Dans le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des professeurs Philippe Even et Bernard Debré (Cherche Midi, 912 p., 23,80 euros), les produits de la juteuse industrie pharmaceutique sont passés au crible d’une analyse critique sans concession, médicament par médicament. Le bilan est édifiant, 50 % de médicaments inutiles dont 5 % de « potentiellement très dangereux », et c’est sans compter la facture et le pillage insensé des caisses de l’Etat par les très spéculatives grandes firmes du médicament. Ce guide est destiné aux profanes, aux patients et aux praticiens qui veulent en finir avec la financiarisation de la santé au détriment de la population.
Frénésie spéculative et pléthore de « nouveaux » médicaments
Pourquoi sommes-nous devant un mur du silence en ce début de XXIe siècle, se demandent les Professeurs Even et Debré, si ce n’est un mur de l’argent. « La très puissante industrie pharmaceutique » empoche 15 milliards d’euros chaque année pour la mise sur le marché de « médicaments à risques » qui provoquent pas moins de 100 000 accidents thérapeutiques graves et 20 000 morts par an ?
Le scandale de Médiator a entrouvert la boîte à secrets des exercices de rentabilité spéculative au détriment du malade tout en puisant allègrement dans les caisses de l’Etat.
Car les chiffres parlent et si près de 90 % des médicaments efficaces sont remboursés pour la plupart à 65% ou 100 %, 70 % des spécialités peu efficaces le sont aussi et de plus 28 % de ces spécialités sont strictement sans aucune efficacité. « Il n’y a pas de rapport étroit entre efficacité et remboursement », plus encore « L’inefficacité ne protège pas des risques » soulignent les deux professeurs.
Alors faute de découverte majeure à rentabiliser, l’invention de maladies imaginaires ou de pseudo-nouveaux médicaments s’est accélérée depuis une trentaine d’années. Par exemples les « me too » (quasi copie d’une molécule originale) ont obtenus bien trop facilement de nouvelles licences. C’est une véritable entourloupe, selon Bernard Debré, qui a été généralisée :
En ce qui concerne l’hygiène artérielle, il existe cinq grandes classes de médicaments, mais 200 sont commercialisées, incluant le générique, sans rien apporter en terme du service rendu, mais à des prix supérieurs aux précédents, plombant les comptes de la Sécurité sociale, mystifiant les médecins et les patients.
Pire encore, les lobbies pharmaceutiques inventent une « pseudo-prévention des maladies » comme la pré-hypertension, le pré-diabète, des pathologies inexistantes mais à très haute et longue rentabilité, puisqu’elles seront traitées à vie. Comme si le flux d’argent n’était pas suffisant, l’industrie médicalise à outrance le quotidien et le médicament devient le compagnon de la vie normale : dépressions passagères, insomnie temporaire, petites douleurs de la vie quotidienne ou le coupe-faim (Médiator) là où, bien souvent, une bonne hygiène de vie suffirait à éviter le début d’un diabète ou d’une hypertension.
Dans ce monde médiatisé où la pub est notre quotidien, comme c’est aisé de convaincre tout à chacun qu’il est un malade qui s’ignore, mais plus encore… qui doit ignorer le potentiel spéculatif qu’il représente. Laissez faire les spécialistes !
Cholestérol : la vérité sur les statines
Ces petites molécules ont été découvertes début des années 1970 par le japonais Akira Endo pour traiter l’hypercholestérolémie familiale, une maladie si rare qu’elle ne touche que 0,2 % de la population. Trop rare, sans doute car pour augmenter les revenus de l’industrie des statines, une farce fût inventée : le bon contre le mauvais cholestérol. Une telle manne pour les laboratoires qui leur rapporte déjà 25 milliards de dollars par an, qu’ils pensent les mettre en vente libre dans certains pays anglo-saxons.
Cela fait trente ans qu’on nous bassine sur les pseudo-ravages du cholestérol. Or, pour 90 % de la population de plus de 40 ans, il ne présente aucun danger et, sur les 10 % restants, il n’est qu’un risque mineur. […] C’est une molécule indispensable à la vie, qui structure les membranes cellulaires. D’ailleurs, en dessous de 2,5 g/l, il ne comporte aucun risque, à moins d’être associé à d’autres pathologies comme le diabète, l’obésité ou l’hypertension artérielle.
