Comme le rapporte un article de La Tribune dont nous reprenons des extraits, le sénateur RDSE Pierre-Yves Collombat, dans un rapport de prospective sur les risques d’une nouvelle crise, dix ans après celle des subprimes, estime que tous les ingrédients d’une nouvelle crise sont réunis.
Parmi les mesures impératives pour y faire face, le sénateur, comme Jacques Cheminade le préconise depuis des années, appelle à la séparation réelle des activités de banque de dépôts et d’affaires et une modification des circuits de financement des PME à partir de l’épargne régionale.
« Tous les ingrédients d’un nouveau krach sont réunis »
Par Delphine Cuny, La Tribune, 2 mars 2017.
A l’heure où les principales banques françaises viennent de dévoiler des bénéfices annuels 2016 solides, revenus largement au-dessus des niveaux d’avant la crise, malgré des taux d’intérêt très bas qui pincent leurs marges, le sénateur Pierre-Yves Collombat a présenté ce mercredi son rapport d’information intitulé « Une crise sans fin : quand l’Histoire bégaie ».
Le sénateur RDSE (ex-radicaux de gauche) du Var s’y penche sur « les possibilités de réédition d’un nouveau krach financier, presque dix ans après la crise ouverte en 2007 et à ce jour non terminée ».
Sa conclusion est pessimiste : la probabilité « technique » d’une crise d’une ampleur équivalente « n’a pas diminué, bien au contraire. Tous les ingrédients d’un nouveau krach sont réunis », a-t-il déclaré aux sénateurs le 9 février lors de l’adoption de son rapport.
Ce n’est cependant « pas le scénario le plus probable » à ses yeux. Cet agrégé de philosophie redoute avant tout des « émeutes électorales » engendrées par la crise économique, qui provoqueraient un nouveau krach.
La banque universelle sur la sellette
Cette approche résolument politique est sans doute le point faible de ce rapport qui apporte assez peu de propositions concrètes pour prévenir une nouvelle crise financière et bancaire. Pierre-Yves Collombat suggère tout de même « quelques réformes sectorielles susceptibles de sécuriser durablement le système financier européen, ce qui éviterait d’avoir à intervenir en catastrophe ».
Et une prioritaire :
Il faut absolument une vraie séparation des activités de banque de dépôts et de banque d’affaires, ainsi les dépôts serviraient exclusivement à l’émission des prêts. Si on ne le fait pas, on peut spéculer avec les dépôts et avec les crédits que peuvent les dépôts,
a développé le sénateur mercredi lors d’une rencontre avec la presse.
Il y a bien eu une loi de séparation bancaire en juillet 2013, dans la continuité des promesses du candidat Hollande sur la « finance ennemie », qui a été largement vidée de sa substance.
BNP Paribas et Société Générale ont filialisé leurs activités de trading et cela n’a pas changé grand-chose. Au niveau européen aussi, le projet de Michel Barnier a été enterré sous la pression des lobbys.
Les banques françaises en particulier étaient vent debout contre cette réforme mettant à mal leur modèle de banque universelle (tous les métiers sous la même ombrelle) présenté comme plus résilient. Force est de constater que ces six derniers mois les activités de marchés des banques françaises, en pleine forme, mais aussi l’assurance et la gestion d’actifs, ont permis de compenser la faiblesse dans la banque de détail à cause de renégociation de prêts immobiliers.
Lire la suite sur le site de La Tribune.
Extrait du rapport Une crise en quête de fin - Quand l’Histoire bégaie :
Ce pourrait être une obligation de morale politique
L’un des moyens les plus efficaces de réduire la taille des banques et d’éviter le chantage à l’intervention de l’État en cas de faillite au nom du sauvetage des déposants, c’est de séparer banques de dépôts et banques d’affaires. Comme le dit crûment Maurice Allais : « il faut empêcher les banques de spéculer avec l’argent qu’elles créent comme il faut empêcher les filiales des banques ou les fonds d’investissement de spéculer avec de l’argent prêté par les banques. On n’empêchera jamais la spéculation mais il faut que les spéculateurs spéculent avec leur argent, pas avec celui des autres. » Autrement dit, il faut supprimer la garantie publique au casino bancaire, garantie qui lui permet par ailleurs de s’endetter à un coût inférieur à celui des établissements non systémiques.
Il faut empêcher la confusion entre la gestion prudente des banques de dépôts pour assurer la sécurité des fonds qui leur ont été confiés et la gestion « active », pour ne pas dire risquée, d’établissements dont le but est l’enrichissement, au prix du risque, de leurs clients. Il faut empêcher les conflits d’intérêts qui naîtront de cette dualité d’objectifs.
