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- A travers Eurofi, le think-tank fondé par Jacques de Larosière, les grandes banques d’affaires écrivent les lois bancaires européennes.
Depuis 2008, beaucoup d’investisseurs avaient largement boudé la « titrisation », une pratique associée à la crise des subprimes, l’un des déclencheurs de la crise financière de 2008. Cela va changer bientôt en Europe, car depuis fin mars, le commissaire européen Michel Barnier chargé du secteur financier a annoncé qu’il assouplirait la régulation pour relancer ce marché.
A l’origine de cette volte-face, les craintes grandissantes de l’UE de manquer de 3000 à 4000 milliards d’euros en capitaux dans le contexte d’une régulation bancaire plus contraignante.
La titrisation (securitization en anglais) est une technique financière qui consiste à transférer à des investisseurs des actifs financiers tels que des créances (par exemple des factures émises non soldées ou des prêts en cours), en les transformant, au travers d’une société ad hoc, en titres financiers (obligations) émis sur le marché des capitaux.
Bien qu’en 2008, ce soit bien en titrisant des hypothèques immobilières pourries (subprimes) que tout le système financier mondial fut infecté par des actifs toxiques pour finir en krach, Reuters estime qu’aujourd’hui ce plan « pourra jouer un rôle clé si la BCE adopte une politique accommodante en imprimant de l’argent pour acquérir de tels titres ».
En tout cas, la décision de Bruxelles est une victoire majeure du lobby bancaire qui, par son homme ligue Jacques de Larosière, a su imposer ses vues. Ce dernier préside le think-tank parisien Eurofi, dont les membres payants sont BNP Paribas, Goldman Sachs, l’UBS, HSBC et JP Morgan pour ne nommer qu’eux.
Ils comptent sur Eurofi pour influencer et dialoguer avec les autorités européennes et les parlementaires en charge du secteur financier. Bien qu’il ne soit plus rémunéré par BNP Paribas, de Larosière conseille toujours la banque et y dispose de son propre bureau. Lors des réunions biannuelles du G-30, un cénacle regroupant les grands prêtres de la finance, de Larosière partage la tribune avec aussi bien le gouverneur de la BCE Mario Draghi que l’ancien secrétaire au Trésor américain Timothy Geithner.
Pour Reuters, l’ex-directeur général
Jacques de Larosière est au cœur de ceux qui élaborent les lois pour la Commission européenne, dans une position où la ligne entre conseil et lobbying devient très ténue… Son travail offre un éclairage précieux sur comment et avec quelle facilité les législateurs européens interagissent avec l’industrie et comment les banques, en dépit du krach, continuent à façonner les ‘règles du jeu’.
Aujourd’hui, confirme Reuters, « de Larosière propose un plan pour titriser – regrouper en paquets et vendre aux assureurs, aux fonds de pension et même à la BCE – des prêts contractés dans les années folles qui sont devenus un poids mort dans les bilans des banques. Le but annoncé est de permettre aux banques, une fois débarrassées de ce fardeau, de prêter aux PME/PMI manquant cruellement de crédit ».
Alors qu’en Grèce les gens meurent faute de soins médicaux, les membres d’Eurofi se sont rencontrés au Hilton d’Athènes du 31 mars au 1er avril pour y écouter de Larosière élaborer son plan. Enthousiasme dans la salle, notamment de la part de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Xavier Musca, à l’heure actuelle haut responsable du Crédit agricole.
D’après le site d’Eurofi, « une session spéciale » a été organisée « sur les priorités de la nouvelle commission européenne dans le domaine financier ». Michel Barnier y a pris également la parole pour préciser que la titrisation, c’est comme le cholestérol, il y a la « bonne » et la « mauvaise », une thèse défendue depuis longtemps par de Larosière. Alors que le commissaire avait momentanément interdit tout contact entre hauts fonctionnaires et groupes de pression (sauf pour lui-même, capable de résister à toutes les pressions…), il semble qu’il ait changé de philosophie vis-à-vis des banques et ce pour une « bonne raison », suivant Graham Bishop, économiste et conseiller de la Commission européenne : « parce que les entreprises européennes ont besoin de leurs banques. »
Pour de la Rosière, vendre cette arnaque est avant tout une question de rhétorique. Pour surmonter l’image négative de la titrisation depuis la crise financière, il faut que les titres soient « très bons, bien notés, simples à comprendre », dit-il sans rougir.
Rien n’est moins sûr pour la française Pervenche Berès, ex-présidente de la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qui se souvient d’un débat similaire lorsqu’elle avait accepté à contrecœur une invitation à déjeuner de la part de responsables de Goldman Sachs au siège new-yorkais de la banque en juin 2010. « Pour eux, il n’y avait aucun doute : ils avaient tout fait correctement... ils aidaient l’économie », a dit l’élue socialiste à Reuters, rappelant de quelle manière les responsables de Goldman Sachs avaient déjà plaidé en 2010 la cause de la titrisation.
Alors que pour Solidarité & Progrès la titrisation devrait tout bonnement être interdite, Pervenche Berès déclara non sans raison : « Je reste sceptique. Il reste à me convaincre qu’il existe une ’bonne titrisation’ ».
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