Le cholestérol n’est pas un déchet. C’est une molécule « noble », absolument indispensable à la vie.
Réduire artificiellement le cholestérol provoque plusieurs effets secondaires connus par les études sur les satines dont une augmentation du diabète, une insuffisance cardiaque, la fatigue, la dépression, une dysfonction érectile et des atteintes musculaires conduisant à une destruction grave des tissus. En 2012, 60 millions de patients en consomment dans le monde, dont 7 millions de français.
Complicité et corruption
Comme le précisent les professeurs Debré et Even :
Le laxisme de l’Etat laisse l’industrie libre de définir de facto les priorités de santé publique, en décidant seule des marchés à créer ou à accroître, en fonction de ses intérêts et libre de multiplier les produits prétendument nouveaux, qui, marketing aidant, poussent les médecins à prescrire et les patients à les demander.
Cette « coresponsabilité » se fait aux dépens des priorités collectives et l’argent des cotisations sociales ou de la CSG, qui taxe tous les revenus, est ainsi détourné au seul profit d’un capitalisme de trader, non plus investisseur, mais financier et spéculatif, multipliant les paradis fiscaux, et échappant au contrôle des nations.
Ainsi la France rembourse de plus en plus et au prix fort des médicaments mis sur le marché pour leur seul intérêt pécuniaire et spéculatif. La CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) qui a perdu son autonomie (celle stipulée dans la loi 1967) a perdu aussi l’immense pouvoir de décider du prix des médicaments. Le CEPS (Comité économique de santé), organisme tripartite finance-industrie santé, totalement de convenance et sans statut, « réunit les représentants des ministères, des firmes pharmaceutiques qui vendent, de leur syndicat membre de droit et des caisses d’assurance maladies qui paient. Mais pas un médecin, pas un représentant des patients ne participent au débat » s’indignent les deux professeurs.
De la direction d’un comité de santé à celle des assurances privées
C’est, disent-ils, le CEPS qui, in fine, est le responsable direct des aberrations inacceptables des prix et des taux de remboursement des médicaments, couvert par l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), qui avant sa disparition suite au scandale du Médiator, infiltrée par une industrie pharmaceutique devenue quasiment stérile et très profondément pervertie, elle-même au service du marché et de ses seuls actionnaires, qui fît grimper les prix des « nouveaux » médicaments (me too pour la plupart) à des sommes allant à plusieurs fois le prix du princeps (molécule originale) ; et ceci sans tenir compte d’un SMR (service médical rendu) qui n’est ni différent, ni même augmenté.
Le CEPS devrait se servir de l’arme du taux de remboursement qu’il possède (de 0 à 100 %), ce dont il n’use pas, incapable de lutter le pouvoir des grandes firmes internationales qui fixent leur prix sur le marché international. De plus ce sont souvent des administrateurs sans expérience médicale qui président cette entité, tel Gilles Johannet, énarque et politique reconnu qui s’était illustré en proposant d’un coup la fermeture de 55 000 lits d’hôpitaux et la réduction du nombre d’étudiant en médecine de 3 700 à 2 000, la diminution du nombre de médecins libéraux de 120 000 à 100 000, en espérant parvenir à des économies qu’il évaluait à 10 milliards d’euros.
L’OCDE en évaluant les conséquences du « plan Johannet » à une perte sèche de 100 000 à 200 000 emplois, à une réduction de 0,7 % du PIB (69 milliards d’euros) l’a finalement déconseillé au gouvernement qui a renvoyé Gilles Johannet à la direction de la Cour des comptes. Il entre aussi immédiatement aux AGF et il choisit alors de s’exprimer dans le secteur privé et confiant dans la revue Pharmaceutiques : « Le CEPS devra respecter l’impératif du développement industriel ». Il veut sans doute dire : les conditionnalités financières outrancières des firmes.