Des établissements bancaires plus petits, aux activités spécifiques bien distinguées, c’est aussi plus de transparence et de meilleurs contrôles. Accessoirement, c’est réduire le besoin de fonds propres des banques de dépôts dont les activités sont moins risquées, les bilans plus transparents et donc réduire pour eux le risque infondé d’illiquidité. C’est raréfier les occasions d’embolie du réseau interbancaire.
Il est significatif que le Banking Act ou Glass-Steagall Act, du nom du sénateur Carter Glass et du représentant Henry Steagall qui défendirent la loi au Congrès, fut la toute première mesure importante de Roosevelt après son arrivée à la Maison-Blanche en mars 1933. Adoptée par la Chambre des représentants à 262 voix contre 19 et par acclamation au Sénat, la loi Glass-Steagall sera signée dès le 16 juin 1933 par le Président Roosevelt. Elle instituait une incompatibilité rigoureuse entre les activités de banque de dépôts (commercial banking) et celles de banque d’affaires (investment banking). Une banque de dépôts ne peut posséder une banque d’affaires ni, inversement, une banque d’affaires posséder une banque de dépôts. Une banque de dépôts ne peut acheter, vendre ou négocier des titres financiers, ni une banque d’affaires accepter des dépôts. Le but est de protéger les dépôts, d’empêcher la spéculation à partir de dépôts, pratique alors mise en évidence par la commission des affaires bancaire et monétaire du Sénat. Particulièrement concernée, la banque d’affaires new-yorkaise Goldman Sachs.
Un fonds fédéral de garantie des dépôts bancaires sera par ailleurs créé. L’État fédéral garantit les dépôts bancaires individuels, intégralement jusqu’à 10 000 dollars, à 75 % entre 10 000 dollars et 50 000 dollars, 50 % au-delà.
Au terme de plusieurs tentatives, il sera définitivement mis fin au Glass-Steagall Act sous la présidence Clinton en 1999. Les banquiers d’affaires pourront de nouveau utiliser les dépôts de leurs clients pour investir et spéculer sur les marchés.
Sur ce chapitre, plus moderne que les États-Unis, la France reviendra dès 1984 sur la séparation entre banques de dépôts et d’affaires via la loi bancaire. Il lui faudra cependant une dizaine d’années pour voir le triomphe du modèle de « banque universelle » qui en sera l’aboutissement.
Les illusions perdues
La crise de 2007-2008 faisant apparaître les conséquences du privilège accordé aux banquiers de pouvoir spéculer avec l’argent des déposants, la question de la séparation des catégories de banques redevient d’actualité. Le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría, fait remarquer : « Comme nous l’avons d’abord proposé au sommet du G20 en 2009, la séparation de la banque commerciale de celle des activités de titres, notamment celle des produits dérivés, est essentielle pour éviter l’interfinancement des prises de risque excessives liées au phénomène du too-big-to-fail. » Mais, comme d’ordinaire, devant l’opposition du lobby bancaire, on complexifiera le problème pour éviter de le régler vraiment.
Trois solutions étaient possibles :
- la seule vraiment efficace, la séparation totale. Personne n’en voudra ;
- la holding coiffant deux entités distinctes, ce à quoi revient la solution britannique, solution qui maintient un lien financier entre banque de dépôts et banque d’investissement ;
- la solution européenne du transfert à une filiale des activités jugées spéculatives ou, selon la loi française de séparation bancaire, des activités qui « ne sont pas utiles à l’économie ». Dans ce cas, non seulement les liens sont maintenus mais l’efficacité du dispositif dépend de la nature et du volume de ce qui sera transféré. En l’espèce, pas grand-chose.
Les premiers à réagir et à le faire sérieusement ont été les Britanniques particulièrement échaudés par la crise qui coûtera au final 67 milliards de livres sterling (120 milliards de livres sterling au départ) à l’État et à la Banque d’Angleterre. Leur système sera réorganisé sur deux points : réforme de la régulation et surtout, à la suite du rapport Vickers (2011), la séparation à horizon 2019 des activités liées aux dépôts et celles d’investissement. Il ne s’agit donc pas d’une séparation des établissements selon leurs activités mais, à l’intérieur d’un même établissement, de la séparation des activités.
La solution étasunienne, en passe de mourir étouffée sous le papier, était nettement plus light. « Était » car il semble que Donald Trump veuille mettre fin au « Dodd-Frank Act » adopté en juillet 2010. Ce qui nous dispensera de rentrer dans les détails. S’il faut y voir évidemment le pouvoir du lobby bancaire, force est aussi de constater que comparativement à la Grande-Bretagne et à la France, le système bancaire étasunien est nettement moins oligo-monopolistique, donc moins vulnérable à la faillite de l’un de ses constituants.
