En cette période électorale, la Commission européenne est d’une discrétion extrême autour des négociations de l’accord commercial transatlantique (Transatlantic Trade and Investment Partnership ou TTIP, aussi nommé TAFTA, (Trans-Atlantic Free Trade Agreement) ainsi que sur le sort du libéral Karel De Gucht, commissaire européen, candidat aux élections et négociateur chevronné du partenariat transatlantique.
Pourtant, l’autorité fiscale belge a annoncé le 24 avril qu’elle allait introduire un pourvoi en cassation dans un dossier visant De Gucht pour fraude fiscale.
Tout comme l’étaient les négociations multilatérales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ces négociations sont par définition une fraude.
Car sans une remise à plat du système financier et monétaire actuel à partir d’une séparation stricte des banques, tout accord sur les échanges de biens et de services restera otage du monde financier. A cela, j’ajouterai qu’en donnant délégation à la Commission européenne pour négocier dans le plus grand secret avec les États-Unis, nos gouvernements (et ceux qui les ont élus…) reçoivent comme un boomerang les conséquences de la fameuse « construction » européenne pour laquelle ils ont œuvré avec ardeur depuis des décennies.
Si jusqu’ici le droit des États et de l’UE visait à protéger le citoyen, le TTIP vise explicitement à protéger « les investisseurs ». Étant donné que les tarifs douaniers sont déjà très faibles, le TTIP prétend pouvoir intensifier le commerce mondial en s’en prenant aux normes et protections. Quant au calendrier officiel originel qui optait pour une présentation de l’accord courant 2015, certains tablent désormais sur la conclusion d’un accord dès octobre 2014.
Rien que la façon dont le TTIP se négocie a de quoi inquiéter. Le mandat de négociation (46 articles répartis en 18 sections) accepté par les États n’existe officiellement qu’en langue anglaise et sa diffusion est restreinte. Bien que le refus de transparence soit une constante de la Commission européenne, les craintes des États-Unis de voir leurs positions fuiter dans la presse, les ont conduits à refuser que la Commission européenne permette l’accès aux documents de la négociation.
Mieux, le gouvernement américain a proposé un accès limité à travers une salle de lecture sécurisée à Bruxelles. En pratique, les fonctionnaires des États membres seraient autorisés à afficher les documents dans une salle de lecture spéciale, supervisée par un garde de sécurité. Les fonctionnaires ne seraient cependant pas autorisés à copier lesdits extraits… La procédure n’est pas sans rappeler les conditions accordées par Obama aux parlementaires américains désireux de consulter le rapport de la CIA sur la torture...
Permis de chasse pour les fonds vautour
Un rapport de l’Observatoire de l’Europe industrielle et du Transnational Institute du 10 mars révèle l’existence, avant même la conclusion du TTIP, d’une « vague croissante » de poursuites juridiques lancées contre les États membres en difficulté, venant d’investisseurs spéculatifs touchés par la crise économique européenne. Les fonds spéculatifs, aussi nommés fonds vautours, à la recherche de retour sur investissement rapide, réclament « plus de 1,7 milliards d’euros de compensation à la Grèce, l’Espagne et Chypre » en utilisant les procédures d’arbitrage privés dans le cadre d’accords commerciaux sur les investissements. Le nombre de cas d’arbitrages répertoriés est monté en flèche passant de 38 en 1996 à 450 en 2011, selon Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (CIRDI), avec un coût moyen de 8 millions de dollars (5,8 millions d’euros) par litige.
En cause, le système d’arbitrage privé investisseur-État (Investor-State Dispute Settlement, ISDS) un cadre juridique spécifique qui permet aux entreprises multinationales d’attaquer, via des traités sur le commerce et l’investissement, un pays qui aurait pris ou qui souhaiterait prendre des mesures pour protéger sa population. Cette procédure de règlement des différends investisseurs-États a été créée en 1994 et mise en œuvre dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), servira de modèle pour le TTIP.
Les investisseurs spéculatifs utilisent ces accords d’investissement pour piller les Trésors publics à court de liquidités des États européens en crise. Ce serait une folie politique d’accorder aux sociétés ces droits excessifs dans le cadre d’un accord commercial de grande envergure entre les États-Unis et l’Union européenne,
s’insurge Pia Eberhardt, de l’Observatoire de l’Europe industrielle, coauteure du rapport.
