Entretien de Christine Bierre, rédactrice-en-chef du journal Nouvelle Solidarité, avec le professeur Bassam el-Hachem, dirigeant du Courant patriotique libre (CPL) du général Michel Aoun au Liban.
Christine Bierre : M. Bassam El Hachem, nous avons l’impression en France que le Liban est de plus en plus rattrapé par la guerre en Syrie et que la démission du Premier ministre, M. Miqati, le 23 mars, se situe dans ce contexte. Le Général Aoun a dénoncé les « raisons stupides » derrière cette démission. Qu’en est-il ?
Bassam el Hachem : Depuis qu’il est entré en fonction, M. Miqati ne s’est jamais aventuré à accepter de faire quoi que ce soit qui puisse déplaire à Monsieur Saad Hariri et au Courant du futur. Il veut cultiver les bonnes grâces des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite. Tous les fonctionnaires que le Courant du Futur avait nommés à des postes clés dans l’administration - à la tête du ministère des Télécommunications, à la direction des Forces de Sécurité Intérieure (FSI), au service des renseignements de la Gendarmerie, etc. — ont tous été maintenus en place, alors que beaucoup ne font qu’entraver le fonctionnement des ministres en poste.
En France on prétend que la démission de M. Miqati serait due au fait que le Hezbollah bloque le rallongement du mandat du Général Achraf Rifi à la tête des FSI.
En vérité, l’opposition du Général Aoun à ce rallongement est bien plus farouche que celle du Hezbollah. Aussi n’y a-t-il au fond aucune raison valable de rallonger le mandat d’Achraf Rifi au-delà de l’âge de sortie à la retraite qu’il devait atteindre à la fin du mois de mars. Nombreux sont les généraux dans la Gendarmerie qui sont non seulement sunnites, puisque le poste est affecté à la communauté sunnite, mais de surcroît compétents. Il suffit de constater la dégradation de la sécurité à travers le pays, à Tripoli, dans la région du Akkar, à Beyrouth, à Saida, dans les régions frontalières avec la Syrie du côté de la Bekaa, pour voir combien peu satisfaisant a été son bilan.
M. Rifi est-il proche de Saad Hariri ?
C’est le père (mort assassiné, en 2005) de Saad Hariri, Rafik, qui l’avait nommé à la tête des FSI. Le Général Rifi a le plein soutien des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite. Il regarde d’un œil très bienveillant les salafistes. Il ne fait rien pour empêcher que des armes destinées aux rebelles syriens transitent à travers le Liban et M. Miqati, lui, laisse faire.
Le Général Michel Aoun a eu ces mots très durs contre Rifi, que ses prédécesseurs « avaient été plus loyaux que lui envers son pays ».
Oui, parce c’est une politique américaine qu’il met en œuvre. Si les Américains, les Saoudiens, les Français et les Anglais ne réclamaient pas son maintien, il ne pourrait pas se cramponner à ce poste.
Les FSI ne sont-elles pas l’institution désignée lors de l’assassinat de Rafic Hariri, pour enquêter sur cet assassinat en liaison avec les Etats-Unis ?
Bien entendu, une petite section de renseignements existait à l’époque au sein des FSI, dont la direction avait été confiée à Wissam al Hassan, ancien garde du corps de Rafic Hariri. Mais cette petite section est devenue un immense département hyper-gonflé avec des effectifs qui se chiffrent désormais par milliers.
D’ailleurs tout cela a été fait sans la moindre couverture légale. Wissam al Hassan avait des dizaines de millions de dollars à sa disposition pour agir et, derrière lui, il y avait Achraf Rifi. Depuis l’assassinat du général Hassan, le 12 octobre 2012, Rifi est resté le principal atout de ce courant dans l’institution concernée, reprenant en main les pleins pouvoirs dont Wissam al Hassan avait été investi auparavant.
Ce sont des pions de la politique américaine et saoudienne dans le pays. Ils font partie non seulement d’un système de surveillance dans le pays, mais surtout d’un système de sécurité monté par les Américains et mis au service de leur politique à l’échelle de toute la région.
Obama était récemment dans la région, a-t-il donné des consignes par rapport au Liban ?
Force est de constater que la démission de Miqati a eu lieu au moment où Obama était en visite en Israël et qu’il renouait les relations, d’un côté, entre Israéliens et Turcs et, de l’autre, entre Abdullah Occalan, le chef du PKK (kurde) qui fut un allié traditionnel de la Syrie, et la Turquie.
A mon avis, intervenant au milieu de ces développements et de maintes autres concomitantes, cette démission a tout l’air de s’insérer plutôt dans un plan d’action américain visant la Syrie dans les semaines et mois à venir. A quoi les Américains préparent-ils la région, le Liban et la Syrie, dans les prochains mois ? Je ne peux pas anticiper, mais en tout cas cela ne s’annonce pas de bon augure.
Il y a aussi un enjeu électoral dans cette crise libanaise.
Oui. C’est le 9 juin prochain que les législatives viennent à échéance, les dernières législatives en date ayant quant à elles eu lieu en juin 2009. Mais cette échéance va-t-elle être respectée ? On peut en douter, étant donné un profond désaccord persistant entre la majorité (Hezbollah, CPL du Général Aoun et ses alliés) et l’opposition actuelles sur la loi électorale à faire jouer à cette fin. Car alors que l’opposition (Courant du Futur et ses alliés) se bat de toutes ses forces pour faire reconduire la loi ayant présidé aux législatives de 2009 - une loi mettant en œuvre un mode de scrutin majoritaire à l’ombre de découpages électoraux qui marginalisent l’électorat chrétien à l’avantage de ladite opposition dans les régions où les chrétiens sont minoritaires en nombre - la majorité, de son côté, se bat pour le remplacement de cette dernière par une autre, optant quant à elle pour la proportionnalité et garantissant de ce fait une représentation plus équitable et sincère de ces derniers. D’où un profil de crise prolongée se dessinant, là aussi, dans le domaine électoral, à l’horizon.
Venons-en à la Syrie. Le Général Aoun a soutenu les déclarations de M. Al Khatib, chef de l’opposition syrienne, lors de la réunion de la Ligue Arabe à Doha. Le Général promeut la réconciliation. Mais, est-elle possible ?
M Khatib a été obligé par les Qataris à se rendre à Doha, alors qu’il avait démissionné de la présidence de la Coalition juste après la nomination de M. Ghassan Hitto comme Premier ministre de la Coalition. Pourquoi ? Parce qu’il était contre l’idée même de la nomination d’un gouvernement en exile, craignant, semble-t-il, que cela conduire à terme à une partition de fait de la Syrie. De plus, il avait déclaré être prêt à dialoguer avec le régime.
Selon le quotidien syrien, Al Watan, les Qataris auraient menacé M. al Khatib de divulguer des informations compromettantes et c’est sous cette pression qu’il a accepté d’aller à Doha.
Comment la situation va-t-elle évoluer au Liban sans Premier ministre dans les temps qui viennent ?
Tout cela va dépendre de la tournure que prendra la situation en Syrie dans les deux mois à venir, avant que les négociations soient reprises entre les Etats-Unis et la Russie sur la question syrienne.
Merci.
# petite souris
• 03/04/2013 - 00:24
Comment avoir des idées simples dans cet orient si complexe .....
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