La politique des néoconservateurs américains pour les pays situés au sud du Rio Grande peut se résumer en deux mots : chaos et guerre. L’un des instruments utilisés : le fondamentalisme religieux.
Le télévangéliste et fondamentaliste chrétien Pat Robertson a provoqué un tollé le 22 août en appelant ouvertement à l’assassinat du président vénézuélien Hugo Chavez. Il a en effet déclaré, au cours de son émission télévisée : « Si [Chavez] pense que nous essayons de l’assassiner, je pense qu’on devrait vraiment y aller. C’est bien moins cher que de lancer une guerre. »
Il ne s’agit pas là de l’opinion isolée d’un télévangéliste cinglé. Ses propos incendiaires représentent une menace stratégique réelle, notamment à la lumière de deux considérations supplémentaires.
Tout d’abord, Pat Robertson (surnommé « Diamant » à cause de ses intérêts financiers en Afrique) est proche de certains fondamentalistes implantés au sein de l’armée américaine, appartenant à la faction des « tordeurs de cuillères », comme le général Jerry Boykin, et d’autres alliés politiques du vice-président américain Dick Cheney. Cette clique est prête à orchestrer une nouvelle attaque terroriste, de type « 11 septembre », qui leur fournirait un bon prétexte pour lancer une guerre contre l’Iran. Les télévangélistes comme Robertson et Jerry Falwell, qui pullulaient sous la présidence de Bush père, ont reçu plus tard le soutien du « révérend » Sun Myung Moon, lui-même un allié de la famille Bush et instrument des anciens réseaux nazis impliqués dans le trafic de drogue en Amérique du Sud.
Ensuite, les commentaires de Robertson se situent dans le contexte d’une offensive plus vaste contre les nations sud-américaines, pour le compte de l’oligarchie financière internationale, sous la direction de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld, qui s’est rendu au Paraguay et au Pérou à la mi-août.
La stratégie de ces intérêts est de créer des « Etats ratés » dans toute l’Amérique du Sud, où certains gouvernements comme celui du Paraguay, de la Bolivie, de l’Equateur et du Pérou sont déjà extrêmement fragiles. Par « Etats ratés » ou « ingouvernables », entendez la possibilité d’y faire intervenir une force militaire supranationale sous prétexte de « combattre le terrorisme » ou de « rétablir l’ordre ». Le véritable but est de mettre fin à l’ère des Etatsnations afin de mettre la main sur les matières premières. Comme au XIXème siècle et à nouveau au XXème, cette stratégie est aujourd’hui centrée sur le Paraguay.
Le 10 juin 2005, une réunion exceptionnelle, relativement longue, s’est tenue à Washington entre Dick Cheney et le président paraguayen Luis Castiglioni. Qu’est-ce que le vice-président américain pouvait bien avoir à dire au président de ce petit pays d’à peine six millions d’habitants, niché au coeur de l’Amérique du Sud et apparemment insignifiant du point de vue stratégique ?
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Il scellait un accord, approuvé le 5 mai, pour la construction d’une base militaire américaine en territoire paraguayen, où devaient se dérouler des activités de formation militaire conjointe pendant une période de dix-huit mois, du 1er juillet 2005 au 31 décembre 2006, accord renouvelable indéfiniment. Les troupes américaines ont commencé à débarquer en juillet et entre-temps, le Parlement paraguayen a accordé aux soldats américains l’immunité juridique pour les crimes qu’ils pourraient commettre sur place, concession que le Brésil, l’Argentine et d’autres pays latino-américains ont rejetée. Le prétexte officiel pour cette opération est de lutter contre des terroristes liés à l’Iran qui se seraient réfugiés dans la zone de la « triple frontière » (Paraguay, Brésil, Argentine).
