Par Christine Bierre, ancienne candidate S&P, Argenteuil I.
Tout un effort de mobilisation a lieu parmi les Français de culture musulmane pour relancer le processus d’intégration dans la République, un modèle qui devrait inspirer le reste de la France tout autant !
Moment de joie, ce 18 mars, lorsqu’en pleine campagne des départementales à Argenteuil, nous avons participé avec Amar Benoun à la réunion organisée au quartier Joliot-Curie par l’association Nouvelles R. Plus de 330 personnes étaient venues à ce débat avec Rachid Santaki, auteur et scénariste né à Saint-Ouen, et Brahim Chikhi, ancien enseignant et élu local de Seine-Saint-Denis, auteurs d’un livre paru en mars, La France de demain.
Le débat s’est vite porté sur les questions fondamentales dans ce quartier de 2800 personnes, dont beaucoup issues de l’immigration : sommes-nous Français d’abord, ou musulmans, peut-on parler de communauté musulmane alors qu’elle est faite d’individus si différents, l’école joue-t-elle encore son rôle dans l’intégration, quid des parents et des politiques ?
Des dizaines d’enfants participaient à cette rencontre faisant le grand mélange générationnel, les plus jeunes entrouvrant une fenêtre dans ce monde d’adultes, leur rappelant aussi leurs propres responsabilités. Ils avaient auparavant participé à un atelier sur « La France de demain », lors duquel ils avaient soumis questions et contributions. Certaines d’entre elles ont été présentées lors du débat, parfois même par les jeunes eux-mêmes, appelés à s’exprimer au podium, encouragés par des applaudissements nourris du public.
Moment de joie, car, au cœur de ce quartier très populaire d’Argenteuil, la vie de la jeunesse éclatait, comme à son habitude, joyeuse et pleine de promesses pour le futur, contredisant tout le discours islamophobe sur l’impossibilité d’intégrer les musulmans à la culture européenne.
Marianne, je t’aime
C’est sur cet appel poignant à se battre pour rétablir la République française que se termine ce petit livre en forme de boîte de silène, dirait quelqu’un, car la simplicité et la rugosité apparente cachent un message de profonde sagesse en direction de ces Français, stigmatisés depuis des années par des campagnes de haine qui ont pu conduire certains aux dérives tragiques des attentats de janvier.
Face à ces campagnes, faut-il partir ? Mais ce sont des Français ! soulignent les auteurs. « Nos compatriotes de confession musulmane se sentent français, ils sont majoritairement issus de l’immigration postcoloniale, ils sont les derniers enfants que Marianne a adoptés, ils sont les benjamins de notre fratrie républicaine… » Les enseignants ont fait leur boulot :
Quel étrange sentiment pour un fils d’immigré que de ressentir de la fierté en entendant notre maître nous conter l’histoire extraordinaire de Jeanne d’Arc et la tristesse de sa fin.
Remonter aux causes
Le livre passe en revue tous les problèmes à résoudre. D’abord la recherche d’argent facile dans les cités où réussir est synonyme de « devenir riche », et quand « nous sommes au fond du trou », nous blâmons « les autres » et choisissons de tendre la main à « un député ou un maire pour nous trouver un emploi, contribuant ainsi au fléau du clientélisme qui sévit dans nos quartiers ».
Tel ce jeune de 28 ans demandant à cet élu local « un boulot pas trop fatigant, dans un bureau de préférence, et en tant que fonctionnaire si possible – il voulait bien mettre des coups de tampon toute la journée pour mille euros, comme il me l’a précisé. »
La faute aussi à l’école républicaine qui ne joue plus son rôle d’intégrateur, aux parents qui ne soutiennent pas assez leurs enfants, aux animateurs qui n’aident plus les jeunes à devenir adultes, étant eux-mêmes d’éternels Peter Pan !
Les plus belles pages de ce livre sont consacrées aux anciens maîtres d’écoles, « derniers survivants des Ecoles normales » auxquels « nos origines sociales misérables ne tiraient pas de larmes, au contraire : plus nous étions écrasés sous le poids de nos origines, plus ils étaient motivés pour nous lancer en orbite et rejoindre les étoiles de la réussite républicaine. »
L’école publique, dit Brahim Chikhi, est la raffinerie qui « change le pétrole visqueux et inutile » de la banlieue, en « essence précieuse ». « Ils nous ont ouvert l’esprit sans nous bourrer le crâne – quel choc que d’écouter Les Quatre saisons de Vivaldi ou des extraits de La Flûte enchantée de Mozart » (voir encadré) , imprimant « dans nos esprits des valeurs qui nous transcenderaient à jamais ; l’idée que nous étions tous égaux et que la différence naîtrait de nos capacités et de notre travail ».
Sans cette culture commune, sans l’étude de l’histoire de France et de la Kabylie, impossible de nouer des relations avec toute la France, alors que d’autres se réfugient dans leur culture et leur quartier.
Jouer les « Castors » de l’intégration
Ce livre est surtout un puissant appel à lancer des projets intégrateurs dans les quartiers. Entre autres, l’idée de s’inspirer des « Castors » de 1950, avec des projets d’« auto-réhabilitation » des bâtiments, permettant, au passage, de qualifier les jeunes aux emplois de plombier, carreleur ou peintre.
Parmi eux aussi, ce beau projet de Dictée des cités, lancé par Rachid Santaki et Abdellah Boudour d’Argenteuil, qui s’est répandu comme un feu de brousse où professeurs, parents et élèves se retrouvent dans des concours géants de dictée atteignant, comme à La Courneuve, un record de 363 participants. Les élèves y découvrent, au cours d’un jeu, des classiques de la culture française tels que La gloire de mon père de Marcel Pagnol, Gargantua de Rabelais, Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, Le Petit Prince de Saint-Exupéry, Les Misérables de Victor Hugo.
Surtout, une condamnation sans appel des partis politiques en place qui entretiennent cyniquement le clientélisme, emportant élection sur élection grâce à des promesses de logements et d’emplois qui déchantent dès leur arrivée au pouvoir. N’attendez pas les sauveurs, organisez-vous et ensuite vous serez à même de choisir les politiques qui vous conviennent et de vous présenter vous-mêmes aux élections le cas échéant.
Le pouvoir de l’art
J’avais 12 ans et je me trouvais à la bibliothèque de Saint-Denis. (…) ; je descendis les escaliers qui menaient à la sortie (…) lorsque j’entendis cette musique et cette voix. J’avais la poignée de la porte dans ma main droite mais je restais pétrifié, comme si cette musique me retenait par le bras. Cela venait des sous-sols, là où était logée la médiathèque. (…) Je n’osais pas entrer, pensant que je violais cet endroit avec mon inculture musicale. [La bibliothécaire] vint vers moi. Je pensais qu’elle venait me chasser, me dire que je n’étais pas à ma place, mais elle me fit signe d’entrer et d’approcher (…) ’C’est Les noces de Figaro de Mozart’, me dit-elle... (…) Elle me prit par les épaules, m’emmena m’asseoir dans un fauteuil confortable et me posa un casque sur les oreilles. Elle resta près de moi en scrutant la moindre des émotions sur mon visage. Elle souriait : elle savait ce que je ressentais, sans échanger un mot la musique nous avait liés.
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