont assujetties à la fameuse taxe les opérations annulant ou modifiant les ordres passés dans un délai de moins d’une demi-seconde, et outrepassant 80 % des ordres passés dans une même journée. Dit autrement, un donneur d’ordre peut éviter cette taxe, et bientôt contourner l’interdiction, en réalisant des opérations toutes les 0,51 secondes - presqu’une éternité sur les marchés boursiers, cela dit - et/ou en s’assurant que 20 % des ordres passés dans une journée ne sont pas annulés ou modifiés ».
A cela s’ajoute le fait qu’aujourd’hui, les activités de haute fréquence sont majoritairement enregistrées comme des activités de... tenue de marché (et resteront donc dans la filiale banque de dépôt) ! Au final, si le gouvernement ne modifie pas son texte, « 80 à 90 % du trading haute fréquence ne sera pas concerné par l’interdiction », estime un analyste indépendant.
Rien que ces quelques points font apparaître que le cadre choisi par la réforme Moscovici devient rapidement une usine à gaz. Et ce n’est pas en introduisant des amendements dans une usine à gaz qu’on en fait un avion.
Seule une vraie séparation bancaire respectant les principes du Glass-Steagall Act que Solidarité & Progrès fait connaître auprès des élus, peut répondre au défi actuel.
Signez sans tarder l’Appel à un Glass-Steagall global.
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