Quant à la solution européenne, après un départ brillant avec le rapport Liikanen et le projet de réforme de Michel Barnier alors commissaire européen, on l’attend toujours. Entre autres mesures, le projet Barnier interdisait aux banques de dépôts de spéculer pour leur propre compte sur les produits financiers s’échangeant sur les marchés (actions, obligations, produits financiers complexes...), ainsi que sur les matières premières. Il donnait le pouvoir aux autorités de contrôle d’imposer le cantonnement, dans une filiale séparée, des activités de marché jugées à hauts risques pour le compte de tiers : négoce de produits dérivés complexes, l’essentiel des opérations de titrisation, « tenue de marché » (nécessaire à garantir la liquidité des produits achetée, autrement dit garantie de pouvoir les revendre). La réforme est toujours bloquée au Parlement européen.
La « banque universelle » fait de la résistance
Défendant bec et ongle son modèle de « banque universelle », la France ne sera pas pour rien dans cet enlisement du projet européen. Prenant les devants, elle adoptera un placebo sous le nom de loi de « séparation et de régulation des activités bancaires », un projet qui pourtant visait rien moins qu’à « remettre la finance au service de l’économie réelle ». Présentée à la fin de 2012 au Parlement par Pierre Moscovici, la loi sera publiée le 27 juillet 2013.
Poser ainsi le problème, c’était vider dès le départ la réforme de tout contenu. Tout simplement parce que, le système bancaire de la France étant une pièce essentielle de son économie (rôle, poids économique, emploi), tout ce qui est bon pour lui est forcément bon pour la France et parce que toutes les activités financières peuvent être utiles ou spéculatives selon l’usage qu’on en fait, voire sont toujours à deux faces.
Comme prévu, au final, les activités devant être filialisées ne représentent pas grand-chose : 1 % des revenus de la Société Générale, reconnaît Frédéric Oudéa, son P-DG, lors de son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale, à la surprise des députés présents et de la rapporteure du projet, Karine Berger, persuadés de son caractère avant-gardiste. Ne sont concernés ni les prêts aux hedge funds, ni le trading haute fréquence, ni les opérations sur produits dérivés. « Avec la définition que le projet de loi donne du market making, les positions sur produits dérivés de crédits qui ont entraîné la faillite de la banque AIG à Paris auraient été qualifiées d’utiles » juge le secrétaire général de Finance Watch de l’époque, Thierry Philipponnat, lors de son audition à l’Assemblée nationale le 5 février 2013.
Selon Christophe Nijdam :
Sur une banque spécifique comme la BNP, Liikanen aurait séparé 13 % des activités en termes de produit net bancaire (chiffre d’affaires d’une banque). La proposition, qui est entrée en vigueur de M. Moscovici, prévoyait 0,5 % du chiffre d’affaires, par rapport à l’activité totale. Le projet français était beaucoup moins ambitieux que le projet européen, vingt-six fois moins ambitieux dans le cas d’espèce.
Encore une fois, rien d’étonnant puisque l’essentiel était de préserver le modèle de « banque universelle » patiemment et opiniâtrement construit depuis la loi de 1984 et qui devait assurer à la France une place de premier plan en Europe, faute d’un appareil industriel aussi puissant que celui de l’Allemagne.
Ce qui m’a encore plus marqué, nous dira Gunther Capelle-Blancard lors de son audition, c’est l’argument selon lequel le secteur financier allait devenir une spécialité de la France, non pas juste parce qu’il s’agit d’activités à forte valeur ajoutée, donc que c’est très rémunérateur, mais parce que c’est non polluant, c’est formidable, c’est "très créatif".
Dominé par les « grands corps », pratiquant intensément le « revolving doors » entre les sommets de l’État et ceux de la haute finance, un aussi bel outil de pouvoir et de carrière devait être à tout prix conservé.
Ce choix politique essentiel ne pouvait être remis en cause, quels qu’en soient les risques et les interrogations - de plus en plus nombreuses - sur l’efficacité réelle de ce modèle bancaire « made in France ».
D’où les propos politiquement incorrects, inhabituels dans la bouche d’un des gardiens du temple, rappelés en exergue. Christian Noyer récidivera d’ailleurs dans un entretien au nouveleconomiste.fr : « Je suis absolument convaincu, certain, que la séparation est une fausse bonne idée. C’est une idée qui ne résout rien et qui crée des risques considérables pour le financement de l’économie, donc pour la croissance. »
Suit un long plaidoyer qui aurait été plus convainquant s’il avait apporté une réponse au problème posé par un système aussi oligopolistique : l’existence de liens si nombreux et si entremêlés entre des établissements d’une telle taille que l’un ne peut tomber sans entraîner les autres.
Conclusion de Jézabel Couppey-Soubeyran : « Cette loi bancaire ne satisfait ni les partisans de la séparation ni les plus réticents. Il ne faut pas seulement se contenter d’isoler les activités spéculatives utiles au financement de l’économie, il faut les décourager. »
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