Trop c’est trop
Le TTIP devenant le symbole du cauchemar européen, l’ancien ministre des finances et très européiste Jean Arthuis (Modem), qu’on aurait bien du mal à accuser de dérive gauchiste, estime dans Le Figaro que l’Europe doit se montrer moins lâche : « C’est une chose de vouloir abaisser les barrières tarifaires et faire converger les réglementations, pour accroître le commerce et les investissements de part et d’autre de l’Atlantique. C’en est une autre de laisser Washington piétiner les intérêts européens sans avoir le courage de les défendre avec fermeté. C’est pourquoi, bien qu’issu d’une famille politique traditionnellement favorable au libre-échange et à l’alliance atlantique, je suis contre l’Accord transatlantique de libre-échange actuellement négocié par les Etats-Unis et les autorités européennes. »
À cela, sept raisons précises et concrètes :
Premièrement, je m’oppose à l’arbitrage privé des litiges entre États et entreprises. Demain, suivant la proposition des Etats-Unis, une entreprise s’estimant lésée par la décision politique d’un gouvernement pourrait y recourir. Une telle procédure est rigoureusement contraire à l’idée que je me fais de la souveraineté des Etats.
Deuxièmement, je m’oppose à toute remise en cause du système européen des appellations d’origine. Demain, suivant la proposition des États-Unis, il n’y aurait plus qu’un registre non contraignant, et uniquement pour les vins et spiritueux. Une telle réforme tuerait nombre de productions locales européennes dont la valeur repose sur leur origine certifiée.
Troisièmement, je m’oppose à la signature d’un accord avec une puissance qui espionne massivement et systématiquement mes concitoyens européens, ainsi que les entreprises européennes. Les révélations d’Edward Snowden sont à cet égard édifiantes. Aussi longtemps que l’accord ne protège pas les données personnelles des citoyens européens et américains, il ne saurait être signé.
Quatrièmement, les Etats-Unis proposent un espace financier commun transatlantique, mais ils refusent catégoriquement une régulation commune de la finance, de même qu’ils refusent d’abolir les discriminations systématiques faites par les places financières américaines à l’encontre des services financiers européens. C’est vouloir le beurre et l’argent du beurre : je m’oppose à cette idée d’un espace commun sans règles communes et qui maintiendrait les discriminations commerciales.
Cinquièmement, je m’oppose à la remise en cause de la protection sanitaire européenne. Washington doit comprendre une fois pour toutes que nonobstant son insistance, nous ne voulons dans nos assiettes ni des animaux traités aux hormones de croissance, ni de produits issus d’OGM, ni de la décontamination chimique des viandes, ni de semences génétiquement modifiées, ni d’antibiotiques non thérapeutiques dans l’alimentation animale.
(…) Septièmement, au-delà du seul secteur audiovisuel, étendard de l’actuel gouvernement qui sert de cache-sexe à sa lâcheté sur tous les autres intérêts européens dans la négociation, je veux que toute l’exception culturelle soit défendue. Notamment, il est inacceptable de laisser les services numériques naissants d’Europe se faire balayer par les géants américains tels que Google, Amazon ou Netflix. Géants, maîtres absolus en optimisation fiscale, qui font de l’Europe une ‘colonie numérique’.
Les collectivités entrent en résistance
Craignant un accord qui engagera « tous les niveaux de gouvernement », les collectivités territoriales ont commencé à réagir. Alors qu’Hollande a annoncé lors de sa conférence de presse avec Obama qu’il souhaite un accord au plus vite, Manuel Valls a annoncé la suppression de la « clause de compétence universelle » qui laisse précisément une certaine capacité aux élus locaux de pouvoir s’y opposer.
Depuis février, plusieurs collectivités se sont jointes à l’initiative symbolique de l’Ile-de-France en multipliant les vœux et délibérations pour se déclarer « zone hors TTIP ».
Trois régions (Bourgogne, Bretagne, Rhône-Alpes) ont voté un vœu demandant un moratoire ou un débat autour des négociations. Le conseil régional de Bourgogne demande à l’Association des régions de France (ARF), organisme représentatif des collectivités régionales, l’ouverture d’un débat national avec la participation des collectivités territoriales, des parlementaires, des organisations syndicales et associatives. En Rhône-Alpes, le vœu déposé par le Front de gauche et EELV déclarant la région hors grand marché transatlantique a été rejeté par le PS, le PRG et le FN, et a été remplacé par une version demandant un moratoire sur les négociations.
De même, le conseil régional de Bretagne a rejeté un vœu déclarant la Bretagne zone hors TTIP pour le remplacer par un autre plus consensuel. Deux départements (Seine-Saint-Denis et Tarn) et sept communes (Besançon, Briançon, Crévoux, Grande-Synthe, Niort, Saint-Denis et Sevran) se sont déclarés zone hors TTIP.
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