Creuser, après le canal de Panama, un deuxième canal interocéanique reliant le Pacifique à l’Atlantique. Au XIXe siècle, Napoléon III, engagé à construire une « Amérique Latine » pour contrer l’influence des protestants américains, en rêvait. Aujourd’hui, avec l’aide des pays des BRICS, c’est le Nicaragua, qui en lance la construction. Lors du sommet des BRICS à Fortaleza au Brésil cet été, c’est la Russie et surtout la Chine qui ont exprimé leur volonté de faire avancer le projet.
Rappelons que déjà en juin 2013, une première entente entre la Chine et le Nicaragua s’était concrétisée lorsque le président Daniel Ortega avait accordé une concession de 50 ans à la Hongkong Nicaragua Canal Development (HKND), un consortium chinois qui s’est engagé à investir 40 milliards de dollars (29,5 milliards d’euros, c’est-à-dire plus que trois fois l’argent qu’il faudrait pour financer le canal Seine-Nord en France...).
Et, avec le projet final voté par l’Assemblée nationale nicaraguayen le 8 juillet 2014, les travaux pourront démarrer comme prévu en décembre, se terminer en 2019 et permettre au canal d’entrer en fonction en 2020.
Ce projet n’est pas isolé mais l’expression d’un rapprochement plus général de l’Amérique du Sud avec les pays des BRICS. Le Président chinois, Xi Jinping s’est rendu dans la région en juin 2013 et a ouvert un fonds de 20 milliards de dollars destiné aux infrastructures. Cette somme s’ajoutera aux 100 milliards de dollars déjà disponibles auprès de la Nouvelle banque de développement (NBD) récemment créée par les BRICS.
Pour sa part, le Costa-Rica, qui préside la CELAC (Communauté des pays d’Amérique latine et des Caraïbes) en 2014, a signé lui aussi avec la Chine une batterie d’accords bilatéraux à portée commerciale.
Sur le plan des infrastructures, les entreprises chinoises ont multiplié les offres visant à doubler ou tripler les couloirs transocéaniques. Une entreprise chinoise, CHEC (Chinese Habor Engineering Company), a signé un traité visant à construire un canal sec, une voie ferrée au Honduras, d’Atlantique au Pacifique.
La Chine va également cofinancer un investissement de 300 millions de dollars pour les chemins de fer brésiliens, et sa banque d’import-export a débloqué un prêt de cinq milliards de dollars en faveur du groupe logistique brésilien Vale, dont les bateaux acheminent de l’acier vers l’Asie. Un chemin de fer transcontinentale, reliant le Pérou au Brésil en passant par la Bolivie est également envisagé.
Le canal interocéanique du Nicaragua
Long de 278 km, le projet de canal interocéanique au Nicaragua ambitionne de capter 5 % du commerce mondial, contre 3 % actuellement pour le canal de Panama. Il aura une capacité de 5100 navires par an, qui mettront 30 heures pour rallier l’Atlantique au Pacifique, sur un parcours de 278 kilomètres. Plus de cent ans après celui de Panama qui fait 77 km, le canal du Nicaragua surpassera également celui de Suez long de 163km. Il fera de 230 à 520 mètres de large et 27,6 mètres de profondeur, ce qui lui permettra d’accueillir des monstres flottants, les « post-Panamax » d’une longueur de 455 mètres.
Le 8 juillet, Dong Yungsong, l’ingénieur de l’entreprise chinoise qui pilotera le projet a présenté le tracé. Le canal partira de l’embouchure du fleuve Brito, sur la côte Pacifique, passera par le lac Cocibolca, puis par les affluents Tule et Punta Gorda, qui débouchent sur la mer des Caraïbes, a-t-il précisé, en garantissant qu’il s’agissait de l’option la plus respectueuse de l’environnement. La préservation des ressources en eau potable se pose, car le lac Cocibolca, où passeront les navires, est le deuxième plus grand lac d’eau douce d’Amérique du Sud après le Titicaca.
Ce qui est également prévu, c’est de doubler le canal par un « canal sec » (ferroviaire) entre les deux océans ainsi que la construction d’un aéroport, de deux ports, de deux zones franches et d’un oléoduc. On chiffre à 40 000 les emplois qui pourraient être crées et multiplier par deux ou trois le PIB du Nicaragua, l’un des pays les plus pauvres d’Amérique centrale.
Panama et le Nicaragua
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- Liaisons interocéaniques envisagées : 1) Canal de Panama ; 2) Canal du Nicaragua ; 3) Isthme de Tuhuantepec (Mexique) ; 4) Le "bouchon" du Darién (Panama) ; 5) Tracé par le Golfe d’Uraba (Colombie).
L’idée d’un tel canal au Nicaragua n’est pas neuve. Dès le XVIe siècle, les conquistadors espagnols avaient étudié la possibilité de faire un canal au Nicaragua qui permettrait aux navires de passer de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. Au cours des siècles, plusieurs projets furent envisagés pour ne pas être obligé de contourner le continent et d’affronter le Cap Horn, de sinistre réputation.
En 1846, Napoléon III y voit une option qui ferait « du Nicaragua, mieux que Constantinople, la route nécessaire du grand commerce et lui permettrait d’atteindre grandeur et prospérité ».
Ainsi, au début du XIXe siècle, déjà, des tracés avaient été étudiés par des investisseurs américains et européens. Si l’instabilité politique de la région fut souvent un obstacle, le projet gardait son attrait.
C’est surtout depuis l’ouverture du canal de Panama en 1914, que le passage par le Nicaragua a été reconsidéré. Sa construction permettrait de raccourcir la distance entre New York et San Francisco de 800 kilomètres (500 miles). L’intérêt est de permettre le passage des supertankers jusqu’à 250 000 tonnes, alors que le franchissement du canal de Panama, de plus en plus encombré, est jusqu’ici limité aux bateaux de 85 000 tonnes. Une compétition semble engagée entre les deux projets. D’ailleurs l’élargissement en cours du Canal de Panama (avec des écluses de 427 m de long et 55 m de large au lieu de 32,3 m) permettra là aussi le passage des porte-containers jusqu’à 12 000 EVP (170 000 tonnes). Toujours trop limité pour les tout gros bateaux, estime le consortium chinois HKND qui mise sur une hausse de 240 % du commerce navigable d’ici 2030.
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