La base prévue pour ces manoeuvres est celle de Mariscal Estigarriba. construite par les Américains pour pouvoir accueillir de gros avions de transport militaires et abriter jusqu’à 16 000 soldats. Elle est située au milieu de la région de Chaco, très peu habitée, au nordouest du pays (ancien théâtre de la guerre du Gran Chaco - 1932-1935 - entre le Paraguay et la Bolivie).
A proximité se trouvent d’importants gisements de gaz naturel, au Paraguay même et de l’autre côté de la frontière, en Bolivie. Le gisement bolivien, dans la province séparatiste de Tarija, est l’un des plus importants au monde. Cette zone est également proche du grand aquifère Guaranì, qui constitue en soi une immense ressource naturelle, s’étendant sur 1,2 millions de kilomètres carrés, au Brésil, en Argentine, au Paraguay et en Uruguay. Cette situation géographique se prête donc facilement à des manipulations géopolitiques.
L’ambassade américaine au Paraguay a officiellement fait savoir que les Etats-Unis n’avaient pas l’intention d’y établir une base permanente, mais le gouvernement brésilien n’en est apparemment pas convaincu et a organisé des manoeuvres militaires non loin de la frontière avec le Paraguay. Brasilia craint, entre autres, que les manoeuvres de Washington ne visent à désunir les efforts des pays membres du marché commun sud-américain (Mercosur : Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), qui constitue un bastion de résistance à la politique ultralibérale.
Cependant, le pays qui se sent surtout menacé par l’établissement de cette base, c’est la Bolivie voisine, déjà déchirée entre des forces « gauchistes » basées dans les régions de l’ouest productrices de coca, et une « aile droite » implantée dans les provinces de Santa Cruz et Tarija, au sud-est, qui recèlent la majorité des gisements d’hydrocarbures.
Autre aspect curieux du site choisi pour cette base américaine : il est à deux pas des vastes territoires frontaliers entre Brésil et Paraguay appartenant au révérend Moon, un adepte pur et dur de la faction des « tordeurs de cuillères ». Le gourou coréen doit le lancement de sa carrière aux réseaux des frères Dulles, les mêmes qui organisèrent la fuite de nazis en Amérique du Sud via les « lignes de rat ». Il est surtout connu pour sa secte, l’Eglise unifiée, qui est spécialisée dans les mariages de masse de ses disciples. Récemment, il s’est vanté de pouvoir communiquer avec les morts, notamment tous les présidents décédés des Etats-Unis. Un ancien président encore vivant, George Bush père, se fait payer des honoraires alléchants pour assister à des événements aux côtés du « révérend ».
A partir du milieu des années 90, Moon a commencé à s’acheter de vastes terrains au Paraguay (à quelque 250 km de la base américaine) et de l’autre côté du fleuve, au Brésil, en vue d’y créer un empire. Il possède actuellement pas moins de 750 000 hectares de terres au Paraguay et quelque 83 000 hectares dans le Mato Grosso do Sul. Du côté brésilien, le centre New Hope organise régulièrement des sessions pour les nouvelles recrues. Kim Yoon Sang, le principal représentant de Moon en Amérique du Sud, avait déclaré à la revue brésilienne Istoe : « Pour nous, les frontières n’ont pas d’importance. »
Vers la fin de 1998, le gouvernement brésilien a ouvert une enquête sur les activités du révérend Moon, soupçonné de contrebande, blanchiment d’argent sale, violations de la loi sur l’immigration et, selon certains journaux, trafic de drogue. Plus tard, après que le mouvement de Lyndon LaRouche ait dénoncé le rôle du World Wildlife Fund et des Moonistes dans la déstabilisation du gouvernement brésilien, le Parlement du Mato Grosso do Sul a ouvert à son tour une enquête sur la secte. Selon ses conclusions, les investissements de Moon dans la région pourraient même profiter à l’économie régionale...
Cependant, c’est une approche que beaucoup commencent à regretter, à la lumière des opérations menées actuellement par Cheney et Rumsfeld aux portes du Brésil.
Dennis Small