Marine Le Pen « anti-système » ? Regardons de plus près.
Vu la promotion dont bénéficie désormais le Front national – le Conseil supérieur de l’audiovisuel a épinglé BFMTV le 19 mars pour avoir accordé 43 % de temps de parole au FN contre seulement 18 % au PS et 16 % à l’UMP – on doit se demander si nos classes dirigeantes ne préparent pas, avec le Front national, leur ultime recours, en cas d’implosion de l’Union européenne et de l’euro.
Ce sont des éléments de son programme et notamment de son « Plan de désendettement de la France » qui posent question.
Marine Le Pen a tout à fait raison de s’insurger contre une dette publique qui est passée de 21 % du PIB en 1974 à 86 % en 2012, et qui a presque doublé entre 2004 et 2013, passant de 1000 à 1925 milliards d’euros. Mais que propose-t-elle pour résoudre ce problème et créer les conditions d’une réindustrialisation de la France qu’elle appelle de ses vœux dans son projet ?
D’un côté, Le Pen tient des propos qui semblent intéressants, en mettant la finance spéculative au cœur du problème et en prônant un « Etat fort qui met au pas la finance et la spéculation », qui milite à l’international pour faire « interdire les produits dérivés » et qui imposera « la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires ».
Surtout, copiant sur les quelques-uns qui dénoncent, comme Cheminade le fait depuis 1997 (Voir ici l’étude sur Un plan de relance par le crédit productif), la loi Pompidou-Giscard de 1973, interdisant à la Banque de France de faire des avances au Trésor Public et de détenir les obligations de la dette française, elle rend cette loi responsable de l’endettement actuel.
Pourtant, son projet de désendettement de la France est entièrement basé sur l’idée qu’il faut rembourser toute la dette française due à ces mêmes intérêts financiers qui se sont engraissés depuis 1973 en pillant la substance de l’Etat et sur lesquels repose largement la responsabilité de la crise de 2007-2008 !
A genoux devant l’orthodoxie budgétaire
Elle annonce même qu’elle veillera « scrupuleusement au respect des principes du ‘Club de Paris’ [afin] d’éviter toute solution de répudiation pure et simple de la dette qui représenterait un risque de réputation trop négatif pour la France ».
Or, qui sont les détenteurs de la dette française ? Essentiellement des « investisseurs institutionnels » : fonds de pension, d’assurance, souverains, banques et fonds spéculatifs. 62,7 % de cette dette est détenue par des étrangers, une proportion particulièrement élevée au sein des grands pays. Parmi les détenteurs français, 14 % sont des banques et 22 % des assureurs qui placent les obligations de l’Etat français dans les assurances-vie. C’est parmi ces derniers qu’on trouve, par l’intermédiaire des assureurs, des particuliers.
Ce qui est instructif, c’est de voir à quel point Marine Le Pen, l’anti-système, ne rejette pas les axiomes financiers de base des autres partis. Comme tous les autres, l’objectif à atteindre, c’est le déficit zéro, l’orthodoxie budgétaire !
Seule différence, elle veut y aboutir un an plus tard, en 2018, et « sans saccage social ». Elle prétend aussi pouvoir réduire la dette de moitié d’ici 2025, sans grands projets de relance et sans tenir compte du contexte international où la crise continue à sévir, menaçant même de provoquer une implosion du système.
Monétariste [1] comme tous les autres, elle pense pouvoir y arriver en « monétisant » la dette de l’État français, c’est-à-dire par des émissions monétaires ex-nihilo de 100 milliards d’euros par an (5 % du PIB), de la Banque de France vers le Trésor public.
Ces émissions seraient utilisées à 90 % pour payer la dette, rubis sur l’ongle, à leurs détenteurs. 45 milliards d’euros iraient à l’amortissement du stock de la dette (encours, dette échue et intérêts de la dette), 45 milliards au paiement de la charge de la dette imputée dans le budget.
Au moment où l’Europe vote des lois dites de « renflouement interne » (bail-in), imposant non seulement aux actionnaires, mais aux créanciers et même aux déposants, de payer les pots cassés en cas de faillite d’une grosse banque, voici qu’en France, on prépare un renflouement en douce, aux frais de l’État !
Le deuxième levier proposé par le FN pour désendetter la France :
« 2/ Monétisation par la Banque de France pour un TOTAL de 100 Milliards € / an (5 % du PIB 2012) dont + 90 Milliards € / an pour générer des excédents budgétaires ventilés en :
* AMORTISSEMENT direct et progressif du capital-dette (stock) pour 45 Milliards € / an (2,5 % du PIB), qui consiste à stériliser une fraction de la dette
* REMBOURSEMENT de la charge de la dette imputé dans le budget (flux), pour 45 Milliards € / an (2,5 % du PIB), dégressif à partir de 2018 ;
* RELANCE économique : + 10 Milliards € / an imputés dans le budget, pour soutenir la réindustrialisation, l’emploi, l’activité,…la consommation et au final les recettes fiscales. »
Source : Site officiel du FN : Le plan de désendettement de la France
La vague verte de Marine
Ne resterait après que la somme ridicule de 10 milliards pour « soutenir la réindustrialisation, l’emploi, l’activité, la consommation » ! Rappelons pour comparaison que rien que le canal Seine-Nord (dont le FN ne veut pas) coûterait 7 milliards d’euros, le TGV Lyon-Turin 8,5 milliards, et ce, en première estimation.
Pas de quoi réindustrialiser quoi que ce soit, d’autant que si l’on regarde les propositions de Mme Le Pen en la matière, elle reste tout à fait consensuelle avec ceux qu’elle dénonce. Étant donné la contrainte budgétaire, c’est le secteur privé qui est appelé à la rescousse pour élever la part de la recherche dans le PIB de 2 % actuellement à 3 %.
De plus, dans les domaines de l’industrie et de l’énergie, sa politique n’est pas du tout de nature à provoquer des révolutions technologiques et de croissance. Comme l’UMPS, elle se prononce pour une sortie à moyen terme des énergies à forte densité énergétique (le nucléaire), capables d’effectuer plus de travail pour un moindre effort, et en faveur d’une part accrue d’énergies renouvelables, moins denses et pouvant effectuer beaucoup moins de travail.
On n’est pas là dans les conditions des Trente glorieuses, préconisées aujourd’hui par Jacques Cheminade, où les avances de la Banque de France au Trésor n’allaient pas au remboursement des vieilles dettes ni au fonctionnement, mais uniquement à la recherche de pointe dans les domaines de rupture et aux grands programmes de modernisation des infrastructures, qui tirent le public et le privé vers l’avant.
Ne faudrait-il pas voir aussi dans le rejet de l’immigration que Marine Le Pen préconise, une incapacité économique à créer les conditions d’un développement de la production permettant d’accroître la population, Français et immigrés compris, en raison d’une soumission à l’oligarchie de la dette ?
[1] Le monétarisme est une maladie mentale qui induit ses victimes à croire que l’origine de la richesse est l’argent et non pas le travail productif. Croire que des dévaluations compétitives suffiront à relancer l’économie française dans un monde post-euro est un symptôme de cette affection.
Un message, un commentaire ?