Endettement des pays et financement des campagnes électorales
Et comme la dette de la CNAM ne cesse de croître d’année en année, atteignant 190 milliards d’euros en 2012, soit 12 % de la dette de l’Etat, la CNAM demande à la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale, créée tout exprès pour cela il y a douze ans) d’emprunter pour elle sur les marchés financiers, comme s’en inquiètent encore les deux professeurs. La CADES a alors levé 11 milliards d’euros sur le marché en 2010 et 17 milliards en 2011, fragilisant du coup la position de la France. Jusqu’à quand la note AAA pourra tenir ?
L’industrie pharmaceutique se place, selon les périodes, du 1er au 3e rang mondial de toutes les activités industrielles et bancaires. Aucun ministre, aucun gouvernement, aucun Etat isolé ne résister à ses pressions s’il ne se dégage de la tutelle des marchés financiers.
Pour conforter leur place, les firmes sont devenues l’un des principaux soutiens des campagnes électorales. Par exemple en 2008, aux Etats-Unis, elles ont investi, officiellement, 267 millions de dollars dont 8 en provenance de la firme française Sanofi, en agissant à travers quelques 600 lobbyistes installées à bureaux ouverts à Washington. La France, qui possède pourtant un service central interministériel de prévention de la corruption, se fait discrète.
Un bon service de santé publique est la vitrine du bon gouvernement et de son indépendance face aux forces de l’argent et comme les deux professeurs le précisent dans les premières pages :
les grands médicaments, inventés pour la plupart dans les années d’or, de 1950 à 1980, ont, avec l’amélioration des conditions de vie, de logement, de travail , de nutrition et d’environnement, réduit bien des souffrances et allongés la vie de 40 ans depuis 1900 […] Les antibiotiques et les vaccins y ont initialement joué le rôle essentiel en annulant presque la mortalité enfantine.
Au service des malades et des praticiens
Les professeurs Debré et Even ont su porter un éclairage compétant sur les malversations des firmes pharmaceutiques et certaines complicités au sein des institutions sur le système de santé et ce ne serait pas aller contre leurs principes d’ajouter ces quelques lignes en nous appuyant sur leurs analyses :
Nous pouvons retrouver aujourd’hui, si nous séparons définitivement les activités purement spéculatives à haute rentabilité financières des activités nécessaires des divers secteurs de la santé, les compétences politiques et économiques qui garantissent un véritable système de santé publique garanti par l’Etat. Il faudra alors oser un grand nettoyage de tous ces parasites qui prolifèrent au détriment du malade, des praticiens et des services de la République.
Il faut redonner un sens à la découverte médicale aujourd’hui à l’exemple des années soixantes. Le retour de De Gaulle au pouvoir en 1958 avait permis la fondation des Centres hospitaliers universitaires (CHU). La publication des ordonnances des 11 et 30 décembre a donné pouvoir à Robert Debré pour lier le soin hospitalier à la recherche et à l’enseignement. Il en résulta pour les services hospitaliers universitaires et les laboratoires pharmaceutiques une obligation d’excellence au service des patients. Ainsi des liens constants et étroits ont été institués entre les équipes médicales et les chercheurs.
Il faut donc donner, dès aujourd’hui, les moyens suffisants au PHRC (Programme hospitalier de recherche clinique) du ministère de la santé qui en manque cruellement, et à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) qui pourront offrir ainsi les meilleures garanties de fiabilité. L’Etat doit aussi se désengager de la tutelle que représente la Direction de la concurrence de Bruxelles qui met un frein aux aides directes de l’Etat aux entreprises en difficultés et aux investissements d’avenir. Alors seulement le lien si fructueux entre l’enseignement et innovation médicale pourra être rétabli hors du contrôle des lobbies financiers de l’industrie pharmaceutique.
Pour conclure laissons la parole à un membre de la France Libre, fondateur de la Sécurité sociale, Pierre Laroque (1907-1997) :
Le but était d’assurer à la masse des travailleurs, et pour commencer aux salariés, une sécurité véritable du lendemain. Cela allait de pair avec une transformation sociale et même économique : l’effort qu’on leur demandait pour la remise en marche de l’économie devait avoir une contrepartie. La deuxième idée, c’était de donner aux intéressés eux-mêmes la responsabilité des institutions.
A vous d’user librement de vos droits républicains !
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