par Christine Bierre
Trois minutes, c’est le temps qu’il aurait fallu à un missile nucléaire soviétique ou américain de portée intermédiaire pour frapper les populations européennes dans les années 1970-1980.
Aujourd’hui, les décisions prises par les Etats-Unis feront des Européens et des Asiatiques les nouveaux otages de la guerre nucléaire.
Le 2 août, les Etats-Unis ont confirmé leur sortie du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), signé en 1987 avec l’Union soviétique. Ce traité interdisait la construction et le déploiement d’armes nucléaires basées au sol, d’une portée de 500 à 5 500 km. Suite au retrait américain, la Russie a fait de même.
Constituant l’un des trois piliers du contrôle des armements nucléaires dans le monde, avec le Traité ABM contre la défense anti-missile de 1972 et le traité START encore en vigueur pour le contrôle des missiles nucléaires de longue portée, le trait FNI est pourtant l’un des rares à avoir prouvé son efficacité. Presque 2 692 armes de ce type ont été détruites suite à cet accord.
Rappelons les enjeux. En 1977, au plus fort de la Guerre froide, les Soviétiques déployaient sur leur territoire des missiles SS20 de portée intermédiaire. Le territoire des Etats-Unis était hors d’atteinte, mais pas celui de leurs alliés européens, premiers menacés par ces armes ! Face aux craintes des Européens, les Etats-Unis ripostèrent en déployant leur propre missile Pershing II en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et au Royaume-Uni. Une mobilisation massive des citoyens, en Allemagne notamment, mais aussi dans les autres capitales européennes, avait alors obligé les Etats-Unis et l’URSS à battre en retraite et à signer, en 1987, l’accord FNI.
Derrière le rideau de fumée
Malheureusement, 30 ans après, retour à la case départ ! De part et d’autre, on se renvoie la balle : les Etats-Unis accusent la Russie d’avoir construit un missile 9M729 en violation de cet accord ; la Russie leur reproche le déploiement à ses portes, en Roumanie et en Pologne, du système anti-missiles Aegis Offshore, dont les missiles « intercepteurs » peuvent être équipés de tête nucléaire.
Cette fois-ci, selon Donald Trump et son nouveau ministre de la Défense, Mark Esper, c’est surtout la Chine qui serait visée. Soupçonnée d’avoir privilégié ce type d’armes, elle n’est pas partie prenante du Traité FNI, et Trump chercherait à négocier un nouveau traité, à trois, sur ces armements. Il tentera sans aucun doute d’utiliser ce point pour diviser le front uni constitué par la Russie et la Chine ces dernières années, en jouant sur le fait que les missiles chinois représentent aussi une menace pour le flanc sud de la Russie.
La Chine, de son côté, a toujours refusé de faire partie du traité, en raison du déséquilibre très grand entre ses propres missiles nucléaires et ceux détenus par les Américains et les Russes. Aussi, comme elle vient de le souligner dans son Livre Blanc sur la défense paru en juillet dernier, sa stratégie militaire est strictement « défensive ». Comme la France, elle cherche à développer le strict nécessaire pour assurer sa défense – pas au-delà.
L’Indo-Pacifique en ligne de mire
Le 18 août, ce sont bien les Etats-Unis qui ont procédé au premier test de missile de l’ère post-traité FNI, un missile de croisière de type Tomahawk hypersonique à tête conventionnelle. Ils n’ont pas pu le construire en deux semaines, direz-vous ! Déjà en 2018, le Congrès avait alloué des fonds à cet effet…
Que cherchent-ils ? Mark Esper, qui forme désormais un trio de néoconservateurs avec Mike Pompeo, secrétaire d’Etat, et John Bolton, conseiller à la Sécurité nationale, a profité de son premier voyage en Asie, le 3 août, pour faire ses premières déclarations fracassantes à l’encontre de Beijing.
Ce voyage a pour objet, a-t-il annoncé d’emblée, de « réaffirmer l’engagement [des Etats-Unis] dans la région, rassurer nos alliés et nos partenaires ». Les Etats-Unis souhaiteraient déployer « le plus tôt possible », de nouvelles armes conventionnelles de portée intermédiaire en Asie. La cible ? La Chine : « 80 % de son arsenal est composé d’armes de type FNI. Cela ne devrait pas la surprendre que nous voulions des capacités similaires. »
Concernant l’échéance, il répond : « Je préférerais compter en mois plutôt qu’en années. » Quant au pays qui pourrait abriter ces missiles : « Nous n’en sommes pas encore là. Il faudra encore quelques années. » L’île de Guam, propriété des Etats-Unis, serait le choix évident. Hors de question, répond Beijing, car Guam est « aux portes de la Chine ».
Clairement, après le Moyen-Orient, le nouveau théâtre de guerre pour les Etats-Unis, c’est l’Indo-Pacifique. Le futur chef d’état-major, Mark Miley, a déclaré au Sénat qu’il serait favorable au déploiement de missiles terrestres conventionnels de portée intermédiaire dans cette région. Cela s’ajoute, bien sûr, au théâtre européen, où les Etats-Unis comptent déployer leurs nouveaux missiles contre la Russie.
Réactions russe et chinoise
Fu Cong, directeur général du contrôle des armements au ministère des Affaires étrangères chinois, est monté au créneau :
Si les Etats-Unis devaient déployer des missiles Tomahawks de moyenne portée dans cette région du monde, la Chine ne resterait pas les bras croisés et serait dans l’obligation de prendre des mesures de rétorsion.
Il a aussi lancé un avertissement voilé aux alliés des Etats-Unis dans la région, soulignant que cette perspective « n’irait pas dans le sens de leurs intérêts ».
De son côté, Vladimir Poutine, qui avait promis de ne déployer de missile FNI que si les Etats-Unis le faisaient les premiers, a ordonné le 23 août aux ministres russes de la Défense et des Affaires étrangères « d’analyser le niveau de menace créé pour notre pays par les actions des Etats-Unis et de prendre des mesures exhaustives pour préparer une réponse symétrique ».
Compétiteurs, rivaux, ennemis…
La réalité est qu’ en étendant leurs forces militaires jusqu’aux portes de la Russie et en mer de Chine, et en voulant pousser leur avantage jusqu’à faire imploser ces pays (révolutions de couleurs en Ukraine et à Hong Kong), les « vainqueurs » de la Guerre froide – le parti de la guerre à Londres et à Washington – ont recréé les conditions d’un conflit planétaire.
# donas
• 09/07/2020 - 22:52
Je ne pense pas que les Etats Unis veuillent partir en une guerre qu’il sont bien incapable de soutenir. Ce n’est que mascarade qui toutefois peut devenir la guerre qu’il ne fallait surtout pas faire. Malheur à l’humanité.
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