Le 14 mai 2008 (Nouvelle Solidarité) – « Crise alimentaire mondiale : pour un "new deal" international ». Voilà le titre intéressant d’un commentaire publié dans le Figaro du 12 mai par Michel Barnier, ministre de l’Agriculture, dans le contexte de la polémique qui oppose presque toute l’Europe aux Britanniques, et ceci aussi bien lors des négociations à l’OMC (Cycle de Doha) que pendant la préparation du sommet de la FAO prévu début juin à Rome. Dans son commentaire au Figaro, Barnier reprend l’essentiel de sa lettre au Financial Times : étant donnés les enjeux humains et stratégiques, la nourriture est un sujet trop important pour être livré au libre-échange à tout-va. Et le fait que cette fois-ci, Barnier ait en plus utilisé le mot « new deal » dans le titre de son commentaire, ne fera pas forcément plaisir à Londres.
Le journaliste lui demande tout d’abord si ce n’est pas la Politique agricole commune (PAC) qui est responsable des émeutes de la faim et les pénuries dans le monde. Le ministre répond (bien que d’une façon un peu trop défensive) en faisant l’inventaire des mesures que l’UE a déjà mis en oeuvre via les différentes « réformes » de la PAC afin de ne pas « perturber » la main invisible supposée régler les marchés au profit du consommateur. « 70% de nos aides [à l’agriculture], qui sont aujourd’hui découplées de la production, sont classées à l’OMC dans la « boite verte » [c’est-à-dire autorisées]. Cela signifie qu’elles ne sont pas distorsives aux échanges et qu’elles ne perturbent pas les marchés mondiaux ».
Plus sérieusement, Barnier souligne que « sans Politique agricole commune pour notre continent, notre sécurité alimentaire et notre diversité reculeraient. »
Le journaliste pose ensuite la question suivante : « La libéralisation des échanges est-elle la solution aux émeutes de la faim ? ». Barnier : « Ceux qui pensent que l’avenir des pays les plus pauvres se trouve essentiellement dans leurs capacités à exporter sur les pays riches méconnaissent la réalité. Le choix des cultures d’exportation dans ces pays a détruit les cultures vivrières et n’a pas généré de développement durable. »
« La réponse à l’insécurité alimentaire n’est ni dans une libéralisation brutale des échanges, qui conduit à mettre en concurrence des agriculteurs dont le niveau de compétitivité varie de 1 à 1000, ni dans le protectionnisme. Elle se trouve dans le développement de la production agricole partout dans le monde et pas seulement là où il est le plus rentable de produire. Le dernier rapport de la Banque Mondiale est sans ambiguïté : l’investissement en agriculture est le levier le plus efficace pour lutter contre la pauvreté et éradiquer la faim ».
Dans une référence subtile à l’empire du Commonwealth et l’OMC, Barnier écrit que « dans ce contexte, les perdants d’un accord à l’OMC, et c’est ce que disent, là aussi, les économistes de la Banque Mondiale et la fondation Carnegie, ce seront les pays les plus pauvres. Et les grands gagnants : les pays émergents ayant déjà une agriculture moderne et compétitive, essentiellement le Brésil, l’Argentine, la Thaïlande, mais aussi les pays développés agro-exportateurs [membres du Commonwealth] : Australie et Nouvelle-Zélande. »
Barnier conclut en disant : « Il est désormais admis que l’alimentation n’est pas uniquement une question de commerce. Pour nourrir une planète de 9 milliards d’habitants en 2050, toutes les potentialités devront être valorisées. Ce dont ont besoin les pays pauvres, ce sont des projets de développement de la production, de stabilisation des prix, de maîtrise du niveau de leurs importations, d’amélioration de fonctionnement de leurs marchés locaux ou régionaux, de protection de leurs agriculteurs. Ma conviction est faite depuis longtemps. L’alimentation ne peut être laissée ni aux seules lois du marché, ni à la spéculation financière, ni au moins-disant sanitaire ou environnemental. Notre politique agricole en Europe n’est pas un vestige du passé, elle n’est pas une politique historique. C’est parce qu’elle est stratégique pour l’Europe, c’est parce qu’elle est porteuse de sécurité alimentaire, qu’elle peut représenter une voie pour le développement des agricultures dans le monde. L’Union européenne a une responsabilité et la France qui en assurera la présidence à partir du 1er juillet a l’ambition de porter la question de l’insécurité alimentaire. Son ambition sera de rassembler les initiatives et de bâtir sur le long terme un véritable partenariat pour l’alimentation et l’agriculture, comme l’a indiqué le président de la République. »
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