Dimanche 24 février, l’Institut du monde arabe organisait une « Journée de solidarité avec le peuple syrien ». Divers événements – concerts, expositions, présentation d’ouvrages, débats – s’y sont succédé douze heures durant, entre midi et minuit. L’initiative, venant du nouveau président de l’Institut, Jack Lang, était co-organisée par I>Télé et le journal Le Monde.
Si l’intitulé de cette Journée pouvait laisser présager un traitement neutre de la crise syrienne, dans les faits, ce fut clairement une journée de soutien à la « résistance syrienne », appelant à la chute du régime de Bachar el-Assad.
Le moment fort de la journée fut un « débat » sur « le devenir de la Syrie », animé par Abderrahim Hafidi, présentateur de l’émission « Islam » sur France2.
Dix personnalités y avaient été conviées, toutes adversaires résolues du régime syrien. Clou de l’aréopage, l’ambassadeur représentant la Coalition nationale syrienne à Paris, Monzer Makhous. Autres intervenants : Jean-Pierre Filiu, professeur à l’Institut d’études politiques, Ziyad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris, Jack Ralite, ancien ministre, Basma Kodmani, fondatrice du Conseil national syrien, et sa sœur Hala, Jean-Pierre Perrin, grand reporter pour Libération, Fabrice Weissman, conseiller à Médecins sans frontières (MSF), et Christophe Ayad, journaliste au Monde.
Tout habitués que nous soyons aux mensonges de la version officielle et à la violence verbale de ceux qui dénoncent le régime syrien, ce 24 février, tous les records ont été battus. Faire un sort à tous les mensonges et approximations contenues dans ces dix interventions demanderait plusieurs dizaines de pages. Nous nous contenterons d’évoquer l’effet propagande et les mensonges les plus flagrants.
Notons déjà que toute cette séance s’est déroulée sur le registre de l’émotion. Or, n’est-ce pas le principe de toute propagande que de faire appel aux émotions plutôt qu’à la raison ? Si l’on y joint la répétition, on obtient un effet puissant sur les citoyens non avertis.
Quoi de mieux pour accroître cet effet que de commencer par un poème et finir par un poème et une chanson ? Celui qui introduisit la séance, intitulé « La dame de Damas », était de Jean-Pierre Filiu. Il fut lu avec emphase par la chanteuse/poétesse Sapho. C’était un réquisitoire sans concession contre le régime d’Assad. N’entrant dans le détail d’aucun fait ni argument, mais plein de pathos et de cris de rage, ce poème émut considérablement le public qui applaudit longuement.
Ensuite, chacun y alla de son anecdote d’enfants torturés et tués, en en rendant systématiquement coupables les troupes du régime syrien, n’apportant que peu voire pas du tout de preuves. Tel Monzer Makhous qui, dans un français approximatif et hésitant – des blocs de mots qui s’enchaînaient parfois sans lien logique – imputa au régime un attentat dans lequel étaient morts de nombreux enfants. Fait étrange, son arabe était tout aussi hésitant…
Deux « grands reporters » spécialistes du Proche-Orient y sont allés aussi de leurs discours larmoyants : Jean-Pierre Perrin de Libération et Christophe Ayad du Monde. Perrin rappela l’enquête qu’il avait menée en 2000 sur la révolte de plusieurs milliers de sympathisants des Frères musulmans à Hama en 1982, écrasée dans le sang par le père de Bachar, Hafez el-Assad. Il ne trouva qu’une seule personne prête à témoigner : un homme qui avait perdu 17 membres de sa famille dans cette terrible affaire. M. Perrin ne mentionna pas, cependant, que Hafez el-Assad, contrairement à son fils aujourd’hui, avait le plein soutien des Anglais et des Américains…
Christophe Ayad conclut son intervention en saluant la mémoire d’Olivier Voisin, photographe récemment mort sur le terrain, dont il lut le dernier SMS envoyé à sa compagne.
Mais le plus gros mensonge véhiculé par nombre des orateurs fut que les djihadistes, dont on sait qu’ils sont déployés par les Occidentaux pour mener cette guerre contre la Syrie et le régime de Assad, ont, en réalité, été introduits dans la guerre par Bachar el-Assad lui-même, pour prétendre qu’en Syrie, le choix était entre lui et les djihadistes !
C’est Basma Kodmani qui a exprimé ce mensonge de la façon la plus éhontée. Etonnant ? « Syrienne » de l’étranger, elle est considérée comme « la principale représentante des intérêts des États-Unis » au sein même de l’opposition ! En effet, elle a travaillé pour le National Endowment for Democracy (NED), une branche des renseignements américains. Elle a aussi été directrice de la branche régionale de la Ford Foundation au Caire, parmi d’autres organisations de la sphère d’influence anglo-américaine.
Même rengaine de M. Makhous, selon qui le régime est le premier responsable du terrorisme, qu’il aurait fait émerger afin de se donner un prétexte pour réprimer. Pour Jack Ralite aussi, les djihadistes sur le sol syrien, « c’est une histoire que certains grossissent ».
Concluons en notant qu’alors qu’un débat avec la salle devait suivre ce déballage, il a été éliminé sans aucune explication. Sans doute par crainte que de nombreux opposants à leurs thèses présents ne souhaitent exprimer leurs divergences.
Notons, a contrario, le dialogue courtois qui eut lieu au colloque sur la crise syrienne organisé à l’Assemblée nationale, le 20 février dernier, par l’Académie géopolitique de Paris, où différents courants ont pu échanger tout à fait sereinement.
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