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- De gauche à droite : l’ancien commissaire européen Sir Leon Brittan, le député libéral Cyril Smith et Margaret Thatcher.
Lancée en 2014, l’opération « Hydrant » regroupe plusieurs enquêtes menées simultanément en Angleterre, au pays de Galles, en Irlande du Nord, et en Ecosse sur une série de scandales pédophiles, jusque-là restés tus, voire couverts. Elle est menée par le conseil national des chefs de police (NSPCC) et coordonnée depuis 2014 par le chef de la police de Norfolk, Simon Bailey. [1]
Les chiffres fournis par Bailey font froid dans le dos. L’enquête en cours a permis d’identifier 1433 suspects du monde politique, de l’Église anglicane ou du showbiz. Parmi eux, 261 VIP’s, c’est-à-dire des hautes personnalités, dont 76 politiciens, 43 personnes du milieu de la musique, 135 du cinéma ou de l’audiovisuel, 7 du sport. Sur les suspects identifiés, quelques personnalités sont déjà inculpées comme Rolf Harris, acteur et réalisateur, Gary Glitter, chanteur, ou encore Max Clifford, journaliste. 216 des suspects sont décédés.
Le 20 mai, Bailey a prévenu que les victimes pourraient se compter en centaines de milliers ! Le nombre de dénonciations a augmenté de 71 % depuis 2012 et la police s’attend à 116 000 plaintes en 2015.
Cette hausse est consécutive au scandale Jimmy Savile. Un an près la mort en 2011 de ce présentateur vedette de la BBC, ami proche de Margaret Thatcher, un documentaire révélait au monde que pendant des décennies, il avait abusé de plusieurs centaines de mineurs. Pour Scotland Yard, Savile a été « l’un des plus grands prédateurs sexuels » de mineurs de l’histoire anglaise.
Des centaines d’établissements ont été identifiés par les victimes dans le cadre de l’opération Hydrant : parmi elles, 154 écoles, 54 établissements pour enfants, 40 institutions religieuses et 14 établissement médicaux, énumère le Guardian.
Même le palais de Buckingham - où un ancien employé personnel du duc d’Edimbourg est soupçonné d’avoir commis un attentat à la pudeur sur une fillette de 12 ans - n’est pas épargné. Aucune institution n’est à l’abri.
L’autre cas qui a frayé la chronique, c’est celui du député Cyril Smith, un colosse de 185 kg et figure populaire du parti libéral et ami de Jimmy Savile. L’une de ses activités favorites consistait à écumer les foyers d’enfants défavorisés de sa circonscription. Au fil des années, près de 144 plaintes ont été déposées contre lui, toutes classées sans suite, malgré les photos pédopornographiques retrouvées dans le coffre de sa voiture. Cyril Smith est mort en 2010, sans jamais avoir été inquiété par la justice.
Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume de Sa Majesté ?
Comment tout cela a pu prendre une telle dimension sans une protection du sommet ? Les journaux les plus sérieux s’interrogent et enquêtent. Des députés d’opposition ont interpellé le Premier ministre David Cameron à la Chambre des Communes.
Le scandale a convaincu les Britanniques de l’existence d’un réseau au sein même du Parlement de Westminster et du gouvernement qui, dans les années 1980 et 1990, aurait intrigué dans l’ombre pour couvrir ce que les tabloïds appellent désormais « les VIP pédophiles ».
Cette hypothèse est confortée du fait que 114 documents liés à des abus sur enfants - commis, entre autres, par Cyril Smith avaient disparu des archives. A ce jour, le Home Office n’a toujours pas expliqué comment ces documents ont pu se perdre dans les méandres de son administration.
L’auteur de ces documents ? Un certain Geoffrey Dickens, ex-député conservateur aujourd’hui décédé et militant de la protection de l’enfance. En 1983, il aurait consigné noir sur blanc - dans un rapport officiellement transmis au ministre de l’Intérieur, sir Leon Brittan (un autre protégé de Thatcher et futur commissaire européen et vice-président de la Commission européenne) - les méfaits de Cyril Smith mais aussi ceux de sept autres parlementaires.
Tous fréquentaient Elm Guest House, une maison de rendez-vous du sud-ouest de Londres, où des jeunes hommes prostitués étaient livrés par chauffeur pour des parties fines. Certains élus militaient activement pour le groupe « Paedophile Information Exchange » qui préconise la légalisation de l’inceste et des relations sexuelles avec les mineurs. La police était au courant de ce qu’il s’y passait.
Or, Leon Brittan, qui est décédé en janvier 2015, est soupçonné d’avoir violé une femme et d’avoir abusé sexuellement de jeunes garçons. Bien qu’il ait nié les accusations, la police continue les enquêtes après sa mort.
Impunité ?
Pourquoi une telle impunité ? Le Daily Mail vient de confirmer ce que la presse soupçonnait depuis longtemps : la chef du gouvernement Margaret Thatcher (1979-1990) avait été personnellement informée du fait que la police enquêtait sur des accusations de pédophilie impliquant des députés et des hauts responsables politiques dans les années 1970-1990.
Le journal s’appuie notamment sur une lettre non datée et estampillée « secret », qui prévenait explicitement le premier ministre que l’attribution en 1988 du titre de chevalier au député Cyril Smith, « risquait de nuire à l’intégrité du système de distinctions honorifiques ». Thatcher a pourtant décidé de distinguer le député libéral-démocrate, comme nous l’avons dit, mort en 2010 sans jamais avoir été inquiété.
Un système de gestion impériale
Si cela donne l’impression que l’Angleterre a vécue pendant trente ans dans une situation de déni, la réalité est tout autre.
Tim Fortescue, un ancien chef du parti conservateur, lors d’un entretien avec la BBC en 1995 raconte que lorsque la police découvrait l’implication d’une haute personnalité dans un scandale d’argent, de dette ou d’abus sexuels, elle faisait appel à des gens comme lui pour de l’aide.
Et si on le pouvait, on le faisait. On faisait tout ce qu’on pouvait car ainsi on collectait des ‘brownie points’ (des « points bruns »). Cela sonne comme une raison assez vilaine, mais une des raisons c’était que si on pouvait empêcher que le type ait des ennuis, il ferait tout ce qu’on lui demanderait par la suite.
Dans un article publié par The Daily Beast, Nino Hines écrit :
Il existe de plus en plus de preuves que le MI5 et le MI6 [2], les services de renseignements anglais, avaient la même approche et ont été accusés à plusieurs reprises d’avoir bloqué les enquêtes sur l’affaire d’abus sexuels commis dans le centre pour enfants de Kincora en Irlande du Nord afin de préserver son opération de collecte d’informations.
Hines poursuit :
Peter Hayman, qui a été directeur adjoint du MI6 et haut commissaire au Canada, était apparemment lui-même un pédophile et a été dénoncé en tant que tel par le parlementaire Geoffrey Dickens. En 1978, Hayman fut pris en possession de matériel explicite, mais ne fut jamais inquiété. Des archives découvertes cette année ont démontré que le ministre de la Justice à l’époque ne pensait pas que cela aurait servi l’intérêt général d’inculper Hayman. Mme Thatcher donna l’ordre de soustraire sa dépravation des regards de l’opinion publique.
Thatcher ne pouvait pas ignorer ce qui se disait de son ministre de l’Intérieur Leon Brittan, puisque Private Eye (équivalent anglais du Canard Enchaîné en France) avait amplement déballé les rumeurs sur Brittan. Aussi son garde du corps, Barry Stevens, déclare aujourd’hui qu’il l’avait informé des comportements d’un de ses lieutenants les plus fidèles, Sir Peter Morrison qui lui aussi abusait de jeunes garçons. Thatcher ne l’a pas écouté et a nommé Morrison pour diriger sa campagne de réélection en 1990.
A plusieurs reprises donc, des voix se sont levées en Angleterre pour dénoncer ces pratiques, mais chaque fois elles furent étouffées par des interventions d’en haut. Ce culte du secret, comment pourrait il en être autrement, a paralysé le système judiciaire britannique et dissuadé les victimes de porter plainte contre les puissants qui les abusaient.
Le député travailliste Lord Janner
Alison Saunders, du ministère de la justice, a annoncé qu’il « existait suffisamment de preuves pour poursuivre l’ancien député travailliste Lord Grenvelle Janner of Braunstone pour des actes pédophiles contre neuf enfants ».
Reconnaissant implicitement que les enquêtes antérieures furent sabotées, Saunders a confié aujourd’hui que le député travailliste Lord Janner « aurait du être inculpé suite à trois enquêtes de police qui ont eu lieu auparavant ».
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- Avec son esprit hyperpuissant, le magicien israélien Uri Geller arrive à tordre les cuillères sans les toucher... Ici lors d’une démonstration pour son ami Lord Janner.
Janner, qui a été le vice-président du Congrès juif mondial, dispose incontestablement d’amis puissants, qu’il s’agit du magicien israélien Uri Geller ou de Tony Blair qui l’a ennobli en 1997 (alors que Janner avait été mis en cause pour pédophilie en 1992) à la suggestion de l’ancien commissaire européen du marché intérieur Peter Mandelson et de Gordon Brown.
Selon certaines sources, le dossier sur Janner figure parmi les 114 dossiers qui ont disparu au Ministère de l’Intérieur...
Seulement, dit Saunders, « aujourd’hui, un tel procès ne fait plus de sens, puisqu’il souffre d’une telle démence qu’il serait incapable d’assister au procès ». Janner serait frappé depuis 2009 de la maladie d’Alzheimer et aurait besoin d’une aide médicale permanente. Pourtant, le 9 avril, il a répondu avec une lettre signée de sa main à une demande d’information sur sa retraite envoyée par le House of Lords.
Le député travailliste John Mann se dit « surpris qu’un homme qui est capable d’envoyer une lettre pour régler ses affaires, soit considéré comme trop dément pour comparaître devant le tribunal ». Depuis 2009, en outre, Lord Janner a participé à plusieurs dizaines de réunions à la Chambre des Lords…
Tout cela renforce le sentiment que Janner est protégé par l’establishment. Depuis cinq ans, 19 hommes frappés de démence ont été jugés par les tribunaux anglais pour abus sexuels et dix d’entre eux furent condamnés depuis un an.
Le scandale atteint un tel niveau que même Lord Mountbatten — l’ancien vice-roi des Indes et « tuteur » intellectuel du Prince Charles —avant son assassinat attribué à l’IRA– se trouve aujourd’hui accusé d’avoir couvert des actes de pédophilie voire d’y avoir participé.
[1] Les informations rassemblées dans ce texte proviennent des média britanniques qui, en raison de débats très violents à l’intérieur de l’oligarchie, multiplient aujourd’hui les révélations justifiées et les coups bas. La violente querelle opposant Tony Blair – l’homme politique le plus haï du peuple anglais – et Jim Corbyn, candidat à la direction du Labour Party et partisan du Glass-Steagall Act, est le dernier épisode de ce combat. A noter que Tony Blair, après Margaret Thatcher, a été le « protecteur » de Lord Janner et de Leon Brittan. Ce dernier, aujourd’hui décédé, était l’ennemi personnel d’Helga Zepp-LaRouche et le plus violent critique du concept d’une Nouvelle route de la soie.
[2] Les services de renseignement britanniques sont connus pour pratiquer ce qui s’appelle dans le langage des professionnels, le « piège à miel » (Traduction un peu maladroite de "honey trap" qu’il faudrait traduire comme "piège à chéri"). Il s’agit de monter une affaire de mœurs contre telle ou telle personnalité que les services souhaitent discréditer, faire rentrer dans le rang ou instrumentaliser. Un usage vieux comme le monde mais qui relève plutôt des méthodes des régimes autoritaires (Inquisition, Venise, KGB, FBI, etc.) que celle d’une démocratie parlementaire.
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