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- Henri Germain (1824-1905), fondateur du Crédit Lyonnais. Bien avant le Glass-Steagall Act de 1933, la doctrine Germain estimait déjà qu’une séparation stricte entre les banques de dépôts et les banques de marché était nécessaire.
- Crédit : Wikipedia Commons
Couper les banques en deux. Plus que jamais, le sujet hante les esprits et comme le montre une série de cinq articles publiée par La Tribune, en coulisse, ça discute fort !
Pourtant, officiellement, le dossier est clos. La pseudo-réforme bancaire de Moscovici de 2013 oblige les grandes banques françaises à placer dans une filiale les activités de négoce (trading) pour compte propre, c’est-à-dire moins de 2 % de leurs activités.
Rappelons que suite à la campagne intense de Solidarité & Progrès et du candidat présidentiel Jacques Cheminade, le candidat François Hollande avait reconnu dans sa lettre du 13 octobre 2011 à Arnaud Montebourg pour le rallier à sa campagne, qu’outre l’interdiction pure et simple aux banques des « activités spéculatives les plus risquées, qui ne contribuent pas au bien-être collectif » :
La séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement est in fine la meilleure garantie que les banques cessent d’utiliser les comptes courants de leurs clients à des fins spéculatives.
Quatre mois plus tard, le 22 janvier 2012, lors du fameux discours du Bourget, Hollande opérait un premier glissement sémantique. Hollande ne parlait déjà plus d’une séparation des banques elles-mêmes, mais d’une séparation… des activités bancaires, c’est-à-dire l’activité de la collecte des dépôts et celle de marché, mais au sein d’un même établissement.
Ensuite, avant sa capitulation en rase campagne devant un lobby bancaire ultra-puissant, Hollande évoquait uniquement la séparation entre activités bancaires « utiles à l’économie » et celles qui ne le sont pas. Évidemment, tout banquier vous dira que toute activité lui permettant de gagner plus d’argent peut augmenter sa capacité à investir et est donc forcément utile à l’économie…
La doctrine Germain
Pour sa part, La Tribune, en faisant l’historique du monde bancaire français depuis le XIXe siècle, démontre que le débat sur la « spécialisation » (banques séparées) et la « dé-spécialisation » (banque « universelle ») a marqué toute son histoire.
Bien avant la loi Glass-Steagall américaine de 1933, affirme La Tribune, une séparation stricte entre banques de dépôt et banques d’affaires avait vu le jour en France.
L’auteur rappelle d’abord que les premières grandes banques françaises, Crédit Lyonnais (1863), Société Générale (1864) et Union Générale (1878), ont été créées sur le modèle du Crédit Mobilier (1852), une véritable banque « à tout faire », fondée par les frères Pereire sous la protection de Napoléon III.
Cependant, tout change en 1882 lorsque la faillite de l’Union Générale, décrite par Emile Zola dans L’argent, provoque l’effondrement de la Bourse parisienne et fait trembler le Crédit Lyonnais sur ses fondations. Son directeur, Henri Germain, est alors terrorisé par la possibilité que du jour au lendemain des milliers de déposants puissent retirer leur argent dans un mouvement de panique (bank run). Selon La Tribune :
Il [Henri Germain] tire de l’événement la leçon suivante : la durée des engagements d’une banque doit correspondre à celle de ses ressources. Autrement dit, une banque qui collecte des dépôts à vue – susceptibles d’être restitués à n’importe quel moment à ses clients – doit se cantonner à des engagements de court terme, inférieurs à un an.
En conséquence, du jour au lendemain, à partir de 1882 et contrairement à sa vocation initiale, le Crédit Lyonnais s’abstient de toute prise de participation dans le secteur de l’industrie car Henri Germain estime que
Les entreprises industrielles, même les mieux conçues, même les plus sagement administrées, comportent des risques que nous considérons comme incompatibles avec la sécurité indispensable dans les emplois de fonds d’une banque de dépôt.
Le coup d’Etat des banques d’affaires
Du coup, le financement à long terme, de l’industrie, tombe dans les mains… des banques d’affaires, telles que la Banque de Paris et des Pays-Bas, la Banque de l’Indochine ou la Banque de l’Union parisienne qui, elles, se financent à long terme en émettant des obligations.
Pour La Tribune, « ce principe de séparation des activités de banque de détail de celles de financement et d’investissement, baptisé doctrine Germain, sera progressivement appliqué par l’ensemble des banques françaises, et ira jusqu’à inspirer aux Etats-Unis le fameux Glass-Steagall Act de 1933 », avant d’être repris en France dans la Loi du 2 décembre 1945, qui divise le secteur bancaire en trois catégories bien distinctes :
- des banques de dépôt qui perdent le droit d’octroyer des crédits à plus de deux ans ou de détenir plus de 10 % du capital d’une entreprise ;
- des banques d’affaires qui, elles, peuvent consentir des crédits sans limitation de durée et investir tant qu’elles le veulent dans des entreprises ;
- des banques de crédits à moyen et long terme qui doivent octroyer des crédits à plus de deux ans, à condition de bénéficier de ressources d’une durée au moins équivalente.
Marquant la rupture avec les Trente glorieuses, c’est avec les décrets Debré-Haberer de 1966 et 1967 et surtout avec la Loi du 24 janvier 1984 permettant la création de « banques universelles », que Jacques Delors va enterrer la doctrine Germain en France. En 1996, le Crédit agricole acheta la banque d’affaires Indosuez ; en 1998, Banques Populaires acheta la banque d’affaires Natixis ; et Banque nationale de Paris (BNP) fusionna en 2000 avec la Banque de Paris et des pays Bas pour former « BNP Paribas ».
Ce qu’oublie de préciser La Tribune, c’est que la séparation ou la non-séparation des banques, réduite à une question purement technique, est un problème insoluble. Car ce qui garantit la solidité des crédits, la sécurité des dépôts et la valeur de l’argent, ne se réduit pas à l’épaisseur des parois des coffres forts dans lesquels on les protège.
Seule une politique de « crédit productif public » organisée entre États-nations souverains, disposant de vraies banques centrales et engagés dans une politique de développement mutuel orienté vers « l’équipement de l’homme et de la nature » (éducation, santé, infrastructures, etc.), donne de la valeur à ce qui autrement ne seraient que des bouts de papier.
C’est ce qu’avait bien compris le premier secrétaire au Trésor américain Alexander Hamilton, dont s’inspira en 1933 le président américain Franklin Roosevelt pour forger sa réforme bancaire dont le Glass-Steagall Act faisait partie.
Le retour de la doctrine Germain ?
Aujourd’hui, alors que la loi Moscovici avait fait croire aux banquiers français qu’ils étaient à l’abri de tout retour à la doctrine Germain, les annonces du Commissaire européen Michel Barnier leur ont donné des sueurs froides. Bien que ce dernier ait souligné à plusieurs reprises qu’il est hors de question d’abroger le modèle de banque universelle, il estime que c’est bien « la spéculation » qui a fragilisé la croissance et non « l’excès de règles ».
Le 29 janvier, Barnier, en vue de pouvoir créer une union bancaire européenne, a présenté « un projet de loi qui va autrement plus loin que la loi française », en exigeant des trente plus grandes banques européennes – dont BNP Paribas et la Société générale – de filialiser non pas seulement les activités (de négoce ou trading) pour compte propre, mais celles de tenue de marché (market making) jugées à haut risque par les autorités de contrôle. « Ce sont les entreprises qui seront pénalisées », ont immédiatement hurlé les banquiers, puisque le cantonnement de certaines activités de marché dans des filiales dotées de fonds propres spécifiques renchérira « mécaniquement » leur fonctionnement.
L’esprit d’Henri Germain est de retour
Quoi qu’en disent les pessimistes, il est évident que le débat est toujours sur la table. Pour Jean-Philippe Bidault, auteur de Si la banque m’était contée :
Le modèle de banque universelle, adopté par les grands établissements bancaires dans le monde entier (…) est remis en cause depuis la crise des subprime de 2008. Il a été reproché aux banques d’avoir affecté aux opérations de marché les dépôts à court termes des épargnants. Des deux côtés de l’Atlantique, la séparation des activités bancaires est de nouveau à l’ordre du jour. (…) L’esprit d’Henri Germain est de retour.
Pour Solidarité & Progrès, couper les banques en deux n’est pas une « bonne » mesure de régulation bancaire mais le levier pour changer toute la philosophie d’un système monétariste qui nous détruit. Il ne s’agit pas de le sauver, mais d’en créer un nouveau. Les accords signés à Fortaleza par les pays des BRICS indiquent la